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Réponse à Raoul Marc Jennar

5 décembre 2005, 15:51

Jean-Luc Mélenchon et François Delapierre ont rédigé une réponse à la lettre ouverte de Raoul-Marc Jennar aux socialistes du "non" qui circule actuellement dans divers réseaux militants.

Tous comprendront à la lecture de cette réponse l’importance cruciale que revêt pour nous ce débat sur le sens du congrès socialiste du Mans. C’est notre combat pour l’union des gauches qui continue dans un moment particulièrement décisif.

REPONSE A LA LETTRE OUVERTE
DE RAOUL-MARC JENNAR

Cher Raoul-Marc Jennar,

Nous avons mené côte à côte la bataille pour le non au référendum. Nous avons apprécié ta participation à ce combat où chacun de nous donnait le meilleur de ce qu’il pouvait apporter. De cela nous te gardons reconnaissance et amitié. Même après avoir lu la lettre ouverte aux socialistes du « non » que tu diffuses depuis quelques jours. Sur ce point, nous pensons que tu te trompes de cible. Et aussi que tu te trompes de combat. Nous voudrions te l’expliquer sans que tu ressentes le même sentiment d’offense que nous avons vécu de notre côté en te lisant. A gauche, il faut nous respecter car nous vivons un moment difficile et même dangereux. Sans cesse il faut donc préférer l’argumenté au péremptoire.

Expliquons-nous donc, au risque de la longueur de cette réponse à ta lettre.

Ta démarche en faveur d’un candidat unique « à la gauche du PS » lors de la prochaine élection présidentielle est tout à fait respectable. Nous en comprenons la logique. Ce n’est pas notre sujet d’en discuter l’idée. Mais quel besoin as-tu de l’engager par une mise en cause aussi offensante qu’infondée des socialistes partisans du « non » ? Si nous avons pris la lourde décision de nous affranchir de la discipline de notre parti, après que nous ayons pu pourtant y défendre librement nos arguments et qu’un vote y ait été organisé, ce n’est pas pour nous soumettre maintenant à celle d’un pseudo « parti du non », sans statuts ni adhérents, où des procureurs auto désignés voudraient à leur tour nous manier au fouet de la stigmatisation. Et au nom de quel mandat ? Donné par quelle délibération ?

Restons simples. Nous nous sommes retrouvés côte à côte dans un combat précis : convaincre la majorité du peuple français de voter non à la Constitution européenne. Tout au long de la campagne, nous avons refusé de nous engager dans le débat sur la reconstruction de la gauche auquel nous invitaient complaisamment les médias partisans du « oui ». Nous avons répété que nous n’avions qu’un seul objectif : le rejet du traité constitutionnel européen. Avons-nous eu tort de procéder ainsi ? Nous le croyons pas. Notre unité n’aurait pas survécu à un débat qui n’aurait pas été celui de la question posée. Et notre démarche n’aurait pas entraîné la majorité de notre peuple. En tout cas, quelles que soient nos origines politiques, nous avons tous estimé que c’est en nous consacrant exclusivement au « non » à la Constitution européenne que nous resterions tous ensemble et que nous serions majoritaires. La suite nous a donné raison.

C’est donc le « non » au TCE qui nous a rassemblé. Chacun de nous y a retrouvé beaucoup des raisons de son engagement militant. Chacun y a mis beaucoup de lui-même. Mais notre convergence sur ce point n’annule pas nos différences sur d’autres. Les militants trotskystes ou communistes ne se sont pas transformés en socialistes ou en républicains sociaux par la grâce de la campagne référendaire. Les militants socialistes ne sont pas non plus devenus communistes ou trotskystes ! Pourquoi donc faire mine de t’étonner que « nos chemins divergent désormais » ? Faire croire qu’il pourrait en être autrement, c’est nier la diversité des sensibilités qui ont fait le « non » de gauche majoritaire. Ce serait mentir à ceux qui nous ont fait confiance. Par là même ce serait les entraîner vers de graves désillusions. Car ne pas admettre nos différences, c’est aussi ouvrir mécaniquement la porte au sectarisme. En effet, si nous devons être tous pareils pour être acceptés, que faire de ceux qui ne sont pas dans le bon moule ? Toi-même tu en es arrivé à une phrase qui a sans doute dépassé ta pensée réelle : tu aurais eu « tort de faire confiance à des socialistes ». Si nous agissions tous de même, qui resterait supportable aux yeux de son voisin ? Cette façon de faire jetterait un poison mortel entre nous. Aucun cadre d’action commune ne serait plus possible.

