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Attac et les listes « 100 % Altermondialistes, pour une Europe solidaire »

Publie le mardi 4 mai 2004 par Open-Publishing
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Introduction de Michèle Dessenne (Secrétaire générale) et Jacques Nikonoff (Président)

L’annonce de la présence de listes intitulées « 100 % Altermondialistes, pour une Europe solidaire » aux prochaines élections européennes, avec la participation de plusieurs membres d’Attac, crée une situation inédite. Le Bureau d’Attac, lors de ses réunions des 20 et 27 avril, a longuement débattu de la question. Il a décidé de demander à ses membres qui le souhaitaient de rédiger des contributions afin que les adhérents disposent de toutes les informations et analyses.

En tant que principaux responsables élus d’Attac, nous veillons à ce que le débat ait lieu dans les meilleures conditions possibles, qu’il écarte les polémiques subalternes et les attaques personnelles, et qu’il reste sur le terrain de l’échange d’idées. Nous ne méconnaissons pas cependant le caractère souvent passionnel que peuvent prendre de tels débats. Dans ces circonstances, les rumeurs trouvent un terreau fertile et il convient de vérifier les faits avec le plus grand soin. Il est donc légitime que certaines organisations fondatrices se demandent si Attac ne change pas de stratégie, croyant que l’association était à l’origine de ces listes, ce qui remettrait en cause les raisons qui les avaient fait adhérer à Attac. Les communiqués publiés par le Bureau devraient les rassurer sur ce point puisque nous avons réaffirmé que ces listes n’étaient évidemment pas des listes Attac et que notre association ne suscitait, ne soutenait ou ne présentait aucune liste. Par ailleurs, un certain nombre d’adhérents à Attac, dont des membres fondateurs ou du CA, sont également membres, à titre personnel, de formations politiques. Il est naturel que la présence de nouvelles listes électorales les inquiète puisqu’elles pourraient en concurrence avec leur propre formation politique.

Le présent document rassemble donc six contributions de membres du Bureau :

- Une contribution de Dominique Mourlane, que nous avons voulu placer au début de ce document, car l’initiative à laquelle il participe est à l’origine des débats.

- Nous avons voulu mettre ensuite une contribution collective de certaines organisations fondatrices d’Attac : il s’agit de celle signée par le Centre de ressources et d’informations sur le développement (Gus Massiah) ; la Confédération paysanne (François Dufour) ; la Fédération des Finances CGT (Christian Pierre) ; le Syndicat national de l’enseignement secondaire (Daniel Rallet) ; le l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (Christian Pilichowski) ; l’Union syndicale Groupe des 10 solidaires (Pierre Khalfa). Sont également signataires Susan George, vice-présidente, et Serge Lequéau.

- En troisième, quatrième et cinquième position, nous avons respectivement placé les contributions de Bernadette Jonquet, Michel Gicquel et Régine Tassi.

- En sixième position se trouve une contribution de Bernard Cassen.

Par ailleurs, contrairement à des allégations parues dans la presse, le Président et la Secrétaire générale rappellent qu’ils ne sont aucunement impliqués dans la constitution des listes « 100 % Alter », qu’ils ne les soutiennent pas, pas plus qu’aucune autre.

Communiqué du Bureau d’Attac

Suite à la présentation de listes intitulées « 100 % altermondialistes pour une Europe solidaire » des discussions ont eu lieu au Bureau d’Attac. Elles ont révélé des divergences d’appréciation sur le sens politique de cette démarche et ses conséquences pour l’association ainsi que sur ses liens supposés avec l’association. Ce débat ne concerne pas seulement le Bureau, mais est susceptible d’intéresser toute l’association. Il se poursuivra au CA du 15 mai et à la CNCL des 22 et 23 mai. Afin que chaque adhérent puisse l’appréhender en toute connaissance de cause, le Bureau a décidé de rendre publiques des contributions reflétant les différentes analyses en présence en son sein.

Paris, le 3 mai2004.

Contribution de Dominique Mourlane

L’idée est bonne et pourtant il ne faudrait pas y aller ?

En préambule il est tout d’abord nécessaire d’évacuer quelques faits récents, afin de ne pas disparaître derrière le nuage de fumée que d’aucun aimerait mettre en place pour ne pas affronter les questions essentielles de notre action.

Notre action se situe hors du champ de l’association Attac, à juste titre, d’ailleurs nous ne réclamons pas le soutien d’Attac, comme nous ne nous présentons pas au titre d’Attac, nous en sommes conscient et respectons les règles mises en place par le CA et le bureau d’Attac.

Notre indépendance par rapport à Attac est totale, aussi nous ne nous sentions pas tenu d’en informer l’association, ce qui n’aurait fait, en cas d’assentiment que renforcer le l’idée d’une opération émanant d’Attac, et en cas de dénégation aurait fait capoter notre démarche. Les cris que nous entendons le prouvent à posteriori.

Notre démarche est le résultat de discussions émanant de plusieurs réseaux, démarche qui pour ma part a son origine à Avignon, lors du combat des intermittents du spectacle, en juillet 2003. Ensuite de discussions en discussions est arrivée l’expérience de la liste Alternative en Midi-Pyrénées, où une majorité de copains et de copines d’Attac se sont engagés aux élections régionales. Il n’y a pas eu de débat interne à Attac sur cette expérience. Je l’ai regretté en ce temps là. Je ne vois pas la différence avec notre démarche européenne, sinon la précipitation due à la prise de conscience d’amis qui se sont décidés à « franchir le pas ». Il ne fallait pas laisser les trois ans qui suivent ces élections européennes vides de propositions alternatives, altermondialistes et solidaires, puissantes. Et puis il faut bien que le discours sur l’Europe soit réellement entendu, les indices que tout un chacun a devant soi, le montre, les partis politiques se prononcent, les uns après les autres sur les 21 propositions d’Attac.

Notre démarche ne cherche pas à instrumentaliser qui que ce soit, ni quoi que ce soit. Sommes nous tant connus (en dehors d’Attac) pour que le pôle syndical, les membres fondateurs, le Conseil Scientifique ou les comités locaux soient amalgamés à notre action ? Il n’y a aucun risque de ce côté-là, d’ailleurs nous ne demandons rien à aucune de ces personnes, ou structures. Je peux même rajouter que je n’ai fait aucune démarche « racoleuse », et je n’en ferais aucune, vers mon propre comité local, celui de l’Ariège

Enfin, il y a deux points que je voudrais rapidement éclaircir.

Premièrement voulons nous construire une nouvelle force politique ? Bien malin celui qui saura répondre aujourd’hui à cette question. Pour ma part j’en suis bien incapable.

