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Aude "Empêcher que des gens dorment dans la rue est une évidence"

par NATHALIE BALSAN-DUVERNEUIL

Publie le mercredi 15 février 2012 par NATHALIE BALSAN-DUVERNEUIL - Open-Publishing
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Marie-Louise accueille José, un sans-logis, à son domicile depuis un mois. (N.B.-D.)

Marie-Louise est une Audoise de 78 ans, qui, depuis près de quinze ans, loge chez elle, nourrit et réconforte les sans-logis qu’elle rencontre. Elle nous raconte son histoire.

"On n’en parle que quand il fait froid"

L’opération "115 du particulier" lancée sur Facebook le 3 février dernier au début de la vague de froid "sibérien" qui a frappé l’Europe, a suscité un engouement incroyable. Au point que le groupe regroupe désormais 6 070 membres et fait parler de lui dans toute les gazettes. Le but ? Donner aux citoyens les moyens de suppléer les services de l’Etat, jugés défaillants, dans l’aide aux sans-abris et à héberger, réchauffer ou nourrir les sans-abri.

Lancé par un ancien SDF, rapidement débordé par la quantité d’appel, l’opération a fait des petits au point que plusieurs groupes locaux, dont un s’occupe du sud de la France, ont vu le jour.

"C’est normal"

"Vivre dehors est inacceptable, pas seulement quand il fait très froid, c’est incroyable qu’on ne se préoccupe des gens que quand le thermomètre est au-dessous de zéro" s’indigne la vieille dame qui, malgré son âge, n’a rien perdu de sa vivacité. Installée depuis dix ans à Lézignan-Corbières (Aude), Marie-Louise n’a pas attendu le lancement de l’opération "115 du particulier" ni le déferlement médiatique pour intervenir. "Même quand la température est douce, on ne peut pas accepter que des gens dorment par terre, comme des animaux."

"J’ai toujours aidé quand je pouvais, même quand je travaillais" raconte-t-elle. "A l’époque, j’étais sténo-dactylo dans une entreprise métallurgique, en Lorraine, et il m’est arrivé souvent de laisser les clefs de ma voiture ou de mon appartement à des personnes que je trouvais dans la rue."

Même pas peur

"Bien sûr, je ne le faisais pas avec n’importe qui, et je prenais le temps de connaître les gens avant de leur accorder ma confiance, mais je n’ai jamais eu de problème. Il y a eu quelques vols, des moments un peu "limites" avec certains, mais j’ai toujours su que j’avais raison de les aider" indique Marie-Louise en riant à demi. "Ce qui leur arrive, ça aurait pu m’arriver à moi. En les aidant, je m’aide aussi moi-même. Je perd un peu de confort, un peu de temps, mais je gagne quelque chose d’infiniment plus précieux que ça". Elle fait un clin d’oeil."Un peu d’humanité dans ce monde méchant."

En ce moment, elle loge José, un ouvrier du bâtiment qui a perdu son emploi après un accident au poignet il y a deux ans dont il ne s’est jamais vraiment remis. "Je me suis fracturé les os sous une grosse pierre, et les tendons ne sont toujours pas en place. J’ai un mal fou quand je me sers de la main. Impossible de travailler."

Il a atterri chez Marie-Louise il y a un mois. "C’est une amie qui m’a mis en relation avec elle. J’essaie de l’aider comme je peux, le temps que les services sociaux de la ville me trouvent un logement. Je participe comme je peux avec mon RMI, mais elle ne me demande jamais rien".

"J’ai dormi deux semaines dans la rue, c’est inimaginable quand on n’avait jamais connu ça, raconte José. En réalité, personne ne vous aide pour ce qui est vraiment important. On peut manger en passant par les associations, ou dormir ici ou là, mais on n’existe plus, et les gens ne vous regardent pas. Ce qui manque vraiment, c’est d’exister, d’échanger avec quelqu’un qui vous voit comme un homme, pas un fantôme. Avec Marie-Louise, j’ai trouvé ça."

"On a tous besoin d’aide de temps en temps"

Marie-Louise montre des photos de ses "anciens pensionnaires", rangée dans une grosse boite à gâteaux. "J’ai des coups de téléphone plusieurs fois par semaine de certains d’entre eux. Ils ne m’oublient pas. Certains ont réussi à reprendre une vie normale."

C’est le cas de Romuald, un jeune à la dérive, un "peu toxicomane", qui a trouvé du travail chez un viticulteur de la région de Quillan. "Maintenant il a un appartement, une femme et deux petits bébés. Il m’envoie des chocolats à chaque anniversaire et sa fille s’appelle Louise, comme moi." Ou de Jacqueline, une maman à qui on avait retiré la garde de son garçon. "Elle a fait une formation de sage-femme. Elle travaille à Paris maintenant." Ou encore d’Ali. "Il avait eu une vie difficile, avec sa famille persécutée dans son pays. Il était en France illégalement, mais maintenant il a un permis de travail et le statut de réfugié politique. Il vient tous les ans dans la région me faire une petite visite".

Elle a des larmes dans les yeux en racontant les trajectoires de tous ceux qu’elle a pris sous son aile. "On a tous besoin d’aide dans les moments difficiles et ça fait chaud au coeur de me dire que j’ai un peu servi à quelque chose".

Mais pourquoi ne pas militer dans une association, ou confier ses protégés aux services de l’Etat qui s’occupe d’eux ? "Pour eux ce sont des chiffres, des statistiques, il font ça comme le faisait naguère les "dames patronesses", pour se donner bonne conscience, pas parce qu’aider son prochain est une évidence, un devoir d’hospitalité et d’amitié avec tous les hommes. Je n’aime pas ces associations et ces gens."

A l’heure où nous partons, Marie-Louise et José ressemblent un peu à une mère et son fils. C’est l’heure du chocolat et on trempe des biscuits, près du feu. Il l’aide à se relever, parce qu’elle a des douleurs articulaires dans la colonne vertébrale.

http://www.midilibre.fr/2012/02/15/marie-louise-empecher-que-des-gens-dorment-dans-la-rue-est-une-evidence-pas-seulement-quand-il-fait-froid,458205.php


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