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Agent Orange au Viêt Nam, le plus grand oubli à cheval sur deux siècles, par André Bouny.

Publie le jeudi 8 septembre 2005 par Open-Publishing
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Agent Orange au Viêt Nam : Monsanto, Dow Chemical, Uniroyal, Diamond, Thompson, Hercules... trente-sept sociétés devant "leur" justice fédérale pour le plus grand oubli à cheval sur deux siècles, par André Bouny.

"La Guerre du Vietnam" (appelée ainsi de façon impropre puisque la Viêt Nam a connu de nombreuses guerres) est, du point de vue armement, la guerre majeure du XXème siècle. Ce conflit entre les Etats-Unis d’Amérique et le Viêt Minh communiste nord-vietnamien, lui-même soutenu par l’Union Soviètique, devient une guerre exportée entre les deux superpuissances de la planète : les USA voulant stopper le communisme en Asie tandis que l’URSS l’encourage.

Le Viêt Nam est sacrifié, dans un effroyable carnage humain, en laboratoire de la guerre du futur.

Il y est déversé entre 2 à 4 fois le tonnage de bombes de toute la 2ème Guerre Mondiale, soit l’équivalent de 450 bombes atomiques d’Hiroshima. Le territoire vietnamien porte les stigmates de vingt millions de cratères conséquents, les bombes étant tombées dans les cratères des bombes précédentes et ainsi de suite. Bombes de nouvelle génération à explosion, incendières, à effet de souffle, à dépression, à fragmentation... Près d’un demi-million de tonnes d’engins n’ont pas encore explosé. Ces reliquats ont déjà tué entre 100 000 et 200 000 personnes, surtout des enfants puisque plus de la moitié de la population a alors moins de quinze ans. Au nord ouest de Ho Chi Minh-Ville (ancienne Saigon), à Cu Chi - mot qui veut dire"terre d’acier" en vietnamien - il est tombé plus de dix tonnes de bombes par habitant.

L’Amérique s’enlise.

Les combattants vietnamiens sont invisibles et insaisissables sous la forêt tropicale. Les archives de l’Armée américaine avouent 8 000 000 de "sorties" en hélicoptères gorgés de napalm pour débusquer l’ennemi (qui est chez lui !) dans les villages de paillotes. Sans résultat. L’Amérique est pressée. Sa jeunesse et celle du monde entier se lèvent contre cette guerre.

Aux Américains, on a promis la Lune... au Viêt Nam, ils vont la créer !

Le 11 mai 1961, John F. Kennedy occupe la Maison Blanche, il décide l’opération "Ranch Hand", "Ouvrier Agricole" c’est le nom de code militaire de l’épandage de l’Agent Orange au Viêt Nam et sur les parties limitrophes du Laos et du Cambodge. Il est donc décidé de raser la forêt tropicale de la surface de la terre et d’empoisonner les récoltes et les populations. Gigantesque génocide, titanesque écocide qui fait disparaître à jamais de nombreuses espèces terrestres et marines. Dix années sont nécessaires pour pulvériser près de 100 000 000 de litres de défoliants. Dix pour cent de l’épandage se fait par véhicules terrestres et par bateaux dans les deltas et les mangroves du littoral. Quatre-vingt-dix pour cent de la pulvérisation se fait à l’aide d’avions C 123 et d’hélicoptères.

Les vietnamiens n’ont pas d’autre protection que celle qui consiste à imbiber un tissu d’urine et à le poser sur le nez et la bouche.

