Accueil > S’abstenir ou pas ?

S’abstenir ou pas ?

Publie le samedi 13 mars 2010 par Open-Publishing
3 commentaires

S’abstenir ou pas ?

à celles et ceux qui aurait comme un doute sur la finalité de ces élections régionales, voici deux textes (l’un déjà publié sur le site Bellaciao), l’autre comme en écho au premier (celui d’Élisée Reclus) ; apparemment ces textes sont contradictoires, mais en y regardant de plus près, on est pris de vertiges et on a comme un doute !
sergio

Le suffrage universel

Et voyez comme ce qui est profondément juste est en même
temps profondément politique. Le suffrage universel, en don-
nant à ceux qui souffrent un bulletin, leur ôte le fusil. En
leur donnant la puissance, il leur donne le calme.
Le suffrage universel dit à tous, et je ne connais pas de
Plus admirable formule de la paix publique : « Soyez tran-
quilles, vous êtes souverains. »
Il ajoute : « Vous souffrez ? eh bien, n’aggravez pas vos souf-
frances, n’aggravez pas les détresses publiques par la ré-
volte. Vous souffrez ? eh bien, vous allez travailler vous-mêmes,
dès à présent, à la destruction de la misère, par des hommes
qui seront à vous, par des hommes en qui vous mettrez votre
âme, et qui seront en quelque sorte votre main. Soyez tran-
quilles. »
Puis, pour ceux qui seraient tentés d’être récalcitrants, il
dit :
« Avez-vous voté ? – Oui. – Vous avez épuisé votre droit, tout
est dit. Quand le vote a parlé, la souveraineté a prononcé. Il
n’appartient pas à quelques-uns de défaire ni de refaire
l’œuvre de tous. Vous êtes citoyens, vous êtes libres, votre
heure reviendra, sachez l’attendre. En attendant, travaillez,
écrivez, parlez, discutez, éclairez-vous, éclairez les autres.
Vous avez à vous aujourd’hui la liberté, demain la souverai-
neté : vous êtes forts !… »
Il y a un jour dans l’année où le gagne-pain, le journalier,
Le manœuvre, l’homme qui traîne les fardeaux, l’homme qui
casse des pierres au bord des routes, juge les représentants,
le Sénat, les ministres, le président de la République. Il y a
un jour dans l’année où le plus modeste citoyen prend part à
la vie immense du pays tout entier, où la plus étroite poitrine
se dilate à l’air vaste des affaires publiques ; un jour où le
plus faible sent en lui la grandeur de la souveraineté nationale,
où le plus humble sent en lui l’âme de la patrie.
Quel accroissement de dignité pour l’homme, et par consé-
quent de moralité. Quelle satisfaction, et par conséquent
Quel apaisement ! (Victor Hugo.)

de Élisée Reclus
Clarens, Vaud, 26 septembre 1885.
Compagnons,
Vous demandez à un homme de bonne volonté, qui n’est ni votant ni candidat, de vous exposer quelles sont ses idées sur l’exercice du droit de suffrage.
Le délai que vous m’accordez est bien court, mais ayant, au sujet du vote électoral, des convictions bien nettes, ce que j’ai à vous dire peut se formuler en quelques mots.
Voter, c’est abdiquer ; nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue, c’est renoncer à sa propre souveraineté. Qu’il devienne monarque absolu, prince constitutionnel ou simplement mandataire muni d’une petite part de royauté, le candidat que vous portez au trône ou au fauteuil sera votre supérieur. Vous nommez des hommes qui sont au-dessus des lois, puisqu’ils se chargent de les rédiger et que leur mission est de vous faire obéir.
Voter, c’est être dupe ; c’est croire que des hommes comme vous acquerront soudain, au tintement d’une sonnette, la vertu de tout savoir et de tout comprendre. Vos mandataires ayant à légiférer sur toutes choses, des allumettes aux vaisseaux de guerre, de l’échenillage des arbres à l’extermination des peuplades rouges ou noires, il vous semble que leur intelligence grandisse en raison même de l’immensité de la tâche. L’histoire vous enseigne que le contraire a lieu. Le pouvoir a toujours affolé, le parlotage a toujours abêti. Dans les assemblées souveraines, la médiocrité prévaut fatalement.
Voter c’est évoquer la trahison. Sans doute, les votants croient à l’honnêteté de ceux auxquels ils accordent leurs suffrages — et peut-être ont-il raison le premier jour, quand les candidats sont encore dans la ferveur du premier amour. Mais chaque jour a son lendemain. Dès que le milieu change, l’homme change avec lui. Aujourd’hui, le candidat s’incline devant vous, et peut-être trop bas ; demain, il se redressera et peut-être trop haut. Il mendiait les votes, il vous donnera des ordres. L’ouvrier, devenu contre-maître, peut-il rester ce qu’il était avant d’avoir obtenu la faveur du patron ? Le fougueux démocrate n’apprend-il pas à courber l’échine quand le banquier daigne l’inviter à son bureau, quand les valets des rois lui font l’honneur de l’entretenir dans les antichambres ? L’atmosphère de ces corps législatifs est malsain à respirer, vous envoyez vos mandataires dans un milieu de corruption ; ne vous étonnez pas s’ils en sortent corrompus.
N’abdiquez donc pas, ne remettez donc pas vos destinées à des hommes forcément incapables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de confier vos intérêts à d’autres, défendez-les vous-mêmes ; au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d’action futur, agissez ! Les occasions ne manquent pas aux hommes de bon vouloir. Rejeter sur les autres la responsabilité de sa conduite, c’est manquer de vaillance.
Je vous salue de tout cœur, compagnons.

Messages