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5 juin 2006, 15:53

Si on s’aventure sur le terrain historique cela risque d’être très long ! Je vais donc essayer d’être bref.
Concernant Mai 68, c’est pour moi un bel exemple de où peut bien mener une politique réformiste. La CGT, appuyée par le PCF, décréte la fin de la grève et va négocier à Grenelle quelques augmentations de salaires... qui seront compensées quelques années plus tard par une inflation galopante.
Sur Juin 36 je vais développer un brin car avec toute la propagande faite autour de son 70ième anniversaire par le PCF, quelques clarifications s’impose.
Pour Georges Séguy dans l’Huma , "ce qui compte c’est le rassemblement, l’union de la gauche, fondée sur un pacte énumérant les réformes et les grandes orientations capables d’être approuvées et soutenues par le mouvement social, les syndicats, les associations et l’ensemble des forces progressistes. Dans des contextes différents, c’est la méthode qui a fait triompher le Front populaire il y a 70 ans. "
Ce raisonnement, celui du retour à un " vrai réformisme ", aujourd’hui l’antilibéralisme, qui s’appuierait sur les mobilisations pour imposer des concessions à la bourgeoisie, a été largement défendu dans les colonnes de L’Humanité à l’occasion de l’anniversaire de la victoire électorale du 3 mai 1936. Ainsi est construite une vision mythique de l’histoire, confondant la grève générale avec occupation des usines et le gouvernement de Léon Blum, les mettant sur le même plan, comme s’il y avait eu communauté de vues et d’intérêts, comme si ce dernier avait été " le débouché politique " des luttes alors qu’il n’avait d’autre fonction que de les contenir pour préparer leur défaite.
Resituons le contexte. Après la crise internationale de 1929, le fascisme accumule les victoires, en Italie, en Allemagne, et partout le mouvement ouvrier est durement réprimé. La bourgeoisie fait payer la crise de son système aux travailleurs, par un recul terrible des conditions de vie, et par la répression pour l’imposer. " Au capitalisme pourrissant, il ne reste d’autre issue que d’écraser le prolétariat " écrit Trotsky.
Pour les travailleurs, l’enjeu est de mettre un coup d’arrêt à cette barbarie et à la montée vers la guerre. Pour beaucoup, l’idée grandit qu’il vaut mieux l’affrontement, que le chômage et l’esclavage sous la botte fasciste. Les luttes se multiplient en Europe, en Asie, aux USA aussi, et dans les colonies. Les grèves de mai-juin 36 s’inscriront dans cette montée des luttes.
Elles trouvent leur origine dans les événements de février 1934, quand une offensive de milices fascistes d’anciens combattants menace de renverser la " gueuse ", la république. La classe ouvrière répond en imposant dans la rue le front unique contre le fascisme aux appareils syndicaux et politiques, en fusionnant les deux cortèges socialiste et communiste lors de la manifestation du 12 février.
C’est cette aspiration à l’unité, cette combativité, qui vont être dévoyées dans le cadre de l’accord de front populaire passé en 1935, que Trotsky résume en " l’alliance du prolétariat et de la bourgeoisie impérialiste ".
Le programme du Front populaire fut celui des radicaux. Le PS présente Blum comme celui " qui a su réviser ses idées en fonction des possibilités de l’action ". Duclos, dirigeant et homme de main de Staline au sein du PC, explique à l’époque : " Ce n’est pas nous qui demanderons au gouvernement de gauche de détruire le régime capitaliste ".
Ce programme, derrière le slogan " le pain, la paix, la liberté " (imitant les revendications du parti bolchevik pendant la Révolution russe " le pain, la paix, la terre "), n’était qu’un catalogue de revendications très modérées… Ni congés payés, ni semaine de 40 heures, ni augmentations de salaires que gagneront les travailleurs en grève !
On y retrouve la défense des libertés et du droit syndical. En guise d’anticolonialisme : " enquête parlementaire sur la situation… dans les territoires d’outre-mer ". Contre la guerre ? des phrases creuses comme " l’appel à la collaboration des masses laborieuses pour le maintien de l’organisation de la paix ". Sur le plan économique, le vieux raisonnement réformiste : " restaurer le pouvoir d’achat des masses pour donner un nouvel essor à l’économie ", et un plan de grands travaux contre le chômage, s’inspirant de celui de Roosevelt aux USA.
Le Front populaire affirme sa confiance dans un capitalisme aménagé pour améliorer le sort des travailleurs, au moment même où ce système entraîne l’Europe et le monde vers la barbarie.
La victoire électorale du 3 mai montre une radicalisation des masses. Le Parti radical recule nettement. Le PC recueille 1,5 millions de voix, autant de suffrages pour le programme de la Révolution d’octobre 1917. Consciente de ce décalage, la direction du PC choisit de ne pas participer au gouvernement. Préférant un ministérialisme de coulisse. C’est une rupture dans l’histoire du PC, pour la 1ère fois, il est associé à un gouvernement bourgeois.
Blum installe son gouvernement le 4 juin. Depuis le début de la vague gréviste, il a multiplié les déclarations rassurantes : " il n’y aura pas vacance de la légalité ". Salengro, son ministre de l’intérieur, déclare la veille de son entrée en fonction : " entre l’ordre et l’anarchie, je maintiendrai l’ordre envers et contre tous ".
La décrue escomptée avec l’installation du gouvernement n’a pas lieu. Les premières journées de juin voient une nouvelle extension de la lutte, tout le pays est bloqué. La CGT est elle-même dépassée : ce mouvement se fait sans sa direction.
La peur de tout perdre pousse le patronat à faire appel au gouvernement pour négocier des accords collectifs, les " accords Matignon ", signés avec la CGT le 7 juin. Ils reconnaissent les contrats collectifs de travail et limitent les augmentations de salaires à 12 % ! (article 4). Le dernier article demande aux travailleurs de décider la reprise du travail.
En fait, les accords Matignon ne passent pas. Les militants syndicaux se font chahuter. Et le mouvement s’élargit encore. Le 11 juin, il y a plus de deux millions de grévistes.
Blum fait voter en catastrophe les fameuses lois sociales sur les congés payés, les 40 heures, la reconnaissance des délégués syndicaux. Le 14, la manifestation prévue à Paris pour fêter la victoire électorale est annulée, Blum a peur que la classe ouvrière regroupe davantage ses forces.
Lors de son procès à Riom, par le régime de Pétain, Blum s’expliquera : " La contrepartie (des accords), c’était l’évacuation des usines ; les représentants de la CGT ont dit aux représentants du patronat : ’Nous nous engageons à faire ce que nous pourrons, mais nous ne sommes pas sûrs d’aboutir. Quand on a affaire à une marée comme celle-là, il faut lui laisser le temps de s’étaler.’ ".
Ce calcul de la direction de la CGT se réalisera. Mais il faudra que le PC mette tout son poids, Thorez multipliant les " il faut savoir terminer une grève ". Alors que l’enjeu de la lutte de classe en France était bien socialisme ou barbarie, la révolution ouvrière pour mettre un coup d’arrêt au fascisme et à la montée vers la guerre mondiale, le seul parti important qui incarnait la révolution appelle à la reprise : les travailleurs sont désarmés, sans perspective.

