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« Ben-alisation » du SNPM

Publie le samedi 13 février 2010 par Open-Publishing

Polémique . Deux membres du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) ont présenté leur démission du bureau exécutif de cette instance. Ils reprochent au secrétaire général, Younès Moujahid, sa participation au dernier congrès extraordinaire du Syndicat national des journalistes tunisiens. Focus.

Par : Aziz El Yaakoubi

« La Fédération internationale des journalistes (FIJ) a décliné l’invitation à la participation au congrès extraordinaire du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) », affirme Ernest Sagaga, responsable de la communication et des droits de l’homme de la FIJ. Ce qui n’a pas empêché Younès Moujahid, secrétaire général du SNPM, de faire le déplacement à Tunis le 15 août dernier. Il s’en est justifié devant le Conseil national de son syndicat, qui avait lieu le 9 janvier 2010, en prétendant s’y être rendu en tant que vice-président de la FIJ et non en tant que secrétaire général du SNPM. 

La polémique a éclaté cet été, lorsque le régime tunisien a renversé le conseil d’administration indépendant du Syndicat des journalistes de Tunisie. Certains de ses membres étaient parvenus à imposer au SNJT un nouveau président et un nouveau conseil d’administration, composé entièrement de personnes proches du président Zine el-Abidine Ben Ali. « La FIJ ne soutient pas ce processus, et l’ombre de l’influence politique dans cette affaire est indubitable », avait alors clamé Aidan White, le secrétaire général de la FIJ.

Devant les déclarations incendiaires de ce dernier, Younès Moujahid avait rassuré les congressistes (à Tunis) en affirmant qu’il ne représentait que le SNPM… « Il faut savoir qu’il y a un problème au sein de la FIJ. Le président Jim Boumelha m’avait demandé de participer à ce congrès en tant qu’observateur. Mais après les déclarations de Aidan White, j’ai utilisé ma casquette du SNPM pour ne pas semer la zizanie au sein de la FIJ », reconnaît Younès Moujahid. Contacté par Le Journal hebdomadaire, Jim Boumelha, le président de la FIJ, soutient cette version. « La participation au congrès des Tunisiens nous a posé un réel problème. Le bureau exécutif a tranché et a demandé que nous soyons présents en tant qu’observateurs », justifie-t-il.

Alors pourquoi Aidan White et le bureau de la communication de la FIJ restent-ils campés sur leurs positions ? « Aidan White est un fonctionnaire de la FIJ, il n’a pas la compétence pour trancher sur des décisions politiques », argumente Younès Moujahid. « La FIJ n’était pas officiellement présente à Tunis le 15 août 2009. On ne peut pas soutenir ce qui se passe en Tunisie. Le journaliste Taoufiq Ben Brik est toujours en prison », martèle pour sa part Aidan White, avant d’ajouter : « J’ai fait un rapport sur la Tunisie, il a été adopté par le bureau de la FIJ. Il s’agit d’un arrangement personnel entre le président Jim Boumelha et Younès Moujahid. » Dans son discours adressé aux congressistes tunisiens, il apparaît clairement que le secrétaire général du SNPM s’est exprimé au nom du syndicat marocain : « Notre présence en tant que syndicat marocain a pour objectif de soutenir nos confrères tunisiens », peut-on en effet lire sur une copie du discours prononcé par Moujahid.

Jamal Mouhafid et Mustapha Znaydi, membres du bureau exécutif du SNPM, ont alors présenté une démission conjointe pour « L’ absence de la transparence dans les prises de décisions ». « La décision de participer à ce congrès n’a jamais fait l’objet d’un débat au sein du bureau exécutif de notre syndicat », indique Jamal Mouhafid. « C’est faux. J’avais discuté de la question avec une commission au sein du secrétariat général du syndicat », réplique Moujahid. Une commission composée principalement de Younès Moujahid (Union socialiste des forces populaires) et son adjoint Abdellah Bekkali (Parti de l’Istiqlal), selon des sources internes du syndicat.

Pluralisme factice

La controverse est d’autant plus légitime en raison de la situation actuelle en Tunisie : la quasi-totalité des médias au pays de Ben Ali sont directement contrôlés par le gouvernement ou appartiennent à des proches du président. Les quelques journaux d’opposition sont affaiblis par les autorités. Ils sont en quelque sorte un « élément de décor », selon l’organisation Reporters sans frontières (RSF). « Ces médias permettent aux autorités d’afficher un pluralisme factice, contentant ainsi les alliés occidentaux de la Tunisie qui font preuve d’une grande mansuétude à son égard », analyse Jean-François Julliard, secrétaire général de RSF. Des affaires montées de toutes pièces menacent les journalistes. Le journaliste Taoufik Ben Brik a ainsi été arrêté et écroué, le 29 octobre, pour « atteinte aux bonnes mœurs », « diffamation », « agression » et « détérioration des biens d’autrui », pour avoir prétendument agressé une automobiliste.

La Tunisie se classe d’ailleurs 154è sur 175 dans le dernier classement mondial de l’organisation. « Nous n’avons aucun contact avec le nouveau syndicat. Je ne pense pas non plus que les personnes qui dirigent actuellement le syndicat voudront collaborer avec nous », estime Jean-François Julliard. Du côté du syndicat marocain, on reconnaît le nouveau bureau du syndicat tunisien et on le soutient. Le secrétaire général du SNPM préfère fermer l’œil sur ce qui se passe : « Le nouveau bureau a été élu démocratiquement. Des centaines de journalistes étaient présents. La légitimité ne peut pas venir de l’extérieur », justifie-t-il. Et tout est bien parti pour que la FIJ le reconnaisse également. « C’est en cours de discussion. La prochaine réunion du bureau exécutif de notre fédération va trancher sur la question », indique Jim Boumelha, président de la FIJ, avant d’ajouter : « Nous sommes pour l’unité des journalistes tunisiens. Nous gardons notre neutralité et nous soutenons l’initiative de l’Union des journalistes arabes. » Les journalistes arabes se disent prêts à organiser un congrès unitaire dans les plus brefs délais afin de trouver un accord entre les deux parties. « J’ai proposé que le Maroc abrite cette rencontre », se félicite Moujahid.

Régime tunisien-presse marocaine

Au beau fixe

Entre la dictature tunisienne et certains journalistes marocains, les relations sont assez cordiales. Dernier exemple : Kamal Lahlou, président-directeur général du groupe Les Editions de la Gazette et président de la Fédération marocaine des médias, a dernièrement reçu une médaille d’honneur, assortie d’un message de Zine el-Abidine Ben Ali. Le président tunisien y exprime « sa considération » pour le journaliste marocain et le remercie « d’avoir pris une part active dans la campagne présidentielle et législative » qui s’est déroulée en Tunisie en octobre 2009. Selon le magazine Challenge qui a publié l’information, Ben Ali a en outre « mis en relief l’action et les efforts de Kamal Lahlou pour baliser l’expérience tunisienne, ses acquis et ses réalisations. » C’est ainsi que le patron de presse marocain s’est vu décorer par Tarek Ltaef, chargé d’affaires par intérim de l’ambassade tunisienne, de la médaille d’honneur commémorant le 22è anniversaire du 7 novembre 1987… date de la prise du pouvoir de Ben Ali à la place de l’ancien président Habib Bourguiba.

Le Journal Hebdomadaire (fermée par le Makhzen)