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Le mégaphone comme idéal platonicien, par Michel Onfray

6 juin 2009, 14:32, par JCB NPA54

Une réponse d’un camarade ex-LCR non NPA à un camarade PCF qui lui avait adressé ce texte :

Cher Christian,
Je lis toujours avec intérêt les textes que tu m’envoies et qui complètent la lecture quotidienne de l’Huma. Je revendique, pour moi comme pour tout le monde, toute liberté de jugement sur la tactique (électorale entre autres) des uns et des autres, et ne fais pas mystère de mon désaccord avec celle qui a été adoptée par le congrès du NPA.
Mais pour débattre, encore faut-il laisser au vestiaire les expressions injurieuses et les insultes, et reconnaître a priori aux partenaires le bénéfice de la bonne foi. C’est pourquoi je regrette que tu aies cru bon de diffuser ce pamphlet insultant commis par Michel Onfray, et qui ne fait hélas que s’inscrire dans une suite d’insinuations malveillantes que l’Huma distille complaisamment depuis quelque temps en s’affranchissant des limites et du respect mutuel nécessaires pour que les débats entre orientations et tactiques divergentes se mènent fructueusement.
Rappelons, dans le prolongement de quelques autres, l’écho venimeux de l’Huma du 27 mai concernant la présence d’Alain Mosconi sur la liste du NPA Sud-Est, du reste piteusement désavoué dans le n° du 29 mai. Cela est en soi déjà fort déplaisant et peu fécond pour les relations entre anticapitalistes, j’ajoute que c’est encore plus intolérable pour ceux de ma génération qui ont connu l’époque des « gauchistes-Marcellin », des amalgames injurieux proférés en public dans les réunions et congrès, et des SO musclés faisant valoir leur vigueur « prolétarienne » essentiellement sur le dos des militants qui ne s’alignaient pas sur les choix et directives du « parti de la classe ouvrière », en bonne compagnie alors de certains apparatchiks du PS qui ont quelquefois prétendu nous arracher nos tracts des mains à l’entrée de réunions publiques.

Michel Onfray jouit d’une audience indéniable auprès de ceux d’entre nous qu’intéressent les questions philosophiques, et il vaut mieux laisser à d’autres, dotés des compétences nécessaires, le soin d’examiner sérieusement ses assertions. La verve qu’il sait déployer lui conquiert assurément bien des suffrages, mais ce ne serait pas le premier à abuser d’une position légitimement acquise sur le terrain littéraire pour se croire autorisé à étendre l’autorité de son jugement à des domaines qui n’en relèvent qu’en passant par un nombre élevé de médiations.

Qu’il accorde son suffrage au Front de Gauche et le fasse savoir n’est évidemment pas un problème, mais le profil de son argumentation le range malheureusement dans une filiation qui ne lui fait pas honneur.

Que dit-il en effet ?
1. le NPA n’a aucun « véritable souci de s’attaquer à la misère réelle », sa position est « pure, certes, mais totalement inefficace pour les pauvres qui "trinquent" tous les jours ». C’est le grand jeu, apparemment inépuisable, des « réalistes » proches des « gens » contre les « utopistes » coupés du peuple. On peut évidemment débattre sereinement, ce qui ne veut pas dire sans passion, de l’efficacité comparée de différentes orientations. On pourrait à ce sujet faire l’inventaire des mesures qui ont été adoptées du temps où « nous étions ministres », nous, Marie-Georges et Jean-Luc, sans vouloir remonter plus loin encore. Mais passons. Cela supposerait de toute façon que l’on accorde a priori à tout le monde le bénéfice de la « bonne volonté », ce que précisément M. Onfray refuse au NPA en le traitant à plusieurs reprises de « boutiquier ». Et en lui supposant des « chefs méprisant la populace ». Nous ne sommes plus loin, nous sommes même peut-être au-delà de la figure de sinistre mémoire des « petits-bourgeois étrangers à la classe ouvrière ». Il est possible que Michel Onfray fraie de nouveaux chemins dans l’enseignement de la philosophie, mais en matière de polémique politique, non seulement, il ne crée rien, mais il copie, voire surpasse d’anciens modèles qu’on aurait voulu croire oubliés, quand ce ne serait que pour sauver leur honneur. Comme quoi on ne gagne rien à effacer le passé sans en faire l’inventaire.