Deuxièmement existe-t-il un risque de crise majeure pour Attac ? Il avait été émis le même type d’argument pour le lancement du débat sur l’énergie, lors de l’université d’été d’Arles de 2003. Lancement de débat que nous avions emporté tant bien que mal à 3 personnes du Conseil d’Administration. Attac résiste, et Attac résistera à cette nécessaire discussion de la place du politique dans Attac, que je souhaite voir enfin grandir et qui trouve sa place dans la nouvelle dynamique. J’aimerais aussi qu’Attac s’empare du statut de l’élu, il n’y aura pas d’autres forces en France pour aborder ce sujet et le mener à son terme.

Le voile de fumée levé, passons au fond du problème.

L’idée de la participation à la chose publique existe au sein d’Attac. Elle monte inexorablement lors des différents rendez vous : municipales, contrats de pays, communautés des communes, régionales, européennes,…. Que les militants de notre association se destinent à la chose politique ne fait pas de doute, nous sommes bien dans le champ politique.

Et pourtant il faudrait taire cette idée !

Pour les européennes, nous avons un espace de prédilection pour diffuser nos idées sur l’Europe auprès de nos concitoyens. Un espace spécifique lié à notre travail. Un espace avant que les trois ans qui suivent ne soient une traversée du désert idéologique, étouffé par l’appétit des partis. Notre action se situe hors d’Attac, et il est important qu’il en soit ainsi. Ce débat n’avait pas lieu, il était « interdit », il doit avoir lieu, il est lancé, nous nous en réjouissons.

En même temps, pour ces élections, il ne faut pas croire que les offres programmatiques concernant l’Europe sont bien diversifiées. Il y aura peu d’occasions de mettre en avant des propositions sociales, écologiques et antilibérales fortes, susceptibles d’être entendues par les électeurs et par la classe politique de gauche. Aussi notre choix est clair, nous nous inscrivons dans le débat public pour porter les exigences et renforcer les idées d’Attac, de la Confédération Paysanne et d’autres encore, sans pour autant nous prévaloir de leur soutien, ni prétendre être leurs porte-parole, ni même citer leurs noms.

C’est ambitieux.

Nous sommes une porte ouverte sur l’avenir des forces de gauche antilibérales, nous remettons les idées politiques au centre du débat. C’est bien là le sens de notre action et elle a un écho. L’écho favorable que nous rencontrons auprès de la population, auprès des militants des autres forces politiques qui ne se reconnaissent pas dans les programmes de leurs partis respectifs, ou bien les stratégies, mais aussi auprès des acteurs du champ social est un excellent baromètre.

Il est important pour nous que notre démarche soit bien comprise. Elle n’est pas un coup de force de quelqu’ordre que ce soit, ni un coup d’épée dans l’eau. Nous sommes la seule proposition sérieuse et déclarée de reconquête de l’espace politique dans le champ funeste de la gauche en France et en Europe, et tout particulièrement sur les questions européennes. Pour ces élections quelques démarches d’esprit programmatique proche du notre ont lieu, leurs choix se portent sur la discussion, l’intégration aux partis politiques, dans d’âpres négociations stériles. Nous pensons que c’est une erreur.

Notre démarche est u complément logique à l’action d’éducation populaire tournée vers l’action qui occupe Attac. Il me semble que l’un des buts des mouvements d’éducation populaire est de susciter des militants politiques, dans ce cas précis sur l’Europe, et des acteurs de la démocratie renouvelés. Comme toute entreprise d’éducation, Attac n’a pas sa finalité en elle-même, mais en formant des citoyens et des militants qui s’engagent sous leur propre responsabilité. Il faut à la fois Attac et des initiatives comme les nôtres sans qu’elles se marchent sur les pieds.

Nous nous inscrivons dans une démarche de prolongement du travail d’Attac, pour que nos idées aient une chance d’aboutir réellement, sans déviance. Ce n’est pas une entreprise de division, bien au contraire, c’est un travail de rassemblement.

Une suite logique et inévitable.

Contributions du Centre de ressources et d’informations sur le développement (Gus Massiah, vice-président) ; Confédération paysanne (François Dufour, vice-président) ; Fédération des Finances CGT (Christian Pierre, trésorier) ; Susan George vice-présidente ; Serge Lequeau ; Syndicat national de l’enseignement secondaire (Daniel Rallet) ; Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (Christian Pilichowski) ; Union syndicale Groupe des 10 solidaires (Pierre Khalfa)

Attac à la croisée des chemins ?

En vue de la réunion du prochain Conseil d’administration (CA), plusieurs membres du Bureau souhaitent que le CA et l’ensemble de l’association soient informés des événements qui viennent de se dérouler et des questions politiques qu’elles soulèvent.

Le lundi 19 avril, un courrier électronique d’un salarié de l’association, Christophe Ventura, informait le CA qu’il entendait présenter des « listes altermondialistes sur la base des propositions d’Attac et de la Confédération paysanne ». Un peu plus tard Dominique Mourlane, membre du Bureau, annonçait qu’il s’engagerait sur ces listes. Peu avant, ou au même moment, nous apprenions de plus que Bernard Cassen, président d’honneur de l’association, en liaison avec Jacques Nikonoff, avait sollicité de manière pressante des responsables locaux d’Attac et des membres du Conseil scientifique afin qu’ils s’engagent sur ces listes. Simultanément, il contactait à plusieurs reprises José Bové pour lui demander de présider un comité national de soutien qui inclurait d’autres personnalités membres ou proches d’Attac.

L’objectif était donc de monter une opération politique d’envergure et de construire des listes électorales altermondialistes en s’appuyant sur des personnalités connues pour leur appartenance à Attac, même si ces listes ne devaient pas s’en réclamer officiellement. Bernard Cassen, de même que Jacques Nikonoff, qui était au courant de cette démarche, n’ont pas jugé bon d’en informer le CA, élargi aux représentants des comités locaux, qui se réunissait pourtant le samedi 17 avril. De ce fait, aucune discussion n’a eu lieu dans ce cadre alors même que l’ordre du jour comportait un point important sur les élections européennes.

Nous estimons que cette démarche pose des problèmes fondamentaux à l’association. Avant toute discussion, nous tenons à préciser que nous ne pouvons qu’être favorables à l’engagement politique de membres de l’association. Chacun est évidemment libre de ses actes et, à l’occasion des élections régionales, le Bureau avait de nouveau précisé les conditions dans lesquelles les personnes ayant des responsabilités dans Attac pouvaient s’engager sur des listes électorales ou dans les campagnes électorales sans mettre en avant leurs responsabilités dans Attac et en prenant soin de ne pas faire courir de risques à Attac.

