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Affaire Karachi : Balladur et Léotard renvoyés devant la CJR

par Fabrice Lhomme et Gérard Davet

Publie le vendredi 7 février 2014 par Fabrice Lhomme et Gérard Davet - Open-Publishing

La Cour de justice de la République va enquêter sur Edouard Balladur et François Léotard. Conformément à l’avis du parquet de Paris qui avait, le 13 janvier, préconisé le renvoi d’une partie du dossier devant la CJR, les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, chargés du volet financier de l’affaire de Karachi, ont signé , vendredi 7 février, une « ordonnance d’incompétence ». En clair, ils estiment nécessaire de passer le relais à la CJR, seule juridiction habilitée à interroger puis, le cas échéant, poursuivre et enfin juger, des membres du gouvernement pour des crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.

Les deux magistrats enquêtent sur les dessous de plusieurs contrats d’armement passés dans les années 1990 et dont la véritable finalité aurait été un financement politique occulte. Les investigations des magistrats ont permis de réunir des charges laissant présumer que deux membres du gouvernement Balladur (1993-1995) auraient commis des délits, dont ils peuvent répondre devant la seule CJR. Il s’agit donc de l’ancien premier ministre Edouard Balladur lui-même et de son ministre de la défense de l’époque, François Léotard.

LA MISE EN EXAMEN DE SARKOZY PAS ÉCARTÉE

Nicolas Sarkozy, quant à lui, était à l’époque ministre du budget. Pour les juges d’instruction, son cas est différent. Dans une ordonnance distincte, s’ils estiment n’avoir pas réuni d’indices « graves ou concordants » susceptibles d’entraîner des poursuites visant l’ex-chef de l’Etat, ils considèrent que les doutes sur le rôle qu’il joua dans la conclusion des contrats controversés pourraient lui valoir le statut de témoin assisté. Or, là encore, seule la CJR peut entendre une personne en qualité de témoin assisté.

Ce statut hybride, entre celui de mis en examen et celui de témoin simple, s’applique aux personnes sur lesquelles pèsent des indices simples – donc ni graves, ni concordants – qu’elles ont commis un délit.

La poursuite des investigations sous l’égide de la CJR laisse en tout cas planer pour M. Sarkozy la menace d’une mise en examen ultérieure dans cette affaire – même si ce scénario semble, en l’état, improbable. Pour l’heure, la décision des juges Van Ruymbeke et Le Loire pourrait en fait autant satisfaire les partisans que les contempteurs de l’ancien chef de l’Etat : les premiers y voyant la preuve qu’aucune charge ne pèse sur leur champion, les seconds pouvant à loisir relever que leur bête noire n’est pas encore sortie d’affaire...

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LA CJR, DERNIÈRE ÉTAPE

Pour MM. Balladur et Léotard, en revanche, les choses sont plus claires. Les deux hommes sont soupçonnés d’avoir œuvré, entre 1993 et 1995, en faveur de sulfureux hommes d’affaires dans plusieurs contrats d’armement passés par la France avec le Pakistan et l’Arabie saoudite.

Poursuivis par les juges Van Ruymbeke et Le Loire, les deux principaux intermédiaires au cœur de l’enquête, Ziad Takieddine (réincarcéré le 31 décembre 2013 pour ne pas avoir respecté son contrôle judiciaire) et Abdul Rahman El Assir, avaient été imposés in extremis dans ces contrats par Matignon et la défense (avec l’accord de Bercy), et ce alors que les marchés semblaient déjà conclus, et même bénéficié d’avantages financiers particulièrement dérogatoires.

Une partie des faramineuses commissions perçues par le duo auraient en fait servi à financer de manière illicite, sous forme de « rétrocommissions », la campagne présidentielle de M. Balladur, en 1995, ainsi qu’à renflouer les caisses du Parti républicain de M. Léotard. Les magistrats ont également examiné les patrimoines de MM. Balladur et Léotard, suspectant un enrichissement personnel que l’enquête ne semble pas avoir confirmé.

L’ordonnance des juges d’instruction va maintenant transiter par le parquet général de la cour d’appel de Paris qui, après avoir fait sa propre analyse du dossier, devrait ensuite transmettre leur demande de saisine de la CJR au procureur général de la Cour de cassation, ce dernier devant confirmer qu’il y a bien lieu de saisir la commission des requêtes de la CJR, dernière étape avant la saisine de la commission d’instruction.

MM. Van Ruymbeke et Le Loire restent par ailleurs saisis du volet « non ministériel » du dossier, même si leurs investigations sont de fait terminées. Les différentes personnalités mises en examen (Ziad Takieddine, Thierry Gaubert, conseiller au ministère du budget de Nicolas Sarkozy dans les années 90, Nicolas Bazire, directeur de cabinet à Matignon sous Balladur, Renaud Donnedieu de Vabres, ex-bras droit de M. Léotard…), pour l’essentiel proches d’Édouard Balladur, risquent un renvoi devant le tribunal correctionnel.

http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/02/07/karachi-les-juges-renvoient-balladur-et-leotard-devant-la-cjr_4362389_3224.html