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Affaire frégates de Taiwan bis répétita

Publie le mardi 4 mars 2008 par Open-Publishing

Une nouvelle « affaire des frégates de Taiwan » ?

de Philippe Vassé

Depuis quelques heures, des remous politiques internes au ministère de la Défense de Taiwan sont en voie de devenir un potentiel et gigantesque scandale international dont les conséquences peuvent s’étendre jusqu’au plus haut niveau de l’Etat français et générer aussi, en parallèle, une crise au niveau de l’Union européenne. Une information exclusive pour le moment d’Agoravox.

A l’origine, une société privée intermédiaire et une visite opportune

Taiwan est un pays qui a connu voici quelques semaines des élections législatives au scrutin direct, lesquelles ont amené une nette victoire du parti d’opposition KMT.

Le 22 mars 2008, son candidat, MA Ying Jeou concourra, en position de favori, pour devenir président de la République contre le candidat du parti actuellement au pouvoir, Frank Hsieh, du DPP.

Ce contexte électoral est évidemment propice aux affrontements politiques et aussi à la sortie de dossiers sulfureux, ce qui vient de survenir il y a quelques heures, et qui concerne aussi, de manière surprenante, la France et le gouvernement de Nicolas Sarkozy.

Revenons aux sources de ce qui pourrait devenir un scandale international aux implications immenses.

Le 28 janvier 2008, le gouvernement taiwanais, qui vient de subir un désastre électoral sans précédent aux élections législatives, de plus embourbé dans des affaires successives de corruption qui touchent jusque l’entourage du président de la République Chen Shui Bian, annonce soudain qu’il a créé, sans en référer à personne, une société privée « TAIWAN GOAL », financée avec des fonds publics.

Officiellement, cette curieuse entreprise privée née de fonds d’Etat vise à promouvoir et faciliter, selon le porte-parole du gouvernement s’exprimant le 29 janvier 2008, l’achat d’équipements militaires à l’extérieur.

Hasard extraordinaire et coïncidence extraordinaire de calendrier révélés depuis quelques heures par la presse taiwanaise de langue chinoise, à cette date, un Français, M. Bernard Planchais, haut dirigeant de la DGA - Délégation générale de l’armement - est en visite de négociation à Taipei, capitale de Taiwan. Il y est resté du 26 au 29 janvier 2008.

Selon la presse taiwanaise sinophone, Bernard Planchais AURAIT (le conditionnel s’impose pour le moment faute de confirmation OFFICIELLE) négocié, puis signé le 29 janvier 2008, avec les autorités taiwanaises un contrat de ventes d’armes françaises à Taiwan concernant 8 frégates, des avions RAFALE et des missiles MICA nouvelle génération.

Le contrat qui aurait été paraphé contiendrait une clause indiquant que les technologies vendues avec ces navires, avions et missiles sont EXCLUSIVES à Taiwan, le tout moyennant bien sûr un juste dédommagement pour cette garantie d’exclusivité.

Lien en chinois

A l’heure actuelle, si la presse taiwanaise ne donne pas d’informations plus précises sur le contrat en question, ni son montant, elle en confirme néanmoins IMPLICITEMENT, en négatif en quelque sorte, la réalité factuelle.

Lien en anglais

Cette information sur cette visite et ce contrat qui aurait donc été signé entre les deux pays (avec un grand point d’interrogation sur la personne morale juridique du côté taiwanais) reste très « discrète », tant à Taiwan qu’en France.

Ce qui est bien surprenant quand on connaît la propension de Nicolas Sarkozy à communiquer immédiatement sur toute « bonne nouvelle » susceptible de valoriser son action et celle de son gouvernement...

De la polémique interne taiwanaise au potentiel scandale international

Depuis que la société privée « TAIWAN GOAL » a été créée ce 28 janvier 2008, juste avant la signature de ce supposé contrat entre la France et Taiwan qui aurait eu lieu le lendemain 29 janvier, le KMT, parti qui dispose dorénavant d’une majorité de députés - en fait 3 sur 4 - lance une véritable campagne publique en présentant carrément cette entreprise privée comme un moyen de faciliter des corruptions possibles pour le parti au pouvoir, notamment ces hommes d’affaires liés à l’armement.

Le gouvernement rétorque que cette décision n’a pour seul objectif transparent que de faciliter les négociations et achats d’armes à des Etats étrangers, en toute discrétion eu égard au fait que le pays n’est pas reconnu par de nombreux Etats du monde. Et, dans son argumentation, de rappeler la douloureuse et très coûteuse expérience née de « l’affaire des frégates ».

La polémique enfle et, du fait que les députés du KMT bloquent la situation juridique et financière de la société privée, finalement, le gouvernement taiwanais annonce la dissolution de « TAIWAN GOAL » qui prendra effet le 12 mars 2008.