Ce qui s’est passé ne relève pas du cafouillage. Le secret qui a entouré l’opération était voulu. L’affirmation que des listes, se réclamant explicitement des propositions d’Attac et soutenues par des personnalités d’Attac, ne seraient toutefois pas vues comme des listes engageant Attac est pour le moins illusoire, sinon hypocrite. En s’engageant dans une opération d’envergure de ce type, le président d’honneur d’Attac, considéré dans de larges secteurs de l’opinion et des médias comme son porte parole de fait, et le président d’Attac, qui a donné son accord, ont fait prendre à l’association des risques majeurs.

Cette démarche prend le risque, en acceptant qu’Attac soit associée à un ensemble de listes électorales, de troquer une influence qui veut gagner la majorité de l’opinion contre un résultat électoral qui serait ramené à un pourcentage très minoritaire, même s’il venait à être significatif. Cette démarche prend le risque de laisser penser que la seule perspective politique est de se situer dans l’espace des forces politiques partisanes, affaiblissant ainsi l’originalité du positionnement d’Attac en tant que mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action. Car dire qu’on est désormais obligé de se présenter aux élections pour faire vivre les idées d’Attac, c’est remettre en question le fondement même de notre identité. Attac a toujours soutenu, qu’en combinant la bataille d’idées et la construction de rapports de forces, il est possible de peser sur la réalité. Le bilan de l’activité d’Attac le prouve d’ailleurs. Malgré nos limites, ce travail commence à porter ses fruits, même si nous n’en sommes encore qu’au début du processus.

Cette démarche prend enfin le risque de provoquer une crise majeure dans l’association en portant la division au sein de notre mouvement. Ce risque a été accru par les méthodes utilisées, les pratiques de dissimulation, le refus de reconnaître des faits pourtant avérés et celui de tenir compte des discussions et des critiques. Le débat politique devient ainsi vite passionné et difficile, poussant dangereusement à définir a priori des camps qui n’ont pas forcément de fondements réels.

Nous n’admettons pas qu’Attac soit ainsi instrumentalisée par quiconque, ni que son image et sa notoriété soient mises au service de la création d’une nouvelle force politique quelle qu’elle soit. Nous nous sommes attachés à l’identité d’Attac en tant que « association d’éducation populaire tournée vers l’action ». Si certains considèrent que cette identité doit être aujourd’hui modifiée, cela doit être discuté publiquement dans l’association par l’ensemble des adhérents et non pas imposé précipitamment par un fait accompli.

Il faut maintenant tout faire pour essayer de sortir de cette situation par le haut. Il nous faut certes remettre à plat le fonctionnement d’Attac. Mais il faudra pour cela tenir compte de la nouvelle situation, des changements dans l’évolution de la mondialisation, de la situation européenne et française et remettre au centre des débats la nouvelle dynamique d’Attac, la question des enjeux pour le mouvement altermondialiste, le rôle qu’Attac doit y jouer et la manière dont elle doit s’organiser pour y arriver.

Notre association doit certes évoluer en permanence du fait du changement du contexte politique ou de la volonté de ses adhérents. Nous réaffirmons que cette évolution doit être le fruit d’une discussion ouverte et publique qui considère les membres d’Attac non comme des sujets passifs mais comme des acteurs dans l’Histoire.

Concernant les élections européennes, l’essentiel pour nous est de faire en sorte que les enjeux du débat sur l’avenir de l’Europe soient au centre de la campagne électorale. Dans ce cadre, nous nous retrouvons totalement dans les décisions du CA du 17 avril qui a confirmé la volonté d’Attac de s’y inscrire pleinement en portant publiquement ses propositions, et en particulier ses 21 exigences concernant le projet de traité constitutionnel, durant la campagne électorale. Le Bureau a par ailleurs adopté le principe d’une interpellation de partis politiques qui renforce cette démarche.

Contribution de Bernadette Jonquet

Participation au débat

Depuis une quinzaine de jours notre association à divers niveaux est agitée par un débat autour des listes aux élections européennes. Je souhaiterais m’exprimer dans ce débat, ce jour 2 mai, premièrement en prenant en compte tout ce qu’ont apporté dans la clarification les deux réunions de Bureau (des 20 et 27 avril) et riche de nombreuses discussions avec des militants de CL ou de simples adhérents.

J’organise ma réflexion autour de 3 axes :

- La démarche choisie pour lancer ces listes,

- Les conditions de débat dans Attac,

- Comment aborder la question du politique dans l’association ?

La démarche choisie pour lancer ces listes

Je fais partie de ceux, nombreux peut être majoritaire dans l’association qui y sont venus et qui surtout militent parce qu’ils pensent qu’une autre façon de faire de la politique est aussi possible dans cet autre monde que nous voulons. Je l’ai dit, mardi dernier au Bureau, je réprouve la démarche choisie pour lancer les listes pour les Européennes sur les propositions d’Attac.

Il aurait été préférable de privilégier la transparence et ainsi rompre avec certaines pratiques et créer les conditions du débat contradictoire avant les prises de décisions. Comment croire que l’on peut considérer que faire une liste pour des élections est uniquement une affaire privée, qu’elle soit seulement une affaire d’individus, fussent-ils citoyens, coupés des forces sociales en mouvement, coupés de toutes organisations existantes. La politique est une affaire collective, les alliances doivent se faire au grand jour et non dans les rapports interpersonnels. Comment déconnecter ces démarches d’une éventuelle stratégie ? Comment une stratégie dans ce contexte peut-elle se décider hors de toutes discussions collectives ? Nous sommes à l’origine des FSL dans lesquels nous recherchons les convergences les plus grandes. Est ce à dire que seul Attac porte le corpus des idées alter mondialistes ?

Comment ces idées peuvent-elles pénétrer le mouvement social puisqu’elles ne sont plus en mouvement, figées dans un programme, donc opposable à d’autres programmes ? Comment défendre auprès des adhérents le fait que nos idées soient au service d’une seule liste notamment pour les adhérents qui ont aussi une appartenance politique. Attac devient leur adversaire dans une lutte au suffrage (verts, alternatifs, PS, PC…). Le débat électoral ne favorise pas les rapprochements.

Pourquoi si cette affaire est si importante pour les idées de l’association le faire dans le plus grand secret alors que cela implique des figures de notre association ? Comment déconnecter ces démarches d’une éventuelle stratégie préalablement discutée ? Un débat aurait permis d’appréhender les conséquences et de les gérer collectivement.

Alors quelles conséquences pour l’association, l’éclatement, peut être pas, mais une formidable perte d’énergie dans de faux débats sur la méthode alors que beaucoup aurait peut être été favorables sur le fond si la question avait été discutée collectivement comme promis dans « la nouvelle dynamique » pour Attac.

Les conditions de débat dans Attac

Depuis 5 ans nous contribuons à construire un discours et surtout une pratique sur le politique et nous nous trouvons à une étape où il importe d’aller jusqu’au fond de toutes nos divergences. Nous en avions conscience puisque collectivement nous avons décidé il y a un an de lancer « la nouvelle dynamique ».

