Accueil > Alors comme ça le PS refuse la privatisation de Gaz de France

Alors comme ça le PS refuse la privatisation de Gaz de France

Publie le jeudi 31 août 2006 par Open-Publishing

de Laurence Kalafatides

Qui dit mieux ! 30 950 amendements, pas un de moins ont été déposés à l’Assemblée Nationale par le Parti Socialiste. En cette rentrée parlementaire du 7 septembre, les députés PS entendent mener tambours battants “ la bataille du gaz”. La guerre se devant d’être pédagogique, “l’utilisation massive du droit d’amendement” aura pour objectif de “faire comprendre aux français la portée et les conséquences de la privatisation de GDF”. On est prié de ne pas rire et d’attendre courtoisement les explications du PS pour comprendre ce que privatiser veut dire.

Ce qui aujourd’hui est hérétique ne l’était pourtant pas hier. De fait, le gouvernement Jospin a mis en place tous les éléments qui permettent au gouvernement Villepin de privatiser l’entreprise publique “ à la hussarde”. Quant à la fusion GDF-SUEZ, “ les deux groupes en parlaient depuis des lustres. Elle avait failli aboutir sous le gouvernement Jospin” rappelle le quotidien économique Les Echos. Si elle se produit, la privatisation de GDF sera le résultat de l’acharnement Socialo-UMP.

De la parole du candidat au geste du Ministre

“ Je défendrai le service public [...] J’agirai pour rééquilibrer la construction européenne qui ne doit pas se réduire à un marché [...] Je ne laisserai pas privatiser EDF et GDF “. Telles sont les promesses que le candidat à l’élection présidentielle de 1995, Lionel Jospin, adresse au personnel d’EDF et de GDF le 18 avril 1995.

Deux ans se sont à peine écoulés lorsque le Premier Ministre, Lionel Jospin donne son accord au projet de “Directive gaz” qui doit être adoptée en juin 1998. Cette directive prévoit la fin des monopoles nationaux et la libéralisation du marché du gaz européen. Il est prévu qu’elle entre en vigueur le 10 août 2000 après avoir été transposée en droit français. Mais faire allégeance à Bruxelles est une chose, faire avaler des couleuvres aux élus français en est une autre. A Paris, face à la fronde des députés communistes, verts, MDC et aussi de certains socialistes, le Ministre de l’économie Laurent Fabius emploi des stratagèmes indignes d’une démocratie.

Fin 1999, tout en préparant le projet de loi visant à transposer la directive européenne et à ouvrir le capital de GDF, le secrétaire d’Etat à l’industrie, Christian Pierret évoque la possibilité de “privatiser l’entreprise à 49%”. La grogne de la majorité plurielle fait reculer Laurent Fabius qui finit par déclarer “qu’il n’est pas question de porter atteinte au statut public d’EDF-GDF” et repousse l’examen de la loi par le parlement à une date indéterminée. Le Ministre de l’économie et son secrétaire d’Etat décident alors d’adopter la politique du fait accompli, c’est à dire, appliquer la directive européenne sans la transposer en droit national. “ Avec mon accord, Gaz de France ouvrira le marché dès le 10 août prochain” proclame Christian Pierret.

Pour autant Fabius et Pierret ne renoncent pas à privatiser GDF et en avril 2001 les services du ministère contactent la banque Crédit Agricole Indosuez pour préparer l’ouverture du capital de l’entreprise publique. Le changement de statut de GDF doit avoir lieu au mois de juin 2001, lors de la transposition dans la loi française de la directive européenne, affirme alors Laurent Fabius. Mais calendrier électoral oblige, Lionel Jospin pourtant champion toutes catégories en matière de privatisations, tempère l’ardeur de son ministre de l’économie. Le débat parlementaire est reporté sine die.

Cependant,le gouvernement poursuit sa “gestion offensive du patrimoine collectif”. Depuis 1946, lignes à haute tension et gazoducs appartiennent juridiquement à l’Etat, mais libéralisation et privatisation allant de pair, le gouvernement Jospin a transféré dès 1997 la propriété des lignes haute tension à EDF. En ce qui concerne les gazoducs, l’opération est prévue en décembre 2001. Par le biais de l’article 38 de la Loi de finances rectificative pour 2001, votée le 5 décembre, l’Etat vend à GDF les 29 000 km de gazoducs qu’utilise l’entreprise. “ C’est l’établissement public GDF qui remplira le chèque et c’est donc à l’arrivée, le contribuable qui paiera la facture en réglant sa note de gaz. Il se sentira d’autant plus ému que, depuis le 1° mai 2000, le prix du gaz facturé aux particuliers a augmenté de 31,7%” commente le canard Enchaîné. Personne n’est dupe, nul besoin d’attendre les 30950 amendements pour comprendre que la cession du patrimoine national a pour objet de rendre “privatisable” les deux entreprises publiques.
Lionel et les frustrés

Devenu Premier Ministre, celui qui devait “agir pour rééquilibrer la construction européenne” se montre pusillanime. Si la directive sur l’électricité fut adoptée par le gouvernement Juppé, celle sur le gaz est avalisée sans autre forme de procès par le gouvernement Jospin.

