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L’Amour à inventer c’est la Fraternité

30 avril 2007, 13:13

La cruauté de l’amour

Les 99 pour cent du mal parmi les hommes proviennent de ce faux sentiment qu’ils nomment l’amour. Tolstoï (de la vie 170)

Chantez l’amour des mères, chantez l’amour rêvé, mais le mal, et toute la cruauté du monde, vient de l’amour aussi, il vient de nous, de notre désir jaloux et de notre indifférence, de l’amour de Dieu ou de la patrie, de tous les ressentiments qui transforment l’amour en haine et nous rendent si malheureux. C’est à cause de l’amour que "tout le monde est malheureux, tout le temps". Aimer ce n’est pas toujours vouloir du bien à l’autre, ce n’est pas souvent un amour désintéressé, amor beneficentiae (Amare est gaudere félicitate alterius, Leibniz). Il y a aussi la part de l’amour captatif, dominateur, possessif jusqu’à la dévoration, amor concupiscentiae. L’aimé est si important pour nous qu’il provoque de trop grandes peines et notre amour devient vite ambivalent, chargé de colère et de reproches. On ne peut séparer l’amour de la haine, ce que Lacan appelait l’hainamoration, encore moins de la souffrance et de l’angoisse.

Plaisir d’amour ne dure qu’un instant, chagrin d’amour dure toute la vie...

Pire encore, on peut dire qu’il y a une prédominance du chagrin d’amour sur l’amour partagé tout simplement parce que l’attente de l’amour malheureux n’a pas de raison de s’arrêter et fixe le désir tout comme l’interdit alors que Platon remarquait déjà qu’on ne peut continuer à désirer ce qu’on possède déjà. L’amour partagé fait à chaque fois l’épreuve de sa satisfaction, de la finitude et des fluctuations du désir, alors que l’amour perdu ne fait que ressasser toujours les mêmes souvenirs, dans un temps où il ne se passe rien. Perdre l’aimée, c’est perdre une seconde fois les meilleurs moments passés (ou imaginés), alors qu’ils étaient déjà perdus la plupart du temps. De plus, il y a peu de chance qu’un amour qui n’est pas réciproque le devienne car le désir de l’autre n’y trouve pas de résistance, ni attente ni véritable échange qui lui permette d’exister. Il faut garder un risque, une attente incertaine, un enjeu à gagner pour que l’amour reste réciproque. "L’amour est une interrogation continuelle. Oui, je ne connais pas de meilleure définition de l’amour", Kundera (le rire et l’oubli, p250). C’est pour cela qu’il y a presque toujours un des deux qui aime moins (celui qui est le plus aimé) car celui qui aime, et n’est pas assuré de l’amour de l’autre, reste obnubilé par la peur de perdre son amour, paré de toutes les merveilles d’un bonheur rêvé, alors que celui qui est aimé ne peut plus s’abandonner à ses rêves et ne peut éviter d’être agacé des défauts de l’autre, confronté à la déception de la triste réalité, jusqu’au mépris souvent, l’esprit occupé par tant d’autres amours possibles. On pense à ce qu’on perd, c’est pourquoi "en amour, il y en a toujours un qui souffre et l’autre qui s’ennuie" d’après Honoré de Balzac. Pas d’amour sans angoisse. L’amour doit rester actif et donc menacé. "Aimer est bien plus fort que d’être aimé" comme Aristote le disait déjà.

On ne peut réduire l’amour à la tromperie ou la séduction. Il y a une vérité de l’amour même si elle n’est pas de l’ordre de l’exactitude, ni d’une charité universelle mais plutôt de l’authenticité du désir. Et cette vérité qui lui donne corps est ce qui le rend cruel lorsqu’il n’est pas réciproque. Même si l’amour se nourrit d’illusions et de tromperies, ce n’est pas du tout une pure fiction. Il y a un enjeu de vérité absolument primordial. L’amour doit être vrai, c’est pour cela qu’on ne peut le commander, il doit plutôt même contredire le commandement pour paraître sincère. L’amour réduit au devoir est la pire des hypocrisies et des soumissions ("La violence qu’on se fait pour demeurer fidèle à ce qu’on aime ne vaut donc guère mieux qu’une infidélité" La Rochefoucauld, 381). C’est parce que l’amour doit être vrai et libre qu’il ne peut être ordonné ni garanti, événement à chaque fois improbable et renouvelé car l’amour donne lieu et corps, il est incarnation, moment d’éternité unique. L’amour ne peut jamais être un droit car il doit est libre et il s’adresse à une liberté qu’on ne peut ni acheter ni contraindre, mais c’est pour cela aussi qu’il est si cruel, d’une cruauté qu’on ne saurait tolérer ailleurs et qui peut aller jusqu’à mort d’homme, au nom d’une vérité supérieure, celle du sentiment ou du désir, de la liberté elle-même, liberté de choisir et de dire non. C’est peut-être le dernier domaine où chacun sait qu’on joue avec sa vie. Répétons-le, ne cherchez pas ailleurs l’origine du mal, de la haine, de l’injustice, de la domination (qui n’est pas toujours masculine mais celui qui domine, c’est celui qui aime le moins et c’est l’homme le plus souvent). Vérité et illusions, liberté et aliénation, amour et haine, joies et regrets sont complètement indissociables.

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