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Europe : la plainte finira-t-elle en gémissement ?

22 février 2008, 19:22, par Laure

SUITE REPONSE 2

Si je comprends bien ce que vous écrivez, vous argumentez à partir du fait que l’article 3 protocole 1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH) ne s’applique pas en l’espèce, parce que le traité de Lisbonne peut légalement (juridiquement) se passer de l’élection de représentants "aptes à légiférer" quant à son élaboration. C’est en effet ce qui s’est passé et vous en concluez donc que notre requête serait irrecevable.

Or pour vous suivre il faudrait admettre que ce traité n’est pas une loi et/ou n’aura pas force de loi. Pourtant, d’après tout ce que j’ai pu lire et les souvenirs qui me reviennent de mes lointains cours de droit, un texte dont l’objet est de définir des règles (de droit) contraignantes et qui établit des critères juridiques, peut s’entendre comme un texte de loi.

Personne ne peut le nier, comme nous l’avons précisé dans la requête : " Les traités communautaires, dont de nombreuses dispositions sont pourvues de l’effet direct, s’appliquent de la même manière que les lois internes adoptées par les parlements nationaux. "

Le fait également que ces règles et le droit adopté par l’Union, sur la base des traités, priment le droit des états membres, comme l’indique le traité de Lisbonne dans sa déclaration 27 relative à la primauté, semble aussi indiquer que ce traité aura valeur supra-nationale pour des règles contraignantes qui auront donc bien valeur de lois.

Le fait que ce traité ait été élaboré hors du champs traditionnel de l’élaboration des lois (le fameux "choix du corps législatif", cet organe qui est censé élaborer les lois dans une démocratie), est lui aussi indéniable si l’on considère que dans toute démocratie qui se respecte, les représentants, élus par le peuple, élaborent les lois qui s’appliquent à lui. Or ce traité, cette loi, s’appliquera bien à la France.

Vous écrivez également que

"la Cour ayant souligné la portée nationale des actes législatifs européens, dans l’arrêt Matthews en 1999, ceux-ci ne peuvent être contraires à la Constitution de chaque pays"

et vous en déduisez que la Cour se prononcerait plus favorablement à une requête fondée sur la Charte des Droits fondamentaux que sur la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.

Outre le fait que nos argumentations sont radicalement différentes, la notre se fondant, entre autre, sur le traité de Lisbonne, la CIG qui l’a élaboré sans que ses représentants français soient élus, et sur la CESDH, votre raisonnement est inexact, comme vous l’expose à nouveau Guillaume :

L’incompétence de la Cour pour juger une infraction à la Charte :

En premier lieu, la base même du raisonnement de M. Colomyes repose sur une erreur grossière. Il ne s’agit pas d’un point de droit qui serait obscur ou debattu. Il s’agit d’une erreur extrêmement grave.

Dans son article il affirme que la Cour EDH est compétente pour « juger des infractions aux principes définis dans [la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne] ».

Cette affirmation est fausse, irrémédiablement. S’il est vrai que la Cour européenne des droits de l’Homme invoque dans certains cas la charte des droits fondamentaux de l’Union, c’est seulement en complément à son raisonnement sur la base de la Convention EDH, notamment pour appuyer une lecture modernisée de certaines dispositions de la Convention (voir en ce sens, CEDH, Christine Goodwin, 2002, sur le droit des transsexuels au mariage). Cela ne signifie pas que l’on puisse invoquer la Charte de manière autonome sans se fonder sur une disposition de la Convention.

La Cour EDH est compétente exclusivement pour constater une violation au regard de la Convention EDH. Elle ne peut pas constater une violation au regard de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Il suffit aux personnes qui voudraient vérifier par elles-mêmes ce point de lire l’article 34 de la Convention EDH qui fixe les conditions dans lesquelles on peu porter plainte devant la Cour.

Selon cet article :
« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. »

Pour saisir la Cour il faut donc se prétendre victime d’une violation de la Convention. On ne peut pas saisir la Cour si l’on se prétend seulement victime d’une violation de la Charte des droits fondamentaux. La Cour ne peut pas constater une violation au regard de la Charte. Au surplus, jusqu’à ce que le traité de Lisbonne entre en vigueur, à la fin du processus de ratification par les Etats membres d’ici 2009, la Charte n’a pas valeur contraignante.

Si toutefois je suivais quand-même votre raisonnement et que la Cour considérait bien que les actes législatifs européens (dont font partie les traités) ne peuvent être contraires à la Constitution d’un pays, serait-il absurde de penser que la Cour pourrait aussi tout aussi bien considérer, en vertu de l’article 3 du protocole 1, que la Conférence Intergouvernementale chargée d’élaborer le traité de Lisbonne, peut s’entendre comme un "corps législatif", puisque cette CIG a, de fait, élaboré un texte qui est une loi et qui s’appliquera à la France ?

C’est ce que Guillaume, notre juriste s’applique entre autre à démontrer dans la requête (l’avez-vous lue dans son intégralité ?).