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À qui profite Offshore Leaks ?

par Myret Zaki

Publie le dimanche 7 avril 2013 par Myret Zaki - Open-Publishing
6 commentaires

Ce qu’on a, pour l’heure, c’est du vent. En outre, qui donc a piraté ces données ? D’où vient ce mystérieux disque dur ? Aucune information à ce sujet.
« Offshore Leaks ». Un beau matin du 3 avril 2013, l’opération ainsi baptisée nous tombait du ciel, sous forme d’annonces coordonnées de plusieurs journaux internationaux, à grand renforts de teasers et de mises en appétit sensationnelles. On allait nous révéler les dessous du monde opaque de l’évasion fiscale internationale. De grands noms d’évadés fiscaux illustres allaient sortir. Des personnalités de haut rang seraient compromises.

Mais concrètement, seule la taille de l’opération était au centre des premiers articles : le nombre de documents concernant des sociétés offshore (2,5 millions !), le nombre de sociétés offshore dévoilées (122 000 !), le nombre de Gigaoctets que pèsent les données (260 !). Des chiffres se voulant impressionnants, des promesses d’informations plus que juteuses.

L’opération, qui portait déjà un nom très vendeur à sa sortie, faisant opportunément référence au fameux site Wikileaks, est organisée en tous points à la manière de la sortie d’un iPone 6 par Apple, sauf qu’ici, c’est le Consortium international des journalistes d’investigation qui en est à l’origine, même si les données en elles-mêmes lui sont tombées rôties dans la main, il y a un an, lorsqu’il a reçu un paquet anonyme contenant un disque dur de données volées. La distillation des informations par les journaux, opération soigneusement concertée, semble suivre un planning bien préparé, chaque journal sortant au même instant un article sur l’opération, mais qui pour l’heure laisse perplexe en termes d’apport concret d’informations.

Un pétard mouillé ?

S’agit-il d’un pétard mouillé ? Il est peut-être prématuré d’émettre un avis à ce stade. Mais jusqu’ici, ce qu’on a, disons-le, c’est du vent. Sur les 130 noms français dévoilés, il n’y en a qu’un de connu : celui de Jean-Jacques Augier, le trésorier de la campagne présidentielle de François Hollande, sur lequel on a uniquement des révélations à ce stade bénignes : il a ouvert durant les années 2000 deux sociétés aux Iles Caïmans, ce qui en soi n’a rien d’illégal à moins de prouver qu’il les a utilisées pour cacher des revenus non déclarés ou de l’argent d’origine criminelle.

Pour la Suisse, on a pour l’instant le nom d’un mort, le photographe Gunter Sachs, qui aurait détenu entre 1993 et 2007 deux sociétés offshore aux Iles Cook, ainsi que cinq trusts. Clairement, l’héritier de la fortune de la famille von Opel a recouru à des arrangements permettant, si ce n’est d’évader entièrement les impôts, du moins clairement de les minimiser. Il est toutefois certain que des vivants aussi recourent à ces structures, mais les connaîtra-t-on ? Pour le reste, surgissent de-ci de-là des mentions de dentistes américains, d’anciens politicaillons asiatiques, de collectionneuse d’art espagnole. Rien de fracassant.

Au demeurant, pour mettre les choses en perspective, soulignons que les 120 000 sociétés offshore dévoilées par cette "méga-opération" pâlissent quand on sait que les seuls trois États américains du Delaware, du Wyoming et du Nevada renferment plus de 700 000 sociétés offshore. Aura-t-on la moindre information pertinente sur ces juridictions-là qui figurent parmi les plus opaques au monde ?

Par ailleurs, il manque l’essentiel. Lorsqu’on dévoile ainsi une base de données volée à des intermédiaires financiers des Iles Vierges Britanniques et de Singapour, la première chose que l’on attendrait d’un consortium de journalistes d’investigation, c’est qu’il nous informe sur l’identité du voleur. Qui donc a piraté ces données ? D’où vient ce mystérieux disque dur, arrivé dans un paquet anonyme ? Avant de s’enthousiasmer et d’avaler tout droit ces informations, il convient de s’interroger sur qui a intérêt à les livrer ainsi en pâture, et qui sera balancé aux médias, et qui sera éventuellement protégé.

Comment le lecteur peut-il être sûr qu’un gouvernement intéressé n’est pas derrière cette opération ? À l’époque des enquêtes sur les activités d’Al Qaïda en Suisse, par exemple, des renseignements étaient directement faxés par le gouvernement américain à certaines rédactions, sans que cela ne soit mentionné dans les articles. Dans le cas présent, si le Consortium international de journalistes d’investigation s’est engagé à ne pas divulguer la source, qu’il le dise clairement. Mais il manquera toujours, aux lecteurs, cette information essentielle.

Dans le cas de Wikileaks, au moins, on savait qui étaient les opérateurs du site. Dans le cas du livre d’Antoine Peillon sur UBS France, sur lequel j’ai pourtant émis un certain nombre de critiques, il avait le mérite de n’avoir pas fait secret du fait que la plupart de ses informations provenaient des services de renseignements français. Dans le cas des CD volés au Liechtenstein et à la banque HSBC à Genève, et des données sorties de la banque Julius Baer aux Caïmans, on connaissait l’identité des « agents » ayant fait sortir les informations : Heinrich Kieber, Hervé Falciani, et Rudolf Elmer. Quant à Offshore Leaks, on attend toujours de savoir de qui provient ce disque dur, information totalement passée à la trappe.

