Attac et les élections

Vous trouverez ci-dessous la lettre de Christophe Ventura envoyée à Jacques Nikonoff, aux membres du CA et Fondateurs d’Attac France lundi 18 avril. Cette lettre s’étant retrouvée par un hasard "inexplicable" sur diverses autres listes, la voici sur informons afin que tout le monde ait les éléments en main.

Attac France
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Paris, le 18 avril 2004

Cher Jacques,

Cette lettre est très certainement la plus importante et la plus difficile qu’il m’ait été donné de rédiger à l’attention des membres du Bureau et du Conseil d’administration de l’Association. C’est à toi que je l’envoie, en ta qualité de président d’Attac, afin que tu la répercutes auprès du CA.

J’ai eu la chance d’intégrer Attac dès ses premiers jours, lorsque personne n’imaginait qu’elle deviendrait cette " association à nulle autre pareille ", et de suivre l’extraordinaire développement du mouvement altermondialiste depuis plus de cinq ans.

C’est à travers ma " confrontation privilégiée " avec cette Histoire que j’ai pu forger toutes mes convictions et tous mes engagements. C’est par Attac que je suis entré en " citoyenneté active ", en " construction de sens ", et en quelque sorte, si l’on peut parler de " génération altermondialiste ", je crois pouvoir dire que j’en suis !

J’ai aujourd’hui une conviction intime que j’ai déjà eu l’occasion d’exprimer au Bureau : les idées du mouvement altermondialiste doivent créer les conditions de leur traduction politique. La question qui nous est posée en permanence par les médias, les institutions, nos sympathisants, nos adhérents, et que je peux vérifier systématiquement autour de moi (dans un milieu non militant et populaire) est : " Tout cela est très intéressant, mais concrètement que proposez vous ? Comment vous y prenez-vous pour changer le monde ? " Je suis interpellé par le caractère direct et même déstabilisant de cette question qui nous oblige parfois à faire le grand écart.

Nous avons toujours dit à Attac que l’altermondialisme incarnait le pari d’une réappropriation citoyenne des espaces démocratiques. Aristote écrivait : " Qui est citoyen ? Est citoyen quelqu’un qui est capable de gouverner et d’être gouverné ".

Je suis persuadé qu’il est aujourd’hui possible d’avancer d’un pas. J’ ai de plus en plus conscience du fait qu’avec les idées portées par ce mouvement, il est possible de peser dans le réel, qu’avec la masse critique accumulée, il est possible d’ouvrir un nouvel espace politique explicitement anti-libéral. Les dernières élections régionales sont à cet égard un encouragement réel.

Ma participation à presque tous les Forums sociaux, à leur préparation, à leurs débats, ne fait que conforter cette prise de conscience. J’ai pu y vérifier que beaucoup, au niveau international, partagent ce même constat : il existe un large courant anti-libéral qui ne trouve pas d’expression politique.

Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été ému par l’Appel des Résistants. J’ai 30 ans, je n’ai rien connu de cette période, elle ne m’appartient pas en propre, et pourtant je trouve ce passé incroyablement actuel. Je me sens " venir de quelque part " et je sais que mon engagement doit servir " à aller quelque part ". La Rencontre de Nanterre a agi sur moi comme un accélérateur de conscience. Je crois que ma génération a la responsabilité de dessiner les contours du monde de demain.

Quel est justement ce monde de demain que l’on nous prépare aujourd’hui ? La réponse se trouve notamment dans les pages du Traité constitutionnel européen. On trouve à l’intérieur de ce projet la pure et simple négation des valeurs, des acquis, des luttes, des espoirs portés par la Libération et, plus largement, de ceux portés par les luttes du 19ème et du 20ème siècles.

Nous sommes face à une échéance historique qui interpelle ma responsabilité et celle de beaucoup d’autres. Nous sommes tous conscients de l’importance de ce qui est en train de se préparer au niveau européen. C’est le visage de l’Europe des 50 prochaines années qui est en jeu.

