Accueil > Après l’attentat de Bagdad, le gouvernement irakien promet l’exécution de 3 (…)
Après l’attentat de Bagdad, le gouvernement irakien promet l’exécution de 3 000 condamnés
Publie le jeudi 7 juillet 2016 par Open-PublishingEn réponse à l’attentat suicide perpétré par l’organisation Etat islamique (EI) dans le quartier de Karrada, dans le centre-ville de Bagdad, dimanche 3 juillet, qui a fait au moins 167 morts et 180 blessés selon les autorités locales et provoqué la colère de la population, le gouvernement irakien affiche fermeté et détermination. Le premier ministre Haïder Al-Abadi a immédiatement pris une série de mesures pour renforcer la sécurité dans la capitale et ordonné au ministère de la justice l’exécution immédiate des personnes condamnées à mort pour terrorisme.
Lundi, les télévisions irakiennes ont diffusé les images de cinq hommes en tenue de détenu orange et cagoulés de noir, debout devant des potences. Ces cinq personnes condamnées à mort pour terrorisme, mais dont les crimes n’ont pas été spécifiés, ont été exécutées, a annoncé le ministère de la justice dans un communiqué, portant à 45 le nombre d’exécutions en 2016. Il a promis de « punir sévèrement tous ceux qui ont les mains tachées de sang irakien » et appelé à une « tolérance zéro ». Trois mille autres personnes condamnées pour actes terroristes seront exécutées, a-t-il précisé, tout en prévenant qu’il « rejetterait catégoriquement » toute interférence internationale et tout argument relatif au respect des droits de l’homme.
Amnesty International a en effet dénoncé une « réaction inconsidérée » à l’attentat de dimanche. « Les exécutions ne sont pas la solution et ne s’attaquent pas aux racines de la criminalité. Il a été prouvé à maintes reprises que la peine de mort, qui est une violation du droit à la vie et le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit, n’a pas un effet plus dissuasif qu’une peine d’emprisonnement », a réagi Philip Luther, directeur du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty. L’organisation appelle à ce que les responsables de cette attaque bénéficient de procès équitables et qu’un moratoire soit adopté par l’Irak sur la peine de mort.
L’Irak arrive en deuxième position, derrière l’Iran, dans le classement des pays où la peine de mort est la plus pratiquée. Amnesty International décompte, pour le premier semestre 2016, 123 peines capitales prononcées, principalement dans des affaires de terrorisme, et au moins 105 exécutées. Depuis le massacre par l’EI de 1 700 recrues de l’armée irakienne dans le camp Speicher, au nord de Tikrit, en juin 2014, des voix s’élèvent au Parlement et dans la population pour accélérer les exécutions de détenus condamnés pour terrorisme. Celles-ci avaient été suspendues sous la présidence de Jalal Talabani (2005-2014), qui a refusé de signer les ordres d’exécution.
« Indicateur inquiétant de l’état de la justice »
Le gouvernement étudie la possibilité de procéder à des amendements au code de procédure pénale pour accélérer la procédure d’exécution, par l’abandon de la ratification présidentielle des ordres d’exécution ou le retrait du droit d’appel dans les affaires terroristes. Amnesty y voit « un indicateur inquiétant de l’état de la justice dans le pays ».
Les défenseurs des droits de l’homme n’ont cessé de pointer les lacunes du système judiciaire irakien et les atteintes répétées aux règles d’équité les plus élémentaires, notamment dans les procès contre des personnes accusées de terrorisme. Les tribunaux retiennent souvent comme preuve à charge des « aveux » obtenus sous la torture, même lorsque les accusés reviennent sur ceux-ci durant leur procès, souligne Amnesty. « Les tribunaux irakiens ne prennent généralement pas plus de cinq à dix minutes pour juger une affaire antiterroriste. Cela permet de passer vingt à trente affaires par jour. Les accusés en Irak n’ont malheureusement aucun droit. Ils n’ont ni garantie d’un traitement humain ni d’un jugement juste. Et les avocats ne peuvent rien y changer », déplore Habib Al-Quraichi, un avocat irakien spécialisé dans les affaires terroristes.
Leurs critiques visent également la loi antiterroriste de 2005, qui punit de mort toute personne présentant une menace pour l’Etat et la sûreté nationale, ou est responsable d’attiser des tensions confessionnelles, ainsi que ceux qui les hébergent. Ils estiment que des personnes condamnées à la peine capitale depuis que cette loi a été mise en œuvre ne sont pas coupables. Les responsables politiques sunnites n’ont eu de cesse de réclamer l’amnistie de milliers d’Irakiens de leur communauté, qu’ils estiment avoir été injustement arrêtés et détenus dans le cadre de cette loi.
La délation anonyme favorisée
« Le gouvernement irakien, notamment sous les mandats de l’ancien premier ministre Nouri Al-Maliki [2008-2014], a fait un usage abusif de l’article 4 de la loi antiterroriste. Cet article, vague, a justifié l’arrestation de milliers de personnes, des sunnites en particulier », explique ainsi Christopher Wilcke, de Human Rights Watch (HRW). Dans le cadre de la lutte menée depuis 2014 contre l’EI, les services de sécurité et les forces progouvernementales ont de nouveau procédé à des arrestations massives au sein de la population sunnite de personnes suspectées d’appartenance à l’organisation djihadiste.
M. Wilcke déplore par ailleurs que la loi sur « l’informateur secret », héritage de l’ancien dictateur Saddam Hussein, continue d’être appliquée. Elle permet à toute personne de se présenter devant le juge d’instruction et d’accuser quiconque d’un crime sans voir son identité dévoilée.
« De 2003 à 2009, 350 000 Irakiens ont été détenus par les Américains sous cette loi, explique M. Al-Quraichi. En 2007 et 2008, les autorités se sont rendu compte qu’elle donnait lieu à beaucoup de fausses accusations et avait amené beaucoup d’innocents en prison. L’amendement passé en 2009 pour aggraver la peine encourue pour fausse accusation n’a servi qu’à calmer les esprits. »