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Guerre d’Algérie - Ce que me semblent cacher les critiques post-mortem à A. CAMUS

12 janvier 2010, 11:22, par La Louve

J’en ai assez des "opinions" sur la question, j’aimerais, pour une fois lire un travail sérieux et documenté PAR l’OEUVRE DE CAMUS, sur le prétendu colonialisme de Camus - mais manifestement ça n’existe pas.

Outre que le fait de rendre UNE PERSONNE (qui plus est morte et ne pouvant pas se défendre) responsable de tous les maux de cette guerre, je constate que tout le monde se répète une fable de décennie en décennie sans toutefois JAMAIS se frotter à l’œuvre (romans essais articles...) elle même - et pour cause.

Le fond du problème, c’est que rétrospectivement, les prises de position de Camus sont justes à certains égards (son analyse de l’avenir politique du monde ,de l’Algérie, de la France...) quant à ce que peut donner une indépendance obtenue dans ces conditions.

Je pense que la seule chose rationnelle et FONDÉE, que l’on peut dire est que Camus aurait souhaité une indépendance de l’Algérie qui versât moins de sang innocent, et dans laquelle ce qu’il estimait être les "différents peuples d’Algérie" y compris les pieds-noirs, auraient pu vivre en bonne intelligence dans un pays libéré. Si avoir formé ce vœu, en étant directement concerné dans sa chair, comme "pied noir" , et tout en s’étant BATTU inlassablement contre les représailles de l’État français, y compris en prenant part au procès de nombreux mb du MNA de M Hadj, c’est être un "colonialiste", et bien les bras m’en tombent.

Qu’on le fasse de surcroît en faisant appel à Marx et au communisme, alors là, je dois dire que c’est encore plus fort !!

Qu’ensuite, on critique cette philosophie que Sartre disait "statique", et qu’on pourrait dire presque plutôt éthique, ou kantienne, et qu’on pense que dans de telles circonstances, non seulement elle n’était pas applicable mais encore, qu’elle n’était pas acceptable et qu’elle était un frein à la lutte pour l"indépendance, cela je l’entends bcp plus aisément et je n’ai pas d’avis tranché sur la question.

Personnellement je me garderais bien de donner des leçons, surtout rétrospectives, sur de tels sujets, n’ayant jamais été en SITUATION. Je me pose toujours la question de savoir par exemple, au sujet de la révolution en tant qu’elle peut être moment de violence et d’exception, si celle ci devait impliquer que je condamne mon FRERE ou ma SOEUR à mort au nom de cette révolution, que ferai-je ?... Bien malin qui peut dire sans hésiter "j’appuierai sur le bouton" !!!!

Mon outrecuidance ;) ne va pas jusqu’à me croire capable de choses dont j’ignore la réalité la plus crue.

En effet, je n’ai jamais vu mourir un homme devant mes yeux, éventré par une balle, mutilé par un éclat d’obus. Je n’ai jamais TUE personne de MES MAINS, je n’ai jamais vu quelqu’un être torturé ou égorgé ; "Dieu merci", je n’ai jamais fait la guerre (comme je pense la grande majorité des gens qui fréquentent ce site ou d’autres d’ailleurs, par la force des choses...) Comment parler de LA MORT de façon détachée, en étant sur de soi, dans de telles conditions ?

Ensuite il n’y a pas de solution à l’heure actuelle à "comment obtenir son indépendance d’un oppresseur sans adopter en retour son comportement ?".

C’est une question tout simplement tragique qui agite le communisme depuis des lustres, peut être LA contradiction à ce qui se réclame du communisme : LA FIN/ LES MOYENS.

Que le capitalisme en fasse l’économie, c’est bien "normal" - c’est un système pourri.

Mais NOUS ?

Est ce que ce n’est pas un "autre monde" que nous voulons ?

Le bien de l’humanité, par la domination préalable d’un prolétariat supposé être meilleur et plus éclairé, plus humain que ses exploiteurs ?

Je pense que nous ne sommes pas assez civilisés, assez éduqués, assez intelligents, pour avoir la réponse pour le moment, mais je ne désespère pas . (Et d’où l’importance pour les communistes de placer au cœur de notre combat celui de l’enseignement et de la culture, au sens le plus étendu possible) Car il va de soi que, pour moi, la solution angélique du "tendre l’autre joue" n’est pas "LA" solution non plus - et elle ne l’était pas pour Camus NON PLUS.

