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COMMUNIQUE DE JEAN-CLAUDE LEFORT "GAZA FREEDOM MARCH"

2 janvier 2010, 10:04, par Katia Sabet

Ce qui se passe, vu de l’interieur, c’est a dire d’Egypte.
Katia Sabet

Pourquoi une Juive américaine de 85 ans, Hedi Epstein, rescapée de la Shoah, fait la grève de la faim sur le trottoir de l’Ambassade de France au Caire, pour protester du fait qu’on ne lui permet pas d’entrer à Gaza ?
Pourquoi des centaines de pacifistes étrangers manifestent dans les rues du Caire parce qu’on les laisse pas aller à Gaza, et pourquoi la police intervient pour les disperser ?
Parce que Hedi et ses compagnons se trouvent pris dans un engrenage dont ils ne comprennent pas le fonctionnement. Ils pensent encore que le monde est régi par les bons sentiments, par la justice, l’honnêteté morale et la compassion : or le monde est régi par une inextinguible soif de pouvoir, accompagnée de calculs financiers et économiques, le tout assaisonné de cynisme et d’indifférence pour le sort des masses.
Aux yeux de ceux qui décident, Hedi et ses amis ne représentent que les pions d’un jeu dépravé. Et quand ils essayent de s’y opposer, de clamer leur désaccord, voire leur indignation, les meneurs du jeu s’emparent d’eux et les utilisent quand même à leur fin. Qui est, on s’en doute, de détourner l’attention des principaux responsables de la situation actuelle à Gaza et ailleurs, et d’en faire porter la faute à d’autres (en l’occurrence le gouvernement égyptien) aux yeux de l’opinion publique mondiale et des Palestiniens eux-mêmes.
Oublié, le fait que depuis des années Israël emprisonne la population de Gaza dans un siège inhumain. Oublié le fait encore plus grave que le reste de la population palestinienne est soumis à toute sorte de privations, vexations, de limitations de la liberté personnelle, humiliations et dénis de justices variés. On parle du mur souterrain en acier que l’Égypte construirait pour isoler Gaza, et on en oublie pour autant le mur bien visible, bien dressé dans le ciel, qui sépare les villages palestiniens des champs qui les entourent, des écoles, des hôpitaux, de la liberté. On parle d’une caravane humanitaire qui est bloquée à Aqaba par l’Égypte, et on oublie de se demander pourquoi cette caravane humanitaire existe et veut atteindre Gaza.
Bref : dans la tragédie du Moyen Orient, ce n’est plus Israël qui est indiqué du doigt, mais d’autres, en l’occurrence l’Égypte. Le tout grâce à un mélange subtil de fourberie, de manigances et d’endoctrinement tout à fait symptomatiques des temps qui courent, et qui présentent en plus l’avantage d’être aussi simples à mettre en place que l’œuf de Colomb. L’enfance de l’art.
Résumons les faits : un convoi, constitué au début de 80 véhicules chargés d’aide humanitaire, et portant le nom de Viva Palestina, quitte la Grande-Bretagne le dimanche 6 décembre à destination de Gaza, pour un voyage de près de 5.000 kms. Après avoir traversé la Manche, la Belgique et le Luxembourg, le convoi s’arrête à Esslingsen, Allemagne, le soir du 7 décembre. Le 10, il arrive à Ancona, en Italie, pour s’embarquer vers la Grèce.
Le 11, traversée en bateau, arrivée dans le port d’Igoumenitsa, puis le convoi traverse les montagnes enneigées de la Grèce vers Istanbul, en Turquie, où un autre important convoi turc le rejoint. À ce moment, une mauvaise nouvelle tombe, sans qu’on sache exactement d’où elle vient : les autorités égyptiennes pourraient empêcher le convoi d’entrer en Egypte, ce qui met en question l’arrivée à Rafah (à la frontière avec Gaza) prévue pour dimanche 27 décembre.
En réalité, les autorités égyptiennes n’ont pas d’objection à ce que le convoi arrive en Égypte, mais demandent aux organisateurs de se diriger vers le port égyptien de Al Ariche, situé à 50 km de Rafah.
Les raisons de cette requête précise sont évidentes, même si personne n’en parle : dans l’état actuel des pourparlers de paix israélo-palestiniens, la position égyptienne par rapport à son opinion publique est des plus délicates. Au moment où le gouvernement égyptien essaye de jouer les modérateurs, et d’exploiter au maximum les ficelles de la diplomatie, l’indignation pour le comportement inhumain d’Israël envers le peuple palestinien ne fait que s’accroitre dans l’esprit de l’homme de la rue, et le passage trop visible d’une caravane « européenne » à destination des assiégés de Gaza pourrait être utilisée par les fondamentalistes de tout bord pour créer des désordres. C’est exactement ce que l’Égypte veut éviter, surtout dans l’imminence de la visite de l’Israélien Netanyahu au Caire.
Ici il se passe quelque chose de bizarre : les dirigeants du convoi (qui maintenant est devenu une énorme caravane de 250 véhicules, dont près de la moitié sont des ambulances) décident de ne pas tenir compte des desiderata égyptiens et se dirigent par contre vers la Syrie. Ils la traversent, traversent la Jordanie et finissent par arriver dans le port jordanien de Aqaba, sur la Mer Rouge, allongeant ainsi leur périple de plus de 600 kilomètres.
À ce moment un bras de fer s’installe entre les autorités égyptiennes qui refusent le passage du convoi en territoire égyptien et les « bénévoles » venus d’Europe et de Turquie qui protestent. La presse s’empare de l’affaire et l’Égypte est durement critiquée. Finalement, le convoi repart pour le port syrien de Latakieh (encore 600 km de route) où ils s’embarquera finalement pour Al Ariche.
En même temps, voici qu’arrivent au Caire près de 1300 personnes venues de 43 pays, Européens, Indiens, Américains, pour organiser une "Marche" qui traversera l’Égypte du nord en direction de Rafah, à la frontière égypto-palestinienne. Ces personnes font du zèle, des sit-in devant le Musée du Caire, déploient le drapeau palestinien sur une Pyramide, courent dans les rues avec le slogan « Boycott Israël » écrit sur le dos de leur tee-shirt, le bras levé, index et médius écartés en signe de victoire. Des passants égyptiens commencent à se joindre à eux, et ils sont très nombreux, toujours plus nombreux : or il n’y a rien de plus inflammable, de plus instable et imprévisible qu’une foule qui se donne de bonnes raisons pour devenir violente : le Caire en a fait la triste expérience à plusieurs reprises au cours de son histoire récente.
Jeudi, la police est intervenue pour disperser la foule, et voici que les manchettes du vendredi clament que « La police égyptienne charge des pacifistes qui manifestaient en faveur de la levée du siège de Gaza ».
Qui ne serait pas scandalisé ? Qui ne serait pas indigné, furieux et révolté ?
Or ces sentiments extrêmes risquent de compromettre l’atmosphère des futurs et énièmes « pourparlers de paix » que, paraît-il, Netanyahu est venu angéliquement proposer aux responsables égyptiens. Après tout ce battage médiatique, ces derniers y paraîtront comme des « amis d’Israël », des « complaisants valets des EU », donc peu crédibles et peu fiables, même aux yeux des Palestiniens.
Un sale, sale jeu.