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Voter, c’est abdiquer - Elisée Reclus

Publie le lundi 8 mars 2010 par Open-Publishing
4 commentaires

Compagnons,

Vous demandez à un homme de bonne volonté, qui n’est ni votant ni candidat, de vous exposer quelles sont ses idées sur l’exercice du droit de suffrage.

Le délai que vous m’accordez est bien court, mais ayant, au sujet du vote électoral, des convictions bien nettes, ce que j’ai à vous dire peut se formuler en quelques mots.

Voter, c’est abdiquer ; nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue, c’est renoncer à sa propre souveraineté. Qu’il devienne monarque absolu, prince constitutionnel ou simplement mandataire muni d’une petite part de royauté, le candidat que vous portez au trône ou au fauteuil sera votre supérieur. Vous nommez des hommes qui sont au-dessus des lois, puisqu’ils se chargent de les rédiger et que leur mission est de vous faire obéir.

Voter, c’est être dupe ; c’est croire que des hommes comme vous acquerront soudain, au tintement d’une sonnette, la vertu de tout savoir et de tout comprendre. Vos mandataires ayant à légiférer sur toutes choses, des allumettes aux vaisseaux de guerre, de l’échenillage des arbres à l’extermination des peuplades rouges ou noires, il vous semble que leur intelligence grandisse en raison même de l’immensité de la tâche. L’histoire vous enseigne que le contraire a lieu. Le pouvoir a toujours affolé, le parlotage a toujours abêti. Dans les assemblées souveraines, la médiocrité prévaut fatalement.

Voter c’est évoquer la trahison. Sans doute, les votants croient à l’honnêteté de ceux auxquels ils accordent leurs suffrages - et peut-être ont-il raison le premier jour, quand les candidats sont encore dans la ferveur du premier amour. Mais chaque jour a son lendemain. Dès que le milieu change, l’homme change avec lui. Aujourd’hui, le candidat s’incline devant vous, et peut-être trop bas ; demain, il se redressera et peut-être trop haut. Il mendiait les votes, il vous donnera des ordres. L’ouvrier, devenu contremaître, peut-il rester ce qu’il était avant d’avoir obtenu la faveur du patron ? Le fougueux démocrate n’apprend-il pas à courber l’échine quand le banquier daigne l’inviter à son bureau, quand les valets des rois lui font l’honneur de l’entretenir dans les antichambres ? L’atmosphère de ces corps législatifs est malsain à respirer, vous envoyez vos mandataires dans un milieu de corruption ; ne vous étonnez pas s’ils en sortent corrompus.

N’abdiquez donc pas, ne remettez donc pas vos destinées à des hommes forcément incapables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de confier vos intérêts à d’autres, défendez-les vous-mêmes ; au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d’action futur, agissez ! Les occasions ne manquent pas aux hommes de bon vouloir. Rejeter sur les autres la responsabilité de sa conduite, c’est manquer de vaillance.

Je vous salue de tout cœur, compagnons.

Élisée Reclus (1830-1905)
Lettre datée du 26 septembre 1885 et publiée dans "Le Révolté" du 11 octobre 1885

Messages

  • Pourquoi l’éducation nationale, dans le cadre de ses programmes, ne crée-t-elle pas une discipline dénommée par exemple"émancipation et démocratie directe"où ce texte et bon nombre d’autres de penseurs anarchistes seraient étudiés discutés...?Pourquoi les chaines publiques de télévision ne vulgarisent-elles pas ces textes au lieu, par exemple le dimanche matin ,de véhiculer le venin religieux dont l’ingestion est purement d’ordre privé ? Quel est le statut des c.r.s. qui sont dans une enceinte privée(la tour total le 8 mars) pour repousser des travailleurs de cette société dont la présence en ce lieu est plus légitime que la leur,pour gazer de ce lieu privé des personnes à l’extérieur ?Sont-ce des milices patronales ? Qui les rétribue ?Sont-ce nous ou le moustachu bouffi de total ?En cas d’accident qui est responsable:nous ou le moustachu...etc ?

  • Voici un texte au contenu intéressant. Le problème que l’abstention soulève, c’est qu’il restera toujours des citoyens capables d’aller voter, capable de corrompre les futurs élus, capable de défendre leurs intérêts en instrumentalisant l’appareil républicain et le droit. Ainsi, en s’abstenant, on laisse faire ceux qui ont déjà le pouvoir et ils le conserve. Vous ne verrez pas les classes les plus riches s’abstenir de voter, ils ont tout un système à leurs pieds.

    Alors, pour qui voter ?

    Disons que le seul moyen de mettre un terme à cet instrumentalisation, c’est de prendre le pouvoir. Pour être légitime, il faut être élu. Pour être élu, il faut faire de la politique. Représenter, c’est agir. C’est de l’intérieur que la politique peut disparaître. Voter, c’est utile, mais seulement s’il existe un vote utile. Alors, en attendant... Il s’agit de ne pas abdiquer, en votant ou non...