Mais, entre-temps, un autre événement, survenu loin de Taiwan, mais en Asie toujours, va définitivement mettre les faits jusqu’ici plutôt confidentiels sur la place publique internationale.

La France annonce en effet qu’elle va vendre au Pakistan, pays en crise politique grave, des armements sophistiqués dont certains possèdent les mêmes technologies que les Mirage 2000 vendus à Taiwan par la société DASSAULT en 1992 ainsi que celles garanties en exclusivité dans le contrat qui aurait été signé le 29 janvier 2008 pour des missiles MICA.

Or, le Pakistan est connu pour partager, en conséquences d’accords militaires de partage de technologies, ses achats de nouvelles technologies avec... la Chine. Laquelle est soumise à un embargo valable pour tous les pays de l’Union européenne, dont la France fait partie, concernant les armements !!!

Apprenant cela, les responsables taiwanais, d’opposition et du KMT, estiment publiquement que la France non seulement trahit ses engagements contractuels de 1992 sur les Mirage 2000, mais aurait aussi violé les clauses qui auraient été signées le 29 janvier 2008.

De plus, les officiels taiwanais affirment que la France utilise, avec le contrat passé avec le Pakistan, un moyen détourné pour approvisionner en armements français la Chine, considérée par Taiwan comme une menace permanente. En clair, la France trahirait, par ce moyen, et ses contrats signés avec Taiwan, mais aussi l’embargo, donc les décisions unanimes de l’Union européenne.

D’où la parution soudaine des informations sur la venue à Taiwan de Bernard Planchais et des articles dont la teneur ne laisse guère de doute sur la réalité du contrat signé et la colère des responsables taiwanais de tous bords politiques confondus.

Comme en témoigne la fin de l’article en anglais sur ce lien.

Des conséquences et des questions pour la France

Ces informations "sourcées" et non-démenties par les autorités taiwanaises, ni françaises à cette heure, soulèvent des questions de fond sur la publicité et la transparence de la politique française en matière d’exportations d’armements.

En effet, si, comme le prétend indirectement la presse taiwanaise, Paris a signé un contrat le 29 janvier 2008, comment n’a-t-on pas prévu et anticipé les ennuis possibles qui pourraient être générés par la vente, même indirecte, à des pays en conflit potentiel des mêmes technologie, dont certaines sont effectivement et indiscutablement sous licence d’exclusivité militaire - pour les Mirage 2000 livrés à Taiwan en 1992 ?

Pourquoi n’a-t-on pas, au plus haut niveau de l’Etat, publiquement indiqué que des contrats d’armements pouvaient être signés simultanément avec Taiwan et un allié connu de la Chine, le Pakistan, en toute transparence publique ?

Le contrat du 29 janvier 2008 dont les médias taiwanais parlent indirectement sans jamais l’avérer clairement est-il bien réel ? Si oui, avec quelle personne morale juridique taiwanaise a-t-il été signé par la France ? Si tel est le cas, quelles sont les possibles conséquences pécuniaires pour la France d’un manquement manifeste aux clauses d’exclusivité technologique du contrat connu de 1992 et à celui, non reconnu à cette heure, de 2008 ?

Ces questions sont posées car, si les accusations de Taiwan sont avérées, on peut alors craindre que ce ne soit là une répétition du scénario terrifiant des « frégates de Taiwan » que la France doit aussi « purger », en tout cas si elle veut retrouver une image commerciale internationale « crédible », en matière de vente d’armes.

Il convient de noter que le scandale en cours vient, voici quelques jours, de faire une victime directe : le ministre de la Défense taiwanais ayant reçu M. Planchais du 26 au 29 janvier 2008, a dû démissionner de son poste.

Cette démission surprenante, au milieu d’accusations de corruption possible sous forme de rétro-commissions occultes, ne peut qu’interpeller les responsables publics français afin qu’ils interrogent le gouvernement.

A l’évidence, tout ceci nécessite des réponses claires et éventuellement, du côté des médias et politiques français, une enquête publique sur ce que fait l’exécutif en matière de ventes d’armes.

Ceci afin d’éviter un nouveau scandale, similaire à celui des « frégates », avec la différence que la France serait alors encore plus mal engagée politiquement et que le coût final pour les citoyens contribuables pourrait alors augmenter très fortement si une seconde, voire une troisième infraction aux clauses contractuelles d’exclusivité des contrats signés d’Etat à Etat étaient attestées.

Quant à l’Union européenne, elle va devoir examiner si la France n’enfreint pas ses décisions collectives concernant l’embargo d’armes à destination de la dictature chinoise.

Si tel était le cas, la présidence Sarkozy de l’UE serait aussi mal initiée que celle en France !

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