Mais surtout, après toute cette hyperventilation, lorsqu’on en viendra aux informations concrètes, qu’est-ce qui en sortira, au final ?

Myret Zaki
http://fr.wikipedia.org/wiki/Myret_Zaki

Messages

  • Effectivement je me pose des questions. En gros ...
    Dans le Monde reçu ce matin, à travers le titre (la perquisition de la banque suisse qui a amené Cahuzac à se dénoncer). Ah bon, je croyais que c’était Médiapart l’origine de tout ça. Le Monde tire la couverture (sur son enquête creuse). Plus loin dans l’article on parle de perquisitions en Suisse le 22 Mars, toujours sans préciser que Médiapart est à l’origine ...
    A longueur de C’est dans l’air ou autres émissions TV, on nous dit que maintenant que Mediapart a gagné le pompom, tout ce qu’ils diront sera cru (sous entendu, ils continueront de dire n’importe quoi).
    Il n’y a peut être que Pujadas (eh oui) qui a invité Edwy Plenel et Bayou (qui a noté le taux de réussite de Médiapart).
    Oui Mediapart semble le site à abattre. Et tout le reste n’est que rideau de fumée. Cela fait 10 ans qu’ATTAC avait publié une étude sacrément documentée montrant que 30% du chiffra d’affaire des multinationales c’était du blanchiment. Que ces multinationales étaient addossées à des législations nationales élaborées par nos Chuzac, Woerth etc ...
    La société du spectacle, les dîners du Siècle, les nouveaux chiens de garde. Rien de nouveau sous le soleil.

    Si peut être : arrêter un jour de se mouler et de se faire contraindre par cet Etat, dans cet Etat. Arrêter avec les mascarades électoralistes et autres rénovation de cette "République", forme la plus avancée du pouvoir de la Bourgeoisie.

    • "poil à gratter"c’est évident que Le Monde comme autres médias essaie de remonter leur crédibilité âpres avoir fracasse Mediapart... Mais faut pas rêver même Mediapart, comme indirectement tu le confirme na pas repris de ça création l’étude de ATTAC, on est plus dans un conteste commercial, pour trouver des scoops, chez Mediapart, que dans un engagement politique...

  • Médiapart s’était conduit en salopard comme tous les autres journaux quand Denis Robert croulait sous les procès. Et quand la qualité de son travail sur la chambre de compensation Cleastream a été reconnue par les tribunaux, Médiapart n’a pas fait de mea-culpa.

    • Effectivement j’avais eu l’occasion de rencontrer Denis Robert lors d’une conférence à Ploézal (Bretagne). Et j’avais été étonné du peu de soutien de Médiapart. Il m’avait dit en substance qu’Edwy Plenel n’avait pas trouvé son dossier (à ses débuts ?) sufisamment étayé. De toute façon, effectivement, même Médiapart est "contraint" par les Lois du marché et la logique des médias

  • Il y a des remarques légitimes, mais il ne faut pas pousser.
    Myret Zaki met le lien vers Wiki, ce qui est honnête, mais son portrait "favorable au protectionnisme" et "la Suisse s’est fait avoir" ne m’incite pas à la suivre les yeux fermés. On ne doit pas demander l’auteur de la fuite, mais son sérieux et sa non manipulation (cfr l’affaire Cleastream).
    Il faut effectivement souligner :
    1/ Que les données détenues ne couvrent qu’une petite partie de l’offshore et moins encore du monde du paradis fiscal
    2/ Que les infos visent surtout des paradis du monde anglais, et qu’on peut donc se demander si cela ne cache pas une manoeuvre,
    3/ Que la présentation ronflante et distillante cache (mal) une difficulté à publier du croustillant autant que du légitime et qu’elle s’accompagne d’une promotion des titres participants et des journalistes (comme s’ils étaient des héros) qui est dérangeante dans son vedettariat. JE ne vise pas les médias français, où l’affaire Cahuzac/médiapart renforce la confusion, mais LE SOIR qui invite Plenel à un positionnement de redresseur de torts qui rejaillit sur l’opération ’offshoreleaks’ menée par le Soir.
    4/ Un conseiller fiscal a déjà déclaré qu’on ne trouvera pas les vrais commanditaires, ce qui parait confirmé dans l’article du Guardian traduit par le Soir : un fichier difficilement ouvert contenait la colonne adhoc parfaitement vierge.
    Les journalistes tirent les sunlights vers eux, ce n’est pas cela qui va tuer le DElaware ou la City...

  • En ce qui concerne Denis Robert, « Mediapart », « Libé », « Le Monde », etc., etc., ne se sont pas gênés pour salement le dézinguer ! D’autre-part, ne rêvons pas trop !, « Le Monde » embraie sur le filon, rien de plus… Il ne dénoncera jamais les « vrais profiteurs » de toutes ces sales combines (et qui tirent les ficelles dans l’ombre, en attendant que l’orage passe…) En attendant ça fait vendre du "papier" ! sergio