Nous le regrettons d’autant plus que nous ne croyons pas que le « non » soit désormais derrière nous. Le « non » victorieux du 29 mai nous fait mandat. Nous n’en sommes pas de simples héritiers. Nous sommes aussi désormais les garants de cette victoire. C’est une question très concrète qui est hélas largement occultée, parfois par les partisans du « non » eux-mêmes. Car seuls les naïfs peuvent croire que les néo-libéraux respecteront la souveraineté populaire s’ils n’y sont pas contraints par un puissant mouvement populaire. Les néo-libéraux n’ont pas désarmé. Le président du groupe PPE (droite) au Parlement européen a d’ailleurs clairement annoncé la couleur : il compte sur le résultat de la présidentielle française pour imposer au peuple français la Constitution européenne qu’il a rejetée dans les urnes. Madame Merkel, chancelière de la République fédérale allemande a dit la même chose à l’occasion de sa visite à l’Elysée.

Dans ce combat pour le respect de la volonté populaire, chacun a un rôle décisif à jouer. Chacun doit le jouer à la place qui est la sienne. Car pour peu que nous restions unis sur cet objectif, notre diversité sera encore une force. Notre force, oui, et non notre faiblesse. Il faudra en effet l’engagement de militants altermondialistes, de syndicalistes, de trotskystes, de communistes… et de socialistes pour que le vote du peuple français s’impose définitivement. Aujourd’hui ce n’est pas fait.
D’ailleurs, cette bataille se déroule déjà sous nos yeux. Beaucoup y apportent leur contribution. Nous y avons pris notre part, en tant que militants socialistes, dans le Congrès de notre parti. Nous avons milité sans relâche pour que notre parti exprime clairement qu’il respectera le « non » des Français si l’un des siens est élu à la tête de l’Etat. Nous avons défendu cette exigence pendant plusieurs semaines dans toute la France, de fédération en fédération, de section en section. Même minoritaires, nous avons poursuivi cette bataille. Et nous avons obtenu satisfaction dans la synthèse finale du Congrès du Mans. Désormais, le Parti socialiste s’est engagé publiquement à respecter le « non » des Français. François Hollande a lui-même déclaré que le traité était mort. C’est ce qui nous a déterminé à approuver la synthèse des textes présentés au vote des militants. Nous serons désormais les garants de cet engagement des socialistes car c’est à nos yeux un bien précieux pour l’avenir. D’ailleurs, peu s’y sont trompés. En tout cas pas ces dirigeants sociaux-démocrates européens qui regrettent que le PS ait donné raison aux partisans du « non » (cf Le Monde du 31/11/2005). Et c’est bien cette contradiction que pointe l’éditorialiste du journal Le Monde avec son vocabulaire : « des ambiguïtés ont été introduites, comme sur l’Europe ou l’abrogation des lois de la droite depuis 2002, qui peuvent déboucher, si on n’y prend garde, sur des confusions ». De son côté, la presse de la droite allemande s’est déchaînée contre ce qu’elle appelle la « capitulation de François Hollande » !

Notre bataille a-t-elle été inutile ? Faire avancer par le travail de conviction une idée que nous portons ensemble ne servirait à rien ? Permets-nous de te demander où de ton côté tu as fait avancer la défense de ce mandat commun ? En diffusant ce courrier, tu fais tout le contraire ! En niant l’avancée que notre travail de conviction a rendue possible dans le Congrès socialiste, en voulant faire croire que les partisans du « non » se seraient ralliés à l’Europe libérale, tu apportes ta contribution au refrain des bien-pensants selon lequel le « non » du 29 mai n’a rien changé. Permets-nous de te faire remarquer que c’est toi qui considère que le 29 mai est une parenthèse déjà refermée puisque tu lui dénies toute capacité à faire évoluer dans le bon sens les rapports de force au sein de la gauche.