Parmi ces défoliants, il y a l’Agent Bleu contenant du cyanure, l’Agent Vert, l’Agent Blanc, l’Agent Pourpre, l’Agent Rose, puis l’Agent Orange, appelés ainsi à cause des bandes de couleur sur les fûts contenant le poison. L’Agent Orange représente à lui seul plus de 60% du volumes des défoliants pulvérisés sur le Viêt Nam. L’Agent Orange contient la Tétrachlorodibenzo-para-dioxine : Dioxine TCDD, dite 2,3,7,8. à cause de sa composition moléculaire. C’est un puissant tératogène. La Dioxine TCDD est le plus puissant poison connu - un million de fois plus toxique que le plus puissant poison naturel - et aussi durable. Les dioxines sont constituées de 2 noyaux de benzène, 2 molécules d’oxygène et 2 molécules de chlore, de fluor ou de brome (quatre pour la variété la plus toxique). Bien qu’une équivalence n’a pas de valeur scientifique - elle s’appuie sur une donnée pour faire une projection comparative - elle a cependant le mérite de frapper notre esprit pour saisir l’ampleur du désastre. Ainsi, une étude de 2002, de l’Université Colombia de New York, révèle que 80 grammes de dioxine déversée dans le service de distribution d’eau d’une ville éliminerait 8 000 000 de ses habitants. La quantité (connue) déversée sur le Viêt Nam traduite en dose létale pour un être humain donne le vertige à nos calculatrices qui n’ont pas assez de zéro ! La Dioxine TCDD se mesure en picogramme, c’est à dire en millionième de millionième de gramme (10puissance -12). Cette infinie petitesse lui assure une grande stabilité. Au Viêt Nam, elle est dans le sol, dans les boues, dans les sédiments, dans les eaux (en mesure moindre) et passe ainsi dans la chaîne alimentaire. On la retrouve en grande quantité dans les graisses animales, viandes, lait, oeufs, poissons. Les scientifiques ont crée une unité appelée TEQ - équivalent toxique - de façon à fixer une limite de toxicité à la consommation des aliments. En France, la dose admise par kilo de poids corporel par jour pour une personne est de 1 à 4 picogrammes. Aux Etats-Unis, la dose admise est plus drastique, elle est de 0,0064 picogramme, c’est à dire 160 fois moins que la norme française. Au Viêt Nam, cette dose peut atteindre 900 picogrammes par kilo de poids corporel par jour. Autour des "points chauds" situés au Sud du Viêt Nam, 82% des tissus humains prélevés sont positifs.

Des enfants naissent avec deux têtes ou bien sans cerveau, sans yeux, sans bras ni jambes (phocomélie) ou alors avec deux visage sur la même tête, quand ce n’est pas avec les organes externalisés. Et lorsque la dioxine ne parvient pas à traverser le placenta de la future mère et que l’enfant naît sain, la maman l’empoisonne en l’allaitant car le lait maternel est la seule voie de destockage de la Dioxine. La souffrance physique et psychologique des victimes et des parents est terrible.

Comment la dioxine pénètre-t-elle dans l’organisme ? Le noyau d’une cellule est protégé par un "périmètre de défense" qui a le rôle d’empêcher les mollécules n’ayant pas la structure requise de pénétrer le noyau et donc d’interférer avec son patrimoine génétique. Mais, au sein du cytoplasme cellulaire (c’est à dire l’ensemble des éléments de la cellule à l’exception du noyau) la dioxine se lie à une mollécule naturellement présente dans toutes les cellules, le récepteur aryl-hydrocarbone, et va pouvoir pénétrer les défenses du noyau cellulaire en se "faisant passer" pour une hormone. C’est ce complexe dioxine-récepteur qui va brouiller les messages hormonaux de notre système endocrinien (c’est à dire l’ensemble des glandes endocrines à sécrétion interne rejettant la substance produite, appelée hormone, dans le sang) et va activer certaines régions de l’ADN, zones dites "sensibles aux dioxines" et entraîner ainsi l’effet toxique.

Effets invisibles de civilisation : la population du Viêt Nam est boudhiste, cette religion exige une parfaite intégrité du corps pour s’occuper du culte des ancêtres. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’on paie une faute commise dans une autre vie. Alors l’âme des ancêtres errera éternellement dans les ténèbres de l’au-delà. On comprend pourquoi des familles qui avaient un, deux, trois enfants handicapés lourds en ont conçu un quatrième, un cinquième et un sixième et parfois davantage... avec l’espoir d’avoir un enfant complet, afin que la faute commise dans une autre vie soit effacée. La dette réglée. On estime qu’un grand nombre de naissances ne sont pas répertoriées, les enfants sont "cachés".

Aujourd’hui, au Viêt Nam, la troisième génération est là et les gens sains de corps et d’esprit engendrent encore des nouveau-nés monstreux avec, parfois, les organes génitaux au milieu du visage. Même les gens supposés en bonne santé souffrent souvent de dermatoses (chloracné, maladie de la peau caractérisée par des comédons, des kystes et papules ; hyperkératoses, hyperpigmentation=hirsutisme) des troubles hépatiques (augmentation des transaminases dans le sang et augmentation du taux de lipides dans le sang) de troubles cardio-vasculaires, d’atteinte de l’appareil urogénital, de troubles neurologiques (perte de la libido, migraines, neuropathies périphériques, atteinte des facultés sensorielles) des troubles psychiatriques (nervosité, insomnie, dépersonnalisation, dépression, suicide).