Je n’admets pas non plus les gens qui prennent plaisir à se vautrer dans la "repentance" ou la "haine de soi". Simplement parce que cela dénote une faiblesse dialectique et une fainéantise intellectuelle conséquente.

Cela étant dit tant que nous n’aurons pas résolu cette contradiction ÉNORME, autrement que par les solutions de facilité essayées jusqu’à présent, tout projet communiste ou s’en réclamant est voué à l’échec, je le crains car si nous n’aspirons plus qu’à "prendre la place" des capitalistes dans leurs "vêtements" d’oppresseurs, in fine , qu’avons nous à offrir de mieux, d’autre, que le capitalisme ? Une économie plus ou moins collectiviste ou nationalisée ? C’est mieux que rien mais est ce que vous croyez que les gens vont accepter que le sang soit versé pour cela ?

Est ce ça ce qu’est devenu notre ESPOIR, notre utopie ? (et n’est ce pas d’une certaine manière ce qu’on constate tous les jours avec les cycles électoraux sans remise en question du système bourgeois ?).

Et avec le recul, à l’indépendance algérienne telle qu’elle a été gagnée (et encore une fois, ceci existe et c’est une bonne chose car le colonialisme est inacceptable),ne peut on "opposer" la libération de Cuba ?

Non pas pour "donner la leçon" à ce qui bien plus grands que moi, firent l’indépendance de l’Algérie, ni pour "rejouer le match" ou donner des leçon à bon compte et commodément installée dan mon fauteuil, non, mais pour tirer des leçons, pour l’AVENIR.

J’ai bien conscience de ce que ce type de "comparaison" a de théorique, chaque situation étant nécessairement "particulière". Mais quand même.

Indépendance cubaine qui ne s’est pas faite avec des roses et des mots doux, qui était une guerre également, et de "décolonisation" aussi, sans aucun doute, mais qui, à ma modeste connaissance, n’a pas connu le déferlement de violences presque barbares des deux côtés. Les opprimés ont gardé un minimum d’humanité et de recul dans la lutte pour leur émancipation.

Et c’est peut être pour cela que le devenir de ce socialisme a été aussi pérenne jusqu’à présent dans un monde pourtant capitaliste. Et c’est peut être pour cela que Castro et Guevara se sont toujours tenus paradoxalement éloignés le plus possible de l’URSS, et du communisme tel que revendiqué par celle-ci alors.

Ce mouvement SOCIALISTE de libération et d’indépendance nationale de l’Algérie existait aussi en Algérie. Il existait dans le FLN ,au sein d’un courant précis, et en dehors du FLN - Qui l’a abattu et pourquoi ?

Voilà - théorie et pratique, oui, mais à quel prix pour des communistes qui prétendent (à juste titre je l e pense toujours) incarner l’avenir meilleur de l’homme passant par la classe ouvrière ?

Je n’ai pas la réponse à cette question.
Mais je pense qu’elle doit JUSTEMENT être posée, exactement pour cette raison.

ps : quant à Sartre je pense, comme la plupart des gens raisonnables qui aiment pouvoir assumer en actes ce qu’ils disent en paroles, qu’on ne peut pas prôner de choses qu’on n’est pas en état d’appliquer immédiatement soi même d’abord. Quant on voit comment Sartre a fini limite sioniste rétrospectivement, en employant EXACTEMENT les mêmes arguments que Camus mais cette fois à son compte ("le peuple palestinien que je soutiens et Israël dont je suis l’ami") http://ha.ina.fr/video/CAA7601366101/sartre-docteur-honoris-causa-israel.fr.html, c’est sa lutte pour "l’Algérie indépendante" qui rétrospectivement pourrait faire "rigoler" d’un point de vue ÉTHIQUE - on donne des leçons à bon compte quand on n’est pas directement concerné, le "nez dan la merde", et facilement en plus...) La vieillesse est un naufrage ou Sartre était il un flagorneur ?

Je laisse le "mot de la fin" à ce court extrait d’une interview de Mouloud MAMMERI, qui est assez court, mais qui me semble juste et honnête, et qui est dans cette collection d’affirmations, une forme de justice à Camus, sensible et finalement assez "camusienne".

http://ha.ina.fr/video/I09335540/mouloud-mammeri-et-la-vision-de-l-algerie-de-camus.fr.html