Pourtant, les faits sont têtus. On peut trouver beaucoup de défauts à la motion de synthèse du Parti socialiste. C’est en partie l’exercice qui le veut. C’est le résultat des votes internes aussi. L’autre gauche manifesterait un petit peu de l’esprit de synthèse qui anime le PS, au risque des railleries, qu’elle serait déjà dans une toute autre situation de force… En réalité cette mutation en changerait la nature même. Reste que sur la question européenne, notre synthèse marque des avancées considérables. Les lignes ont bougé. Pourquoi le nier alors que cela donne raison au combat que nous avons mené ? Si le « oui maintenu » que prônait Strauss Kahn et d’autre, en toute sincérité d’ailleurs, l’avait emporté, nous aurions hélas vu le PS s’enfermer dans l’horizon indépassable de la Constitution européenne. Or non seulement le texte de la synthèse s’engage à respecter le « non » des Français, mais il se prononce aussi pour le retrait de la directive Bolkestein, la réforme du pacte de stabilité, le contrôle de la Banque Centrale par le Parlement européen, l’élaboration d’un traité social empêchant le dumping social et fiscal, l’émergence d’un salaire minimum européen, l’ouverture d’un processus constituant pour adopter une vraie Constitution centrée sur les institutions et les valeurs de l’Union. Toutes choses qui ont motivé notre combat pour le « non » car elles auraient été rendues impossibles par l’adoption du TCE ! Peut-être as-tu signé la pétition « le verdict populaire doit être respectée » lancée par le Parti Communiste Français ? Tu verras que toutes ces revendications s’y trouvent. La voie est déblayée pour parler du reste. Et comme ce ne sera pas simple déjà, à quoi bon charger la barque davantage ?

Bien sûr, tu peux juger ces avancées insuffisantes. Mais notre désaccord n’est pas là. Ce que nous dit ta lettre, c’est que tu les regrettes. Tu estimes que ces pas en avant ont empêché la clarification que tu attendais. C’est une thèse connue. Mieux vaudrait un PS bien à droite pour que puisse se constituer à côté une gauche « vraiment de gauche ». Cela explique aussi pourquoi tu nous prends, nous, pour cible. Nous faisons tâche dans ce paysage. C’est sans doute le lot de ceux qui s’engagent pour l’union sans exclusives. Nous avons été dénoncés par certains socialistes comme des agents de l’extrême-gauche. Nous le sommes désormais par toi pour avoir fait « allégeance » aux sociaux-libéraux. Les sectarismes sont toujours jumeaux. Ils se renforcent les uns les autres. C’est justement leur victoire que nous voulons empêcher. Car nous en connaissons l’issue : l’impuissance de la gauche. Regarde donc la situation italienne à laquelle tu fais référence : c’est pour avoir refusé l’union que les gauches italiennes ont laissé si longtemps le pouvoir à Berlusconi. Aujourd’hui, la gauche italienne s’est rassemblée derrière un porte-drapeau commun : Prodi. Il n’est ni socialiste, ni communiste. Est-il de gauche ? Lui-même se présente comme le candidat du centre et du centre-gauche. Beau résultat ! Le refus de l’unité et l’ardeur mise à souligner les différences se terminent par un soutien résigné à celui qui était président de la Commission européenne du temps de Bolkestein !
En obtenant que le PS s’engage à respecter le vote des Français, nous avons apporté une contribution modeste au rassemblement de la gauche. Mais nous la croyons décisive. Car aucune union des gauches ne serait possible sans le respect préalable du vote du 29 mai. Bien sûr, il reste beaucoup de chemin à parcourir. Des discussions innombrables sont devant nous sur la méthode comme sur le contenu d’une nouvelle union populaire. L’union des gauches se heurtera aux résistances des sectaires de tous bords. Mais elle finira par s’imposer. Car si nous laissons la droite gagner en 2007, si la grande victoire du 29 mai doit se terminer par un triomphe du parti de l’ordre, libéral et sécuritaire, le peuple de gauche qui a majoritairement voté « non » sera fondé à demander à ses représentants : est-ce ainsi que vous respectez notre vote ?

Amicalement à toi,

Jean-Luc Mélenchon et François Delapierre
Membres du Bureau national du PS