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Alger vit des lendemains de tempête.

Publie le samedi 17 avril 2004 par Open-Publishing

On ramasse les débris et on partage le
butin. Le sort du navire est secondaire.

Les lendemains de tempête sont des moments très particuliers. Les uns
tentent d’inventorier les dégâts, pendant que d’autres évaluent le butin, et
sont préoccupés par le partage de tout ce que le fleuve a charrié. Le tout
se fait parfois dans la dignité, souvent dans la douleur et le déshonneur.
Ceux qui se préparent à partager le butin travaillent méthodiquement, et
dans la discrétion, alors que les autres, ceux qui changent de religion pour
adopter celle du nouveau dieu, sont particulièrement bruyants.

Les lendemains du 8 avril n’ont pas échappé à la règle. Du côté des
victimes, Ali Benflis ne se fait guère d’illusions. Il sait qu’il va être
soumis à rude épreuve, et il a déjà fait un pas pour bien signifier qu’il se
plie aux règles des nouveaux maîtres. Il a en effet convoqué le comité
central issu du 7ème congrès, reconnaissant implicitement les décisions de l
’appareil judiciaire invalidant les assises les plus récentes de son parti.

Il voit aussi le navire se vider autour de lui. Quelques fidèles, encore
sous le choc, continuent de s’accrocher, liant leur sort à celui de « celui
qui apparaît comme un ex-patron du FLN ». Mais, sonnés par le choc du 8
avril, ce carré de fidèles risque à son tour d’être définitivement mis KO
devant le spectacle honteux du ralliement massif de leurs anciens compagnons
aux nouveaux vainqueurs. Et même le spectacle est de tradition dans le pays,
il est toujours surprenant d’y assister une nouvelle fois.

Benflis semble gêné par les bribes du FLN, dont il ne sait que faire. Il
sent que l’assaut final est pour bientôt, et qu’il arrivera au pire des
moments. Il sait, tout aussi bien, que ses anciens amis risquent d’être les
plus féroces au moment de la mise à mort.

Peut-il survivre politiquement à l’épreuve ? Peut-être. Après tout, il a bien
rebondi après quelques années de vaches maigres. Mais s’il est condamné, il
peut se consoler dans quelques semaines, ou quelques mois, lorsque l’autre
clan arrivera à son tour à aboutissement logique. Car les vainqueurs du
jour, qui négocient aujourd’hui le partage du gouvernement, du FLN, du
contrôle de l’administration, de la rente et de la rapine, finiront,
probablement plus tôt qu’on ne le pense, par se rendre compte de deux
évidences.

D’abord, ils ne sont que les sous-traitants d’une opération qu’ils ont
exécutée, mais qu’ils n’ont pas conçue. Ils ont été les maîtres d’oeuvre,
mais pas les commanditaires. Les véritables auteurs de la combine restent
discrets, bien que leur ombre soit envahissante.

Ensuite, le statu quo reconduit à la faveur des présidentielles du 8 avril
ne peut durer. C’est une alliance de conjoncture entre des partenaires liés
par de puissants intérêts communs, mais qui finiront à leur tour, par
examiner une question de fond, occultée jusque-là : qui a le droit d’étendre
son hégémonie sur les autres ? Le pouvoir doit-il rester là où il est, et
être sous-traité au profit de

Liamine Zeroual hier, Abdelaziz Bouteflika aujourd’hui, ou doit-il changer
de titulaire ?

A cette question, qui se limite à l’intérieur du système, se greffent
évidemment d’autres sujets, plus importants, liés aux rapports du pouvoir à
la société. Celle-ci est, jusqu’à l’heure actuelle, hors du coup. La
décision, prise au sommet, est appliquée par la périphérie du pouvoir et l’
administration, soutenues par les réseaux d’allégeance, mais elle reste sans
effet sur la société, qui vit en marge de la politique.

Dans leur euphorie, les vainqueurs, guidés par le souci de se placer,
oublient la réalité du pays. Chômage, déliquescence de l’état, absence de
structures d’arbitrage, extension de la corruption et marginalisation de
larges franges de la société constituent autant de bombes qui ne manqueront
pas d’exploser, un jour ou l’autre.

Et si tout ceci ne devait pas suffire, il faudra bien que les vrais centres
du pouvoir se posent, un jour ou l’autre, de nouvelles questions, pour se
demander où ils mènent le pays. Absorbés jusque-là par les manipulations à
grande échelle dans le souci de préserver le système, ils seront forcés d’
admettre que la machine est dépassée, et qu’elle ne peut mener le pays bien
loin. Elle sait, certes, manipuler une élection, mais ne peut élaborer un
projet politique viable dans un monde qui explose.

Cette machine se contentera, dans les mois qui viennent, à mener de
nouvelles opérations ponctuelles, pour habiller la vie politique du pays.
Elle mettra en scène la bataille du FLN, et passera ensuite aux élections
législatives, qui pourront meubler un bon semestre. Ensuite, on parlera de
la nouvelle constitution, puis d’une loi sur la fameuse concorde civile, à
moins qu’on ne change l’ordre des échéances. On se retrouvera alors à la
veille des élections locales, à partir desquelles on commencera à parler des
présidentielles de 2009.

Ce sera largement suffisant pour occuper les esprits, et donner l’impression
qu’il existe une véritable vie politique dans le pays. Mais sur le terrain,
il n’existe guère de prémices laissant entendre que de vraies perspectives
vont apparaître.

A moins que ceux qui ont vraiment la capacité en décident autrement. Ou que
la rue ne fasse brutalement irruption dans la vie politique.

Le Quotidien d’Oran