Les victimes passées et présentes sont des millions (le "Rapport Stellman" estime à 4,8 millions le nombres de victimes potentielles ou silencieuses - ce rapport ne tient pas compte des personnes contaminées depuis la guerre par la chaîne alimentaire) et celles à venir ?

Cette Arme de Destruction Massive chimique, indélébile, utilisée par l’Armée américaine demande "réparation". Lors de la visite de Bill Clinton au Viêt Nam en 1999, la première du genre depuis 1975, les responsables vietnamiens ont évoqué l’incommensurable malheur de l’Agent Orange. Madeleine Albrigth "cimente" la conversation en répondant qu’il faut des preuves scientifiques. C’est une façon de laisser le Viêt Nam seul y faire face. A cette époque une analyse pour rechercher la dioxine dans le sang coûte entre 3000 et 4000$. Comment le Viêt Nam qui cherche les moyens de son développement peut-il assumer pareil budget ? La Constitution des Etats-Unis d’Amérique ne permet pas de se retourner contre des actes de guerre perpétrés par l’Armée américaine, même s’ils ne sont pas "autorisés" par la Convention de Genève. Il reste les fabricants de l’Agent Orange qui, en pleine connaissance de cause - dès 1965 des laboratoires américains ont établi les conséquences de la dioxine sur les rats - et pour leur plus grande fortune, ont fourni l’US Army. Parmi les 37 sociétés qui ont fabriqué le poison, certaines s’appellent Monsanto, Dow Chemical Uniroyal, Diamond, Thompson, Hercules, entre autres.

Le 31 janvier 2004, quatre jours avant que les 10 ans de levée de l’embargo soient échus et interdisent de ce fait tout recours selon la loi étasunienne, l’"Association des victimes de l’agent orange/dioxine Vietnam" et 5 victimes à titre personnel déposent une plainte au Tribunal de Première Instance de la justice fédérale américaine à New York dont le siège se trouve à Brooklyn-Est. Au mois de septembre 2004, 22 autres victimes viennent s’ajouter à une liste qui risque d’être sans fin... Un procès dont on n’a pas de précédent légal : Le procès de New York. Le 10 mars 2005 (le lendemain de ma conférence de lancement officiel du "Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et au procès de New York" au Centre d’Accueil de la Presse Etrangère de la Maison Radio France) les victimes vietnamiennes sont déboutées en Première Instance. Déboutées par le magistrat Jack Weinstein, celui-là même qui défendit et obtint "réparation" pour les vétérans US victimes de l’Agent Orange au Viêt Nam ! Ce magistrat - certainement sous la pression du Département de la Justice - déclare que l’Agent Orange a été utilisé pour protéger les soldats américains ! Sans vergogne, il ajoute qu’il ne s’agit pas de poison mais d’herbicide ! La question n’est pas de savoir s’il s’agit d’herbicide ou de poison , la vraie question est de savoir si ces herbicides contiennent du poison ? La communauté scientifique internationale et universelle est unanime, la réponse est "OUI".

Les victimes vietnamiennes font appel.

Mais, déjà, ça sent la Cour Suprême, actuellement en remanipulation urgente : le pouvoir du Président des Etats-Unis à faire la guerre serait-il compromis ? L’espoir est mince, car si les victimes vietnamiennes gagnent, alors il faut dédommager les victimes du Laos, du Cambodge, des Philippines (stockage), les vétérans d’Australie, de Nouvelle-Zélande et de Corée du Sud car l’Agent Orange/dioxine au Viêt Nam a des victimes dans tous ces pays. Alors viendront les victimes de l’Uranium appauvri des Balkans, d’Afghanistan, d’Irak...

Les enfants du Viêt Nam sont souriants comme tous les enfants du monde mais, quarante ans après le début de l’épandage de l’Agent Orange et malgré les efforts des autorités, ces enfants du Viêt Nam crèvent la gueule ouverte !

André Bouny, père d’enfants vietnamiens, fondateur de D.E.F.I. Viêt Nam, président du "Comité International de Soutien au victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et au procès de New York".