Il y a 6 mois en novembre après le FSE et les tensions, je posais dans un message au CA cette question : « Je ne suis pas naïve, nous ne sommes pas hors sol et nous sommes dans un paysage politique qui se recompose mais ayons donc la discussion au fond de la façon dont chacun de nous voyons le rôle que nous avons à y jouer, ne le faisons pas par la presse interposée et que ce constat fait il nous faudra en assumer les conséquences. On ne peut pas avoir voulu ignorer la question [et la je suis d’accord avec Dominique Mourlane qui lui aussi a posé aussi l’interrogation de ce qu’il a appelé « la tentation du politique »] sans qu’elle nous revienne en pleine figure. Pourquoi a-t-on voulu ignorer que cette question devait être traitée ?

Pourquoi s’est-on contenté de lancer la « Nouvelle Dynamique » sans l’alimenter par un véritable travail d’approfondissement des débats politiques entre nous ?

Il faut croire que cela arrangeait tout le monde de rester dans le flou puisque nous semblions être condamnés à avoir la même configuration politique d’opposition pendant encore plusieurs années. Il faut croire que l’on ne se positionne pas de la même manière quand la compétition électorale revient au devant de la scène avec des espoirs de regagner des parts de marché. Le temps du débat, tout d’un coup, se rétrécit. Est-t-il impossible d’imaginer que l’on puisse collectivement faire l’analyse de la situation politique en mettant tous les enjeux sur la table afin que tout le monde soit à égalité pour discuter des rapports de forces auxquels chacun fait référence implicitement.

Nous avons contribué à faire sortir le débat économique du seul débat des spécialistes, en proclamant que les citoyens pouvaient avoir leur mot à dire. Dans le domaine de la politique ne peut-on pas faire de même ? Comment aider à analyser les changements des rapports de forces mondiaux après la chute du bloc de l’Est, la recomposition des mouvements d’émancipation, autour de quels courants : (ceux issus de la 3ème ou ceux issus de la 4ème internationale), l’évolution des social démocraties, l’apparition de ce mouvement altermondialiste mondial… en France l’échec de la gauche plurielle et sa seule volonté d’apporter un traitement social aux méfaits du néolibéralisme…

Comment en France se font les alliances dans le mouvement ? et dans le monde politique. Autour de quelles stratégies : la lutte contre la guerre et l’hégémonie américaine, un front anti-capitaliste, un front anti-néolibéral ? Que veulent dire ces stratégies pour le mouvement dans son ensemble ? Comment s’y partagent les forces, qui représentent ces forces, quels sont les enjeux en termes de place sur l’échiquier politique et donc électoral ?

Comment Attac, qui à tous les niveaux participe de cette recomposition, par sa force militante, sa force de mobilisation, par son rôle dans le mouvement social, peut aider à éclaircir le débat pour que chaque citoyen puisse choisir en connaissance de chose, pour que l’on sorte de débats d’appareils pour lancer un véritable débat démocratique et que le mot participatif prenne un sens.

Je crois que notre association contribuerait alors à faire grandir le débat en le posant ainsi sans tabou ni enjeu politicien. Je crois que nous avons collectivement la maturité pour le faire. Vraiment je suis convaincue que les adhérents et les militants d’Attac ne veulent plus de cette façon de voir la politique. Peut-on essayer de changer nos pratiques avant de vouloir changer celles du monde autour de nous ?

Comment aborder la question du politique dans l’association

Jusqu’où va le terrain d’intervention d’Attac dans le champ politique ? A Nanterre, lors de notre AG, notre Président se demandait et nous faisait témoin de ses interrogations :

« La vrai question ne serait-elle pas plutôt comment réinventer la politique et la démocratie ? Comment penser le pouvoir ? Car nous ne pouvons pas nous contenter de l’idée simple et même simpliste : on va interpeller nos élus. Certes, il faut interpeller nos élus, mais ce n’est pas ça réinventer la politique. N’ayons pas peur du politique parce que c’est le lieu du pouvoir. Si nous croyons en la capacité des humains de maîtriser leur destin, alors réinventer la politique signifie bâtir de nouveaux lieux et organes de pouvoir.

La démocratie participative est une voie prometteuse à condition qu’elle s’inscrive dans cette perspective. Elle contribue à changer la nature du rapport au pouvoir ou à la puissance, elle doit considérer le pouvoir non comme un droit à dominer autrui, mais comme capacité créatrice qui appelle des logiques de coopération. On se donne mutuellement du pouvoir, plutôt que de chercher à le conquérir ou à le conserver.

Concrètement, cela veut dire que :

- Attac se trouve dans le champ politique mais n’est pas un parti politique et ne le deviendra pas.
 Attac accepte le dialogue avec toutes les composantes politiques qui s’inscrivent dans une démarche démocratique.

- Attac ne court pas après le mythe du grand soir mais garde comme horizon, comme boussole, la construction d’un autre monde.

- Notre choix est celui d’hommes et de femmes qui entendent rester debout. La résistance que nous avons lancé face à la nouvelle servitude n’a pas pour objet de n’être qu’un baroud d’honneur. Nous voulons gagner ! »

J’ai cru ce jour là à ce que disait Jacques Nikonoff, pour moi cela résume assez l’idée que je me fais du politique dans d’Attac, je sais aussi que cette idée est largement partagée dans notre association. Alors faisons en sorte que ces propos deviennent réalité et que nous commencions à construire concrètement des alternatives.

Alors que proposer

Comment construire ensemble des alternatives au politique tel qu’il se pratique et des alternatives qui permettent de mettrent en œuvre les idées que nous défendons. Puisque l’on dit que « les alternatives proposées ont un caractère systémique : elles sont en effet tout à la fois mondiales, antilibérales et globales » comment cela se traduit-il dans notre façon de pratiquer la politique localement sachant que cette stratégie implique dialogue, coopération, conflit ? Nous sommes en effet confrontés à la nécessité d’inventer :

- une articulation entre l’action syndicale et l’action associative : nous en savons quelque chose avec la lutte sur les retraites et avec l’organisation des forums sociaux.
- une articulation entre la mobilisation sociale et les réponses politiques.

Nos démarches propres pour interpeller les élus et mettre en place des observatoires des engagements découlent d’une pratique associative. Comment forts de cette pratique localement mais aussi pourquoi pas aussi plus largement à l’échelle de l’Europe, construire des rassemblements, des pôles de propositions capables de les porter à l’échelon politique ? Comment peuvent se faire des alliances en fonctions de stratégies collectivement définies et élaborées ?