Alors loin de ce qu’on nous présente aujourd’hui comme une victoire légère et insouciante, bals musettes et premiers congés payés, la politique de Front populaire a représenté une impasse et un échec pour le prolétariat du monde, qui sera suivie par la défaite en Espagne, avec la " neutralité " de Blum.
La SFIO confirme ainsi son rôle de défenseur des intérêts de la bourgeoisie dans les rangs de la classe ouvrière, ce que Ségolène Royal appelle aujourd’hui " le bon deal entre capital et travail ".
Le 16 mars 1937, la police dirigée par ce gouvernement de gauche réprime une manifestation ouvrière contre un meeting fasciste à Clichy faisant 6 morts et près de 500 blessés. Dans les mois qui suivent, tous les acquis sont repris un par un : retour de la semaine de 48 heures en novembre 1938, répression contre les grèves. Jouhaux, soutenu par Blum et Thorez, n’appelle qu’à une grève " les bras croisés … pour 24 heures seulement… sans occupation, sans manifestation, sans réunion ". Suivie par plus de deux millions de salariés, elle est durement réprimée, avec des milliers de licenciements.
En 1937, les radicaux font chuter le gouvernement Blum et redeviendront le pivot des gouvernements jusqu’en 1940. En 1938, ils signent un nouveau pacte avec Hitler à Munich, tournant le dos à Staline. Le gouvernement du radical Daladier, avec des ministres de droite, recevra les suffrages des députés communistes. Cette même chambre du Front populaire interdira le PC en 1939 et votera les pleins pouvoirs à Pétain.
Cette suite du Front populaire, le retour du balancier, peu d’articles l’ont racontée, la palme revenant sans doute à celui de Malberg et Martelli dans l’Huma qui n’évoque même pas la fin de la grève, préférant revenir à des odes douteuses : " La jeune direction communiste, incarnée par son secrétaire général, Maurice Thorez, est à l’apogée de sa créativité et de sa capacité d’initiative. " En effet !
Cette expérience des travailleurs en mai et juin 1936, malgré la défaite, nous est fort utile aujourdhui car elle est la cruelle démontration que si les travailleurs ne se donnent pas les moyens de faire valoir leur droit, de peser, de postuler au pouvoir, pour abandonner leurs intérêts à un gouvernement restant dans le cadre des institutions, respectant la propriété privée, la bourgeoisie garde en main tous les outils de sa domination, à commencer par l’Etat. Et elle saura, le moment venu, faire payer leur hésitation à ceux qui auront osé la défier.
Quand le directeur de l’Humanité écrit " En ce mois de mai (2006), il flotte sur la France qui se mobilise un parfum, une envie de Front populaire. … C’est la combinaison de l’action d’une majorité parlementaire de gauche, d’un gouvernement de gauche, mandaté pour changer les choses, en osmose avec une mobilisation syndicale et sociale qui peut permettre de réussir ", le seul débouché politique qu’il propose, c’est un bon gouvernement dans le cadre de ce système. Encore et à nouveau ce mauvais lyrisme pour annoncer les défaites à venir...
Le monde du travail doit toujours préserver son indépendance des institutions et des partis qui les servent derrière lesquels se profile la main de la bourgeoisie. Sa boussole doit être de mener sa propre politique en toute indépendance, se donner ses propres formes d’organisation, partis, syndicats, comités ou assemblées, pour postuler à diriger lui-même la société, telle est pour nous la leçon de la défaite de 1936.
Il n’y a pas de deal possible entre le capital et le travail.

Bon je vais passer sur 45 car j’ai déjà fait assez long. Deuxièmement pour revenir à aujourd’hui, je n’ai rien contre une dynamique électorale unitaire mais uniquement pour que celle-ci aide les luttes en y popularisant un programme d’urgence anticapitaliste ! Ce n’est malheureusement pas ce qui semble se dessiner à travers cette Charte et les appels du pied répété du PCF au PS. Au contraire les questions électorales ont plombé les collectifs du 29 mai, plongé dans les discussions électorales rivales mais... unitaires alors que ceux-ci ont été incapables de jouer un rôle même de soutien au mouvement contre le CPE !
Alors ne dévoyons pas les aspirations unitaires dans l’impasse électoraliste.

LP Militant LCR