Présentée comme “nécessaire” l’abolition des monopoles publics a une raison d’être des plus triviale et se résume en deux chiffres. 150 milliards d’€ de chiffre d’affaire annuel pour l’électricité et environ 100 milliards pour le gaz. On comprend aisément que pour des entreprises telles que SUEZ, les directives européennes sont tout à la fois nécessaires et urgentes. D’ailleurs Gérard Mestrallet, PDG de SUEZ figure parmi les 45 membres de la très puissante Table Ronde des Industriels Européens ( ERT ) qui, depuis l’arrivée de Jacques Delors à la présidence de la Commission, dicte les orientations de la construction européenne afin de réduire “l’excessive interférence des gouvernements” dans les affaires de l’Union.

“L’ERT discute de ses objectifs avec les commissaires européens, le conseil des Ministres et le parlement européen”. “ Tous les six mois, l’ERT rencontre le chef du gouvernement du pays qui prend la présidence européenne, afin de discuter des priorités”. La discussion sur la libéralisation du marché de l’énergie fut fructueuse et aboutit aux deux directives. Bien entendu celles-ci ne sont qu’une première étape du processus. D’autres directives beaucoup plus contraignantes sont déjà programmées.

C’est dans une Europe ourlée de rose - 11 pays sur 15 sont sociaux démocrates- que le Portugal prend la présidence de l’Union au début de l’année 2000. Antonio Guterres, premier Ministre et Président de l’Internationale Socialiste invite le Baron Daniel Janssen, PDG de la firme Solvay et membre de l’ERT, à la préparation du Conseil Européen de Lisbonne du mois de mars. De cette concertation naît un programme incroyablement réactionnaire, connu sous le nom d’”Agenda de Lisbonne”. “Le sommet européen de Lisbonne entérine une vision libérale de l’avenir de l’Europe, Lionel Jospin estime que le secteur public doit s’adapter” titre Le Monde.

“ Jacques Chirac et Lionel Jospin ont finalement accepté que les conclusions du sommet soulignent la nécessité d’accélérer la libéralisation dans des secteurs tels que le gaz, l’électricité, la poste et les transports” renchérit La Tribune. Tandis que José Maria Aznar se réjoui “qu’un vent libéral souffle sur l’Europe”, Tony Blair constate que “ce sommet a été l’un des moins conflictuels. Le consensus s’est fait sans difficultés sur 95% des sujets”. Quelques jours plus tard, dans un communiqué, le patronat européen se félicitera que “dans l’Agenda de Lisbonne, toutes les priorités de l’ERT ont été adoptées au niveau politique”.

Toutefois la privatisation des services publics de l’énergie est une affaire délicate et, malgré les remontrances de Bruxelles, certains Etats tardent à transposer en droit national les fameuses directives. “ Nous savons ce que nous devons faire, mais nous ne savons pas comment nous y prendre pour gagner les élections après l’avoir fait” avouera Jean-Claude Junker, premier ministre luxembourgeois, à la Commission. L’ERT finit par s’agacer de la lenteur de la mise en oeuvre de l’Agenda de Lisbonne et informe le Conseil Européen de “sa frustration de voir le peu de progrès réalisés dans la mise en oeuvre des admirables objectifs de Lisbonne”. Entre autres choses, les industriels européens demandent, avec insistance, “la libéralisation des services publics ainsi que la réforme des marchés du travail”.

Le 16 mars 2002, à un mois de l’élection présidentielle française, le Conseil européen réunit à Barcelone reprend à son compte les doléances de l’ERT et lance “la phase finale de l’ouverture des marchés de l’électricité et du gaz”. Le gouvernement socialiste français n’oppose aucune objection.
Votez utile !

Peut-on prendre au sérieux ceux qui, il y a quelques années, ont préparé la privatisation d’EDF-GDF et qui aujourd’hui proposent : “ Nous réintroduirons le contrôle public à 100% d’EDF et mettrons en place un pôle public de l’énergie entre EDF et GDF dont nous refusons la privatisation” ?

Quelques semaines avant le 21 avril 2002, 74% des français ne voyaient pas de véritables différences entre Lionel Jospin et Jacques Chirac.Cinq ans plus tard, le PS est loin de réussir la “synthèse” avec le peuple de gauche pour qui l’enjeu n’est pas tant “ de battre la droite” mais de porter au pouvoir un président de gauche, ce qui n’est pas la même chose. Une enquête menée fin juin montre que le programme électoral du Parti Socialiste est jugé ni réaliste, ni ambitieux, ni imaginatif. Sur les personnes interrogées, 52% estiment que ce programme n’est pas très différent de celui de la droite, et 65 % qu’il ne donne pas envie de voter pour le candidat PS.

Incapable de reconnaître la responsabilité de son parti dans l’échec du 21 avril, François Hollande vitupère contre ceux, qui à “gauche de la gauche”, auraient l’outrecuidance de se présenter au premier tour de l’élection présidentielle. “ ils n’ont rien compris". "Ils ont aucune notion de ce qui s’est passé en 2002”. Gageons que ceux qui n’ont rien compris savent manier la calculette et se souviennent qu’entre 1995 et 2002, l’ensemble de la gauche plurielle perdait 1,5 million de suffrage tandis que l’extrême gauche gagnait 1 358 000 voix.

Une bonne idée serait de ramener le Parti socialiste à gauche comme semblent le suggérer les 56% d’électeurs socialistes qui ont voté NON à la Constitution européenne. Mais François Hollande préfère manipuler les sentiments de culpabilité et menace de “lancer un appel aux électeurs pour qu’ils fassent un vote utile au premier tour”.
Reste à poser la question : Voter PS, c’est utile pour qui ?

http://www.oulala.net/Portail/artic...