Avec les autres forces du mouvement social et politique nous pouvons être d’accord sur un programme de réalisations, des propositions, être ensemble pour se battre sur le terrain pour la défense des services publics locaux et de leurs qualités, sur la défense commune d’un certain développement local ou culturel, la défense et le développement de l’emploi par un mode plus solidaires…

Mais quelle construction démocratique saurons nous faire ? Comment collectivement se débattent toutes les questions de pouvoir, de partage de ce pouvoir, de participation citoyenne ? Comment on accepte ensemble de redéfinir la place de chacun tout au long du processus ? Comment on co-élabore, on co-construit des positions et puis ensemble dans l’exercice du pouvoir comment on co-construit des décisions, en définissant ensemble des critères…

C’est bien là que se fera la différence durablement et que l’on ne sera pas seulement une force d’appoint pour des partis qui veulent récupérer la mise. C’est bien là que l’on pourra donner du sens au terme de participative. C’est bien en construisant un autre rapport à la chose politique avec tous les citoyens que l’on pourra à tous les échelons construire cet autre monde que nous voulons. Comment peut-on travailler, de la même manière, à l’échelle européenne dans notre réseau Attac, à la construction d’un pôle non seulement de résistances au néolibéralisme mais à la construction d’un pôle de propositions notamment en ce qui concerne l’Europe sociale.

Alors sereinement lançons-nous dans un débat et surtout une démarche qui marque que nos idées se traduisent dans des actes, posons les enjeux puisque depuis 6 ans nous avons démontré qu’à Attac et qu’avec Attac on pouvait traiter des questions tabous et surtout que l’on se renforçait en construisant ensemble des réponses.

Contribution de Michel Gicquel

Des listes 100 % altermondialistes qui se constituent et reprennent des propositions d’ATTAC, de la Confédération Paysanne et de la Fondation Coppernic.

Des individus qui constituent ces listes, en prennent la tête (Dominique Mourlane et Christophe Ventura), qui précisent, par la voix de leur porte-parole Marc Le Glatin, qu’ils se présentent en leur nom personnel, citoyens actifs, et non au nom de l’association dont ils sont des membres, voire des dirigeants (Dominique Mourlane) ou des salariés (Christophe Ventura). C’est de notoriété publique depuis la conférence de presse qu’ils ont tenue, avec deux autres têtes de liste 100 % alter. ce mardi (le 27 avril).

Cela, c’est, comme on dit, la partie émergée de l’iceberg. Sur la nature exacte de la partie immergée, c’est une autre affaire.

Une première question se pose : est-ce la partie émergée qui pose vraiment problème ou l’autre ? Si nous acceptons de considérer que le problème réside dans la naissance de ces listes, j’aimerai faire deux-trois remarques. La tentation politique, nous la portons tous en nous, comme repoussoir ou comme aimant. Membre du CA d’ATTAC, et de son Bureau, je suis souvent outré par les abîmes qui séparent, chez tous nos politiques, le discours destiné à ce qui peut rapporter électoralement et l’action politique mise en œuvre.

Deux ou trois exemples : dans ma ville (Rennes), nous nous battons pour que l’eau revienne au giron municipal. C’est une municipalité de gauche, sur l’eau, PS et PC nagent (pardon !) de concert. Ils réattribuent le magot de la gestion de l’eau à la CGE (Veolia, ex Vivendi) malgré une longue bataille. En même temps, les propositions des mêmes partis pour les régionales affirment vouloir faire de l’eau un bien public. Voilà pour la gauche municipale rennaise. Donc, mes sensibilités politiques n’étant vraiment pas droitières, je puis me tourner vers la LCR. Mais, manque de bol, ces Altermondialistes de l’air du temps reviennent bien vite dans les ornières d’un autisme politique digne des années trente, et ces années là furent fructueuses de ce point de vue. Taxe Tobin ? Krivine et Arlette votent contre au Parlement européen. Quand à LO, alliée de la LCR, nous savons tous le grand cas que cette famille idéologiquement conservatrice fait de l’altermondialisme et plus particulièrement de notre association, Attac. Que reste-t-il ? Les Verts ?

Personnellement, ils ne m’ont jamais fait vibrer. Et puis au parlement européen, un vert style Cohn-Bendit, c’est trop libéral pour moi.

Souffrez donc, amis d’ATTAC, que je puisse préférer des listes 100 % altermondialistes, conduites de surcroît par des gens en qui j’ai confiance. C’est aussi simple que ça. Je vote. A condition que l’offre électorale me satisfasse. Sans ça, c’est pêche à la ligne. Nous pourrons toujours discuter ensuite de l’efficacité éventuelle de cette démarche, supputer ses risques, déplorer qu’il n’y ait pas eu un long débat préalable…Le vote tranchera. Je ne doute pas que si Dominique Mourlane rapporte de ces aventures une pièce de vêtement, il saura aussi faire l’analyse de la précipitation, celle du risque, etc.

Mais les calendriers électoraux autorisent-ils ce type de long débat, qui est par facilité remis aux calendes grecques, chez nous.

Seconde réponse : et la partie immergée ? C’est actuellement la plus malsaine et celle qui peut plomber pour un bon moment ATTAC. Elle est faite d’un cocktail assez curieux de paranoïa, de mauvaise foi, et de fuites en avant explicatives qui rendent difficile l’approche de la sérénité.

C’est beau comme l’Antique. Les arguments sont des deux bords simplifiés à l’extrême, une accusation basée sur un présupposé : vous avez décidé de monter ces listes parce que vous voulez transformer ATTAC en parti politique. Les accusés sont, ici, Bernard Cassen et Jacques Nikonoff. Eminences grises des listes 100 % alter. Il est toujours possible d’amalgamer tel ou tel à ces deux requins. A mon avis, si nos deux poissons avaient vraiment voulu cela, ils auraient agi avec plus d’intelligence et de subtilité. Ou alors, c’est l’abus de substances toxiques et illégales.
En revanche, il est évident qu’ils font partie de ceux qui voudraient voir les militants d’Attac (et non l’association) se colleter à l’arène politique réelle, mais non nationale, parce que trop politicienne. Et, altermondialistes, nous savons bien que les échelles de la décision politique sont en train d’évoluer et que le champ européen est de ce point de vue le seul qui existe.

En face, des gardiens du temple : vous voulez dénaturer Attac, vous oeuvrez à sa perte, l’Association (mais est-ce elle qui est candidate ?) doit demeurer hors du champ politique. Ces gardiens sont majoritairement membres fondateurs, membres le plus souvent de syndicats. Pas systématiquement cependant. En tous cas, ce sont des membres d’organisations, lovées depuis assez longtemps dans le paysage social de ce pays, à l’exception je crois de Susan George, qui constituent ce front hautain du refus et de l’accusation. Pourquoi ? A cette question, j’ai une réponse, qui est une impression plus qu’une analyse, mais elle me semble fonctionner.

Je n’ai, pour l’étayer, que des faits.