Malheureusement, nous sommes également tous conscients que nos concitoyens sont et seront largement privés du débat démocratique auquel ils ont droit. Nous savons que la plupart des partis, en tout cas les grands, rivaliseront d’appels vibrants mais incantatoires pour " une Europe plus sociale ". Tout laisse cependant à penser que la campagne européenne sera escamotée au profit de leurs intérêts d’appareil, et qu’ils veilleront bien à ne pas se prononcer sur le contenu libéral de ce traité auquel ils adhèrent sans oser le dire ouvertement.

De mon point de vue, il existe aujourd’hui l’opportunité et la nécessité de peser dans le débat politique, d’apporter aux citoyens un autre éclairage, de leur offrir une autre possibilité d’expression.
Nous n’aurons plus l’occasion de changer électoralement le cours des choses avant bien longtemps (3 ans). La coïncidence entre la tenue des élections européennes et l’adoption du nouveau traité européen par les gouvernements est une occasion unique pour s’engager.

Plusieurs acteurs de l’altermondialisme, en particulier Attac et la Confédération paysanne, disposent de propositions fortes, concrètes et crédibles face au rouleau compresseur libéral. J’ai la conviction que, sur la base de ces propositions, il est possible de susciter une adhésion large.

Je ne suis pas le seul à le penser. J’ai eu beaucoup de contacts informels depuis plusieurs semaines, notamment avec les milieux culturels, des amis, des relations personnelles et des militants de divers réseaux. Tous partagent cette analyse.

Après beaucoup de discussions et une mûre réflexion, nous avons considéré qu’il fallait lancer une initiative pour les élections européennes du 13 juin : présenter des listes altermondialistes sur la base des propositions d’Attac et de la Confédération paysanne. Nous avons depuis pris une multitude de contacts partout en France et nous sommes en mesure de réaliser ce projet.

J’ai profondément conscience du caractère insolite de la situation : présenter des listes sur les positions d’Attac et de la Confédération paysanne, mais sans mandat ni implication des deux organisations. Je voudrais être ici très précis pour éviter tout malentendu. Notre initiative s’inspire effectivement des travaux d’Attac et de la Confédération paysanne, mais elle n’est ni ne souhaite en aucun cas être une initiative de ces deux organisations.

Je connais parfaitement notre rapport au politique et, plus globalement, celui des " mouvements sociaux " au politique. J’y souscris à 100 %
Aucune organisation n’a été contactée pour faire partie de notre initiative, aucune organisation n’en fera partie en tant que telle. Certains d’entre nous sont membres d’associations, de syndicats ou de partis, mais, lorsque c’est le cas, nous ne souhaitons en aucune manière être mandatés par nos structures. Nous ne prétendons ni parler en leur nom ni les engager à quelque titre que ce soit. Le fait que notre initiative puise sa " nourriture politique " dans les productions d’acteurs de l’altermondialisme n’implique aucun lien organique avec eux.

Attac a toujours défendu l’idée que la politique était noble. Elle a toujours combattu le rejet du politique par les citoyens. Attac a toujours considéré que ses propositions devaient être reprises dans le débat public par un maximum d’acteurs. En tant que simple citoyen, je crois qu’il est temps de répondre à l’Appel des Résistants et, à ce titre, je ne crois pas être en rupture avec la philosophie d’Attac, bien au contraire.

Je ne demande aucun appui institutionnel de l’association, mais à titre personnel, j’espère que vous serez nombreux à me soutenir dans ce pari.
Avec mes camarades têtes de liste, nous organisons une conférence de presse la semaine prochaine afin d’annoncer publiquement l’initiative. Je vous communiquerai la date, l’heure et l’endroit, et espère que vous serez nombreux à y assister.

Il appartient au Bureau, en tant qu’employeur, d’examiner ma situation personnelle de salarié. Je souhaiterais être mis en disponibilité pendant la durée de la campagne officielle (du 27 avril au 13 juin).
Entre temps, je pense qu’il ne serait pas approprié que j’intervienne à l’extérieur comme représentant d’Attac dans les collectifs, coordinations et rencontres internationales. Je peux néanmoins continuer à instruire les dossiers correspondants et accomplir les tâches administratives courantes de permanent au siège de l’Association.

Amicalement,

Christophe