2. Le NPA n’est même pas « capable de présider aux destinées d’un village de campagne ». Outre que M. Onfray manifeste ainsi son ignorance de l’implantation réelle du NPA , il expédie ainsi dans une figure purement rhétorique la question ô combien réaliste de la gestion des communautés locales et régionales. En exécutant une pirouette, il en esquive le bilan. Que dire de la dernière mesure connue du Conseil Régional de Lorraine confiant au privé l’entretien de quatre lycées technologiques, mesure contre laquelle se sont prononcés à notre connaissance seulement trois conseillers (dont un qui soutient par ailleurs le Front de Gauche, une qui est chez les Verts, mais aucun du PCF – le PG n’y étant, je crois, pas représenté) ?

3. « le NPA a réellement le pouvoir d’inverser le rapport de forces, puis d’en créer un autre sur la base d’une large et réelle union des gauches antilibérales. » Pour mieux accréditer la thèse de la responsabilité exclusive du NPA, il est habile de le créditer, au prix d’une contradiction avec ce qui est dit par ailleurs (loin des réalités, indifférent aux souffrances du peuple, inefficace) d’une capacité qu’il refuserait de mettre en œuvre pour gagner une majorité décisive dans les rapports de force internes à la gauche. Cela reprend bien sûr l’illusion complaisamment assénée avant les présidentielles sur la « gagne »et qui s’est révélée n’être en fin de compte qu’une sorte de gri-gri agité pour faire avaliser des choix qu’on savait autrement impossibles à faire entériner. Bien entendu, il n’est pas fait référence à l’époque où, dans la gauche, le PC pesait 20% ou plus et aux fruits qui ont poussé sur ce rapport de forces.

4. Mais il ne s’agit pas en fait de cela, il s’agit par précaution de rendre à l’avance le NPA, l’âne dont vient tout le mal, responsable de ce que « faute d’union du NPA avec le restant de la gauche antilibérale (...) cette dernière se trouvera dans l’obligation d’alliances avec le Parti socialiste. » « le NPA envoie la gauche antilibérale dans les bras du PS ». Quod erat demonstrandum. Ce faisant, le NPA devient « un allié objectif de l’UMP, du PS libéral et des alliances de ce PS avec le MoDem. » Bigre ! Ne nous appesantissons pas sur l’éventuel distinguo entre le « Parti Socialiste » auquel il faudra, par la faute du NPA, s’allier, et le « PS libéral » qui incarne l’adversaire absolu. Un philosophe a peut-être droit à son quota d’indulgence dans les choses politiques. Mais quand même, on prêtait au PCF et au PG une réelle liberté dans la détermination de leurs alliances, et on ne les savait pas aussi étroitement vassalisés par le NPA, qui, apparemment, en dépit de son inefficacité, détiendrait toutes les clés de la situation dans le coffre-fort de la rue Richard-Lenoir à Montreuil. On ne savait pas que Strauss-Kahn, Ségolène Royal et Martine Aubry scrutaient chaque matin le baromètre du NPA pour décider de leurs alliances. On appréciera sans doute à son poids historique le terme choisi « d’allié objectif » - Michel Onfray est un orfèvre du langage, et sait toujours d’où il puise les expressions significatives et de quoi elles sont lestées. On aura bien du mal à croire qu’il ignore de quel arsenal – qu’on s’imaginait désaffecté - il a tiré ce concept qui a autrefois littéralement tué et assassiné dans le mouvement ouvrier. Triste épisode pour un virtuose de l’analyse et de l’histoire des idées.

5. Les camarades Picquet, Faradji, Malaisé, auraient été « conduits (...) vers la sortie par les anciens trotskistes... ». Je ne suis pas vraiment sûr que ces camarades apprécient beaucoup la formule. Que l’on sache, ils ne renient pas leur « trotskisme », au contraire. Mais Michel Onfray sait-il qu’avec ses grands airs innocents et érudits, il fait vibrer une vieille corde un peu distendue et rongée par les ans ? A lui de nous dire quel oxymore il préfère : les « aubry-trotskistes », les « modémo-trotskistes », les « sarko-trotskistes » ?

Bref, peu de politique là-dedans, mais beaucoup de fléchettes qu’il aurait mieux valu laisser rouiller dans les poubelles. Quitte à en garder quelques exemplaires dans un mémorial pour servir à l’instruction et à la mise en garde des jeunes générations.

Tu voudras bien excuser, cher Christian, la vivacité de certaines formulations. Je n’ai pu y échapper à la lecture de ce texte malencontreux. Bien entendu, cela ne change rien aux coopérations en cours, ni, je l’espère, à celles à venir.
Cordialement
Gérard