En novembre 2002, j’ai proposé, avec Luc Douillard, militant d’Attac 44, c’était lui qui était à l’origine de cette initiative, un travail de réflexion dynamique sur les contenus du programme d’action de la Résistance dont le 60ème anniversaire arrivait, en mars 2004. Autant dire qu’il n’y avait là rien de vraiment actuel, susceptible de créer débat. A ma grande surprise, le projet présenté, 4 membres fondateurs, CGT-Tarta, CGT Pilichowski, Sud G10 Khalfa et FSU sont tout de suite montés au créneau pour descendre la proposition. Surprise.
Et ensuite questionnement. Pourquoi cette offensive ? Il m’a fallu un tout petit peu de temps pour construire ma réponse. Elle est simple : ces syndicats ont apprécié la naissance d’ATTAC, une chambre d’écho pour eux, compte tenu du taux de syndicalisation dans ce pays. Six ans plus tard, l’aura d’ATTAC leur fait plus d’ombre que de lumière. Il faut donc garder sous contrôle cette association à nulle autre pareille : elle doit n’être qu’un relais, un wagon supplémentaire. Pas une locomotive. Je me trompe peut-être. Mais je n’arrive pas à me défaire de cette idée. Et la grimperie actuelle aux rideaux ne risque pas de m ’en faire changer. La pantalonnade de Pierre Tartakowsky lors de la conférence de presse de mardi me conforte plutôt.
C’est mon point de vue sur la situation actuelle.

Pour être franc, j’ai appris la naissance de ces listes lors de la publication interne de la lettre de Christophe Ventura. Je soutiens cette initiative. Nous allions fatalement vers cela, ce sont des discussions que j’ai souvent eues avec des amis militants d’Attac, le soir, tard. Elles se terminaient toujours par une question : ça va arriver, mais quand ? Parce que le comment, j’en ai pas grand chose à foutre.

Reste, pour terminer, une question : quand allons nous débattre réellement de notre rapport non pas à la politique, mais à l’engagement politique qui est un débouché normal, dans une démocratie représentative, de notre prise de conscience collective des dysfonctionnements du monde ?

Le débat n’est pas nouveau. Nous pouvons remonter, par exemple, à la candidature d’Emile Acollas, dans le 5ème arrondissement face au colonel Denfert-Rochereau, en février 1876. 21 266 inscrits, 16 810 votants, 1 912 voix pour Acollas, 8 879 pour le colonel. Il n’y a pas de métro Acollas. Mais dorénavant, les socialistes révolutionnaires entrent dans le jeu électoral. Il a fallu bien du temps pour qu’ils versent dans les travers que nous reprochons aux nôtres. Cela dit, un mouvement d’idées et d’action, n’en sommes nous pas un ?, doit à un moment donné s’affronter à la réalité politicienne (les élections) parce qu’il est de nature politique. C’est comme ça. La plèbe, fut-elle moderne, ne peut se réfugier dans la « propreté » d’un Aventin a-électoral. Cela finit par lasser. Alors discutons en. Dominique et Christophe ainsi que les autres candidats sont les Acollas, Daunay, Chabert et autres Marouk de l’association. Ils sont le signe que quelque chose arrive à un point de mûrissement. Après eux, il y en aura d’autres, et à d’autres élections, cela me semble évident. Nous devons réfléchir à ceci : comment faire avec. Le seul danger, c’est de stigmatiser. C’est là que résident les risques d’implosion d’ATTAC. Comment travailler avec des élus (il y en aura un jour) issus d’ATTAC ?

Quel statut auront-ils dans ou près de l’association ? Y aura-t-il un ATTAC régulier et un ATTAC séculier ? Autre chose ? N’oublions pas les vieilles chansons révolutionnaires d’antan : « c’est reculer que d’être stationnaire », dans « Le matin du grand soir »…

Contribution de Régine Tassi

Turbulences et appels d’air

L’annonce de listes « 100 % Altermondialistes pour une Europe solidaire » sur un échiquier électoral déjà connu plonge quelques membres du Bureau d’Attac dans une vive agitation et dans un débat polémique, non exempt d’attaques ad hominem qui ne me semblent absolument pas productives pour l’association. Certains considèrent même que cette nouvelle réalité plongerait l’association dans une crise grave qui impliquerait un changement de sa nature. Je dois avouer que je ne partage pas du tout cette opinion.

En quoi des listes nouvelles « Altermondialistes » pour les élections européennes représenteraient-elles un danger pour l’association, alors qu’il ne s’agit pas de listes Attac ? Le fait que des personnes présentes sur ces listes soient membres d’Attac, que l’une d’entre elles (Dominique Mourlane) soit membre du Bureau n’engage aucunement l’association. Il y aura aussi très certainement des membres d’Attac sur d’autres listes. Nous n’avons jamais parlé de ce type de projet en Bureau ou en CA, ce qui aurait effectivement engagé Attac, et nous n’avons pas attendu ces élections pour mettre en place une charte régissant le comportement de nos membres en période d’élection. Nous avons d’ailleurs réaffirmé pour la énième fois le refus de soutenir quelque liste que ce soit.

Chacun (e), en régime démocratique, a le droit de se présenter à des élections. Au nom de quoi devrions-nous demander à ces citoyens et militants de renoncer à leurs droits civiques et à leur volonté de s’investir dans les organes de la démocratie représentative ? A qui appartient le politique ? Est-il l’unique propriété légitime des partis existants ? Ce serait oublier que la démocratie n’est pas une forme statique, mais que ce qui la légitime c’est justement de pouvoir évoluer, s’adapter à de nouvelles demandes et expressions pluralistes.

Plutôt que de persévérer dans un procès présenté comme un « débat » au sein de l’association, il me semblerait plus judicieux de réfléchir à ce que signifient ces listes, de comprendre d’où elles viennent. Loin de conduire à une « crise fatale » pour l’association, ces nouvelles listes dérangeantes peuvent au contraire fournir l’occasion de commencer à réfléchir à une question formulée par de nombreux membres d’Attac. Je veux parler de la traduction de nos analyses et propositions en engagements et débouchés politiques, et aussi au problème bien plus général du politique qui, ne l’oublions pas, est au cœur même de la démarche d’Attac.

Pour un grand nombre d’entre nous, dont je fais partie, Attac est née non seulement de notre insatisfaction à l’égard des politiques menées par les gouvernants, de quelque bord qu’ils soient, mais aussi d’une perte de confiance dans les structures de représentation et dans les appareils qui les contrôlent. Leur fonctionnement explique un désintérêt pour la chose politique chez de nombreux citoyens, qui s’exprime, notamment, par l’abstention et par le rejet des manoeuvres politiciennes, surtout chez les jeunes.

Les échanges entre militants, lors des premières réunions d’Attac que j’ai organisées ou auxquelles j’ai participé dans le Cher, portaient largement sur le décalage entre les valeurs que nous défendions et leur concrétisation dans le comportement des responsables politiques et des partis. Combien d’entre nous s’inquiétaient de l’insuffisance d’analyses, de débats au sein de ces partis, alors qu’ils se donnent comme objectif d’exercer le pouvoir. C’est ce vide qu’Attac a comblé, c’est la carence des autres structures qui a créé un appel d’air et conduit les gens chez nous. A partir de nos analyses, de nos textes, de nos livres, de nos rencontres et débats, de nos discussions dans les comités, de nos universités d’été, de nos sessions de formation, nous avons armé intellectuellement et politiquement beaucoup de nos membres.

Au bout de quelques années, ces membres, qui ont beaucoup appris, et qui sont par ailleurs révoltés par les politiques libérales, ont envie de passer à une autre étape, ils sentent un nouvel appel d’air, celui de l’implication directe dans la traduction politique de nos propositions, par la participation aux mécanismes électoraux. C’est une évolution normale et qui témoigne du succès d’Attac comme mouvement d’éducation populaire. Nous ajoutons « tourné vers l’action », et certains de nos membres comprennent maintenant cette deuxième partie de notre définition comme « action politique ».

Quand ils regardent le panorama des formations politiques disponibles, beaucoup d’entre eux ne trouvent pas leur compte dans les partis existants, trop souvent occupés à des calculs politiciens et installés dans des structures de pouvoir figées et concentrées dans les mains de quelques-uns. Ils éprouvent donc la tentation de faire autre chose et autrement. Ces choix militants personnels n’ont rien d’étonnant, je dirai même qu’ils expriment une réelle créativité et un espoir de participer au changement de la société.

Si ces choix, en un sens, sont bien des résultats du militantisme au sein de l’association, ils ne procèdent pas pour autant de sa volonté directe, et n’en sont pas non plus l’expression. Attac ne change absolument ni de projet ni de nature parce que certains de ses militants opteraient à titre personnel pour l’exercice politique.

En tant qu’association, nous devons rester un contre-pouvoir, et n’avons absolument pas vocation à nous transformer en parti. C’est la volonté de la quasi totalité des adhérents, et aussi celle de la totalité des élus de l’association nationale. Cela ne doit pas nous empêcher, afin de comprendre ce qui se passe, d’analyser les causes de la crise du projet collectif politique que nous connaissons aujourd’hui. Nous avons aussi le devoir de réfléchir à la compatibilité entre l’idée de démocratie et la mondialisation libérale. Nous devons aussi nous interroger sur le fonctionnement des structures de représentation de la société (assemblées élues, syndicats et partis, mais aussi ONG), sur le statut des élus, sur le cumul des mandats, etc. Nous pourrions profiter de l’université d’été pour entamer cette réflexion.

Les turbulences actuelles peuvent avoir un effet non prévu, celui de revivifier l’espace public en permettant, à terme, l’émergence de nouvelles forces politiques et la redynamisation de celles qui existent déjà, les une et les autres pouvant porter nos propositions. Ainsi nous jouerons complètement notre rôle de stimulateur démocratique.

Contribution de Bernard Cassen

Dépasser l’anecdotique, aborder le fond

Le contexte qui a suscité l’annonce de la présentation de listes « 100 % Altermondialistes pour une Europe solidaire » aux élections européennes du 13 juin ne saurait être réduit à sa dimension purement anecdotique, la seule qui intéresse véritablement la presse politique « people ». Le conseil d’administration extraordinaire du 15 mai souhaitera sans doute aller au-delà du comptage et du nom des destinataires des coups de fil que j’aurais ou non passés à l’occasion de cette affaire, afin de se concentrer sur ce qu’elle révèle. C’est pourquoi, pour ne pas mélanger les genres, je réserve à un document ultérieur ce que je sais de la gestation des listes en question.

Que l’on n’attende cependant pas de grands scoops car, loin d’être une opération d’envergure (laquelle, au fait ?) planifiée de longue date, comme l’un des intervenants sur les listes a cru pouvoir l’écrire, il s’agit d’une initiative qui s’est seulement cristallisée début avril, après le deuxième tour des régionales, et à partir de l’analyse de leurs résultats. Et d’une initiative qui, à mes yeux, est fort loin de présenter les caractéristiques d’une opération montée par une machine bien rodée.

1.- Quelle implication d’Attac ?

Certes trois des quatre têtes ou animateurs de liste potentiels connus à ce jour sont membres d’Attac, et un est un élu national. Ils ont cependant affirmé et réaffirmé que, même s’ils faisaient leurs les analyses et propositions de l’association sur l’Europe (et ils ne sont pas les seuls), ils ne revendiquaient aucun soutien de sa part, ne parlaient pas en son nom et s’engageaient à titre strictement individuel.

De son côté, le Bureau, dans deux communiqués, et dans les interventions publiques de ses membres (dont celles de l’auteur de ces lignes lors de plusieurs réunions) a rappelé la doctrine permanente d’Attac : nous ne suscitons, ne présentons et ne soutenons aucune liste ou candidature.

Les choses sont donc parfaitement claires des deux côtés. Pourquoi faut-il donc que certain (e)s membres de l’association s’évertuent à entretenir la confusion en prétendant que ce seraient « des listes d’Attac » ? A croire qu’ils (ou elles) veulent à toute force aboutir au résultat qu’ils dénoncent ! D’autant que, même dans la presse la plus portée à la « pipolisation » du politique, il est maintenant fait référence à ces listes en utilisant leur dénomination exacte, et sans référence à Attac en tant que telle.

On se souviendra que la liste alternative qui s’est présentée aux régionales en Midi-Pyrénées comprenait des membres d’Attac ; que les médias en ont fait largement état ; et que personne, dans les instances de direction de l’association, ne s’en est ému. Il en allé de même pour la présence, de notoriété publique dans les milieux politiques, et même partiellement médiatisée, de certains membres connus et même de membres fondateurs d’Attac dans des collectifs d’élaboration de plates-formes en vue des régionales et des européennes, ainsi que de collectifs de « refondation » de la gauche. Ils ne prétendaient pas, pour autant, parler au nom de l’association, et ils agissaient en tant que simples citoyens.

Nous sommes dans le même cas de figure avec les listes « 100 % ». Pour que le débat nécessaire entre nous soit dénué d’hypocrisie, il faut tout mettre sur la table et ne pas sélectionner certaines données et, en même temps, en occulter d’autres.

2.- Le calendrier d’information des instances d’Attac

Dès lors qu’il ne s’agissait pas de listes se revendiquant d’Attac (ce qui aurait immédiatement entraîné un démenti catégorique de notre part), leur calendrier d’annonce relevait de leur seule responsabilité, et nul n’était habilité ou autorisé à le rendre public à leur place. N’étant ni membre ni porte-parole de ces listes, et même si je savais, pour cause de relations personnelles - car ma vie ne se réduit quand même pas à mon titre de « président d’honneur » d’Attac - que certaines étaient en gestation, il ne m’appartenait pas de faire leur travail d’information à leur place.

C’est pourquoi, tant à l’occasion de la réunion du collège des fondateurs du 16 avril que du CA élargi du 17 avril, je n’avais aucune qualité, en tant que membre de ces instances, pour « fuiter » des informations dont j’avais seulement eu connaissance à titre privé. Si je l’avais fait - ce qui aurait été déloyal à l’égard de ceux qui m’avaient informé de leurs projets et consulté -, j’aurais accrédité l’idée qu’Attac était impliquée, ce qui n’était pas le cas, et détourné ces deux réunions de leur objet.

3.- Rappel des enjeux du 13 juin

Dans son document « Expulsé par la porte des régionales, le néolibéralisme va-t-il revenir par la fenêtre des européennes ? », le Bureau avait parfaitement anticipé ce qui est en train de se passer : le principal parti de gouvernement de l’ex-gauche plurielle entend bien faire du 13 juin le 3ème tour des régionales, afin d’escamoter le débat sur le contenu du « traité constitutionnel » qui sera pourtant adopté par la CIG le week-end suivant.

Son objectif, et aussi celui de son allié privilégié, est de maintenir l’ambiguïté maximale sur ce texte, en faisant semblant de croire qu’il pourra être modifié (par le retrait de la troisième partie, celle qui constitue un véritable manifeste libéral) dans les semaines à venir, voire entre le 13 et le 18 juin ou, hypothèse encore plus fantaisiste, après avoir été adopté ! Ce qui leur évite d’afficher la position qu’ils adopteront si, effectivement, le traité comporte bien cette partie 3. Encore que les objections d’Attac (voir les 21 exigences) ne se cantonnent pas à cette partie, loin de là.

En substance, il est demandé aux électeurs : votez d’abord pour nous, pour continuer à sanctionner Raffarin et Chirac, et nous vous dirons plus tard comment nous nous prononcerons sur le traité. A cette opération de mystification politique de très grande ampleur, Attac répond par une campagne d’information et de débats dans toute la France, afin de recentrer le débat sur l’Europe que nous voulons. Pour avoir participé à de nombreux meetings organisés par les comités locaux (et j’en ai une douzaine d’autres programmés d’ici le 13 juin), je sais que nos arguments portent.

Se pose ensuite, pour ceux qui nous écoutent, le problème de la traduction électorale de ce refus de la mystification. Nous leur répondons que nous avons envoyé un questionnaire aux partis et têtes de listes afin qu’ils se prononcent sur nos exigences et proposition, à charge pour nous, au terme de ce processus, de faire connaître les réponses. Nous constaterons sans doute que les propositions d’Attac sont largement reprises par plusieurs listes. A chacun (e) de se déterminer ensuite.

4.- L’offre politique est-elle figée une fois pour toutes ?

L’offre politique pour le 13 juin répondra-t-elle à la demande qui s’exprimera, en particulier grâce à nos efforts ? Je suppose que les listes « 100 % » font le pari que non. C’est aussi, semble-t-il, l’avis des minoritaires de la LCR qui, dans l’éditorial du numéro 02 de leur bulletin Vitamines/3, tirent ainsi le bilan des régionales : « A l’arrivée, nous devons bien reconnaître que nos listes n’ont pas rassemblé largement. Nous avons laissé libre un vaste espace dans lequel se sont engouffrées les listes autonomes du PC et des Verts. L’émergence des listes « 100 % altermondialistes pour une Europe solidaire le démontre amplement ».

Quel que soit le sort que connaîtront ces listes, si elles peuvent régler la question de leur financement (3 à 4 millions de francs - cela « parle plus que les euros - nécessaires par circonscription !), elles posent une question à laquelle Attac n’a pas à répondre en tant que structure, car nous ne sommes pas et ne devons pas devenir un parti, mais qui peut informer notre réflexion : la question, pour certains de nos militants, du prolongement directement politique de notre action, au-delà de nos pratiques actuelles. Pourquoi faut-il nous la poser ? Tout simplement parce qu’elle se pose.

Il ne s’agit pas ici pour moi de traiter une question devant faire l’objet d’un débat qui sera nécessairement long. Je risquerai certaines hypothèses :

- L’histoire et le simple bon sens enseignent que les formations patentées se réclamant de la gauche, et qui entendent le rester, verront apparaître des concurrents si leur offre ne correspond pas à la demande.

- Attac a plus que jamais son rôle à jouer en France, en Europe et dans le monde dans son profil actuel, qui est celui dans lequel se reconnaît la majorité des adhérents.

- Si un nouvel « objet » politique né de l’intérieur de l’association devait voir le jour dans les années à venir (et les listes « 100 % » sont l’un des symptômes d’une volonté d’engagement complémentaire à celui d’Attac), il devrait se bâtir en toute indépendance d’Attac, sans rapport organique, et certainement pas dans la dialectique syndicats-partis sociaux-démocrates du Royaume-Uni, de l’Allemagne et des pays nordiques. Une référence plus pertinente serait le rôle joué par les mouvements de jeunesse et d’éducation populaire catholiques dans la formation des futurs cadres du syndicalisme agricole français.

5.- Au CA, structurer un débat nécessaire

La convocation d’un conseil d’administration extraordinaire d’Attac, le 15 mai, peut être la pire ou la meilleure des choses.

La pire des choses si, passant à côté des vrais enjeux, certains veulent le transformer en tribunal, en tentative de déstabilisation de la direction élue ou en affirmation implicite que certains membres du CA sont plus égaux que d’autres. De tels projets, s’ils existent, me paraissent par avance totalement voués à l’échec, mais ils nuiraient indiscutablement à l’association. Celle-ci s’en remettrait cependant car l’immense majorité des adhérents individuels ne se reconnaîtrait pas dans ces manoeuvres.

La meilleure des choses si le problème de fond qu’est le rapport à l’engagement politique est abordé franchement par chacun(e), de manière à structurer un débat nécessaire à tous les niveaux d’Attac. Je conviens volontiers que la question ne se pose pas dans les mêmes termes chez les membres dits actifs et chez ceux qui représentent une organisation devant veiller au respect de ses propres équilibres internes. Cela implique certainement des clarifications réciproques, mais n’autorise personne, individu ou structure, à prétendre couler Attac dans le schéma qu’il affectionne. Attac vit !

J’espère, je pense même, que, passant outre à quelques réactions à chaud, tous les membres du CA se montreront, le 15 mai, à la hauteur de leurs responsabilités.