Accueil > Ayaan Hirsi Ali, un choc européen
de Jean-Pierre Stroobants
Un leader de la communauté musulmane des Pays-Bas a déclaré, lorsque le départ de la députée Ayaan Hirsi Ali pour Washington a été confirmé, le 15 mai, que cet exil allait permettre d’en revenir à un fonctionnement "harmonieux" de la société néerlandaise. Ce cri du coeur devrait toutefois rester ce qu’il est : un voeu pieux.
Le départ de l’élue libérale d’origine somalienne, privée - temporairement ? - de sa nationalité pour avoir menti sur son nom, sa date de naissance et le parcours qui l’a menée au pays des polders, ne résoudra rien du malaise néerlandais. Il amplifiera, au contraire, les doutes d’une société qui, en l’espace de cinq ans, a vécu, avec de nombreux dommages à la clé, la montée d’un populisme radical, deux assassinats politiques et l’irruption d’un terrorisme islamiste dont les acteurs étaient des jeunes vivant aux Pays-Bas.
L’affaire Hirsi Ali n’est pas banale et dépasse le petit jeu du mensonge et de la vérité auquel se livrent de nombreux candidats réfugiés. "95 % d’entre eux exagèrent les risques qu’ils encourent", a expliqué l’écrivaine franco-iranienne Chahdortt Djavann, qui a obtenu l’asile à Paris.
Ayaan Hirsi Ali a livré quelques inexactitudes il y a quatorze ans, mais il est avéré qu’elle les a progressivement dévoilées et justifiées, notamment auprès des dirigeants du VVD, le parti populaire pour la liberté et la démocratie. Une seule preuve : son adresse personnelle de courriel à la deuxième Chambre de La Haye reprenait depuis longtemps le nom de "Magan", celui de son père, le patronyme qu’on lui reproche d’avoir dissimulé. Elle affirme, documents à l’appui, qu’elle y était contrainte - déjà - pour des raisons de sécurité, ayant fui un mariage forcé au Canada.
La question du retrait, violent, de son passeport à une jeune Africaine qui, quoi qu’elle ait fait antérieurement - visiblement rien de bien grave -, a développé ensuite tous les traits, les talents et les qualités d’une personne pouvant être définie comme "intégrée" doit poser énormément de questions aux Néerlandais et à d’autres.
Si même cette victime de l’excision, si même cette élue, cette intellectuelle diplômée de l’université de Leyde, oratrice brillante et courageuse, n’entre pas dans la (nouvelle) catégorie dite des "immigrés désirés", qui sera, demain, susceptible d’en faire partie ? Qui bénéficiera, en outre, de la part d’humanité que, nulle part en Europe, le "respect des règles" ne peut négliger, sous peine d’abaisser le niveau commun de civilisation ?
L’affaire est invraisemblable et ne peut s’expliquer seulement par la volonté de la ministre de l’intégration, l’obstinée Rita Verdonk, d’appliquer à la lettre des règlements. Ou par son souci, très politiquement correct, de ne pas faire d’exceptions alors qu’elle venait, c’est vrai, de faire expulser une jeune Kosovare à quinze jours des examens scolaires finaux que cette jeune fille sans histoires devait présenter. Ou encore par son évidente mésestimation des conséquences qu’allait entraîner, aux Pays-Bas et ailleurs, une décision aussi lourde de symboles. L’intraitable ministre est parvenue à détruire l’image d’un pays qui, pourtant, est l’un de ceux qui, en Europe, a le mieux assuré la représentation politique des diverses communautés qui le composent.
De tout cela, Mme Verdonk, dont les observateurs néerlandais disent poliment qu’elle manque de "finesse", n’avait cure. Le comble du ridicule - ou du cynisme, comme on voudra - a été atteint lorsque le groupe Hofstad, réseau islamiste rassemblant les auteurs de l’assassinat de Theo Van Gogh, a salué la démarche de la ministre envers Ayaan Hirsi Ali, celle qui figurait en tête sur la liste de ses cibles.
FRAPPER LES ESPRITS
On pourrait expliquer aussi que la ministre, qui tente d’accaparer l’héritage du tribun Pim Fortuyn, voulait frapper les esprits, dans la perspective de sa course à la présidence du VVD. Fidèle à son slogan - "Ni de droite, ni de gauche, droit devant" -, Mme Verdonk cultive une image de responsable située en marge du "marigot" de La Haye. Elle estime que le sacrifice de sa collègue de parti ne lui causera aucun préjudice. Mieux : qu’il plaira à ses électeurs, qui réclament de la "fermeté" face à tout manquement.
Au passage, Rita Verdonk a aussi fait oublier ses bévues et ses propres mensonges. Comme lorsqu’elle a nié, avant de se corriger, que des informations sur des demandeurs d’asile congolais aux Pays-Bas avaient été transmises au gouvernement de Kinshasa. Elle a aussi dû concéder que l’administration qu’elle dirige avait laissé des représentants du gouvernement syrien interroger, à La Haye, des candidats réfugiés. Mme Verdonk est également cette responsable qui a osé déclarer que des chrétiens et des homosexuels iraniens sous le coup d’une expulsion ne risquaient rien s’ils étaient renvoyés. Dans ce cas aussi, elle a dû faire marche arrière.
Il y a tout cela, mais plus encore dans ce dossier. Des éléments fondamentaux pour l’avenir. Et notamment cette sourde volonté d’une majorité des dirigeants néerlandais de ne plus tolérer les mises en garde d’Ayaan Hirsi Ali, de tourner la page d’une époque sombre, d’en revenir, si possible, aux Pays-Bas pacifiques et consensuels d’avant l’ère Fortuyn. Etat social "modèle", démocratie aboutie et autosatisfaite, le pays a notamment découvert, depuis 2001, qu’il avait tardé à aborder les questions cruciales de l’immigration, de l’intégration, du multiculturalisme et de la place de l’islam.
Si Ayaan Hirsi Ali est devenue une figure emblématique, c’est parce qu’elle évoquait à haute voix tous ces thèmes et engageait une lutte très concrète contre l’excision, l’oppression des femmes musulmanes dans leur communauté ou le rôle des écoles islamiques, sur lesquelles l’Etat n’exerce aucun contrôle véritable. Au-delà, elle posait la question de la prétendue tolérance néerlandaise et se demandait si cette étiquette ne cachait pas une forme de laxisme, voire de lâcheté, et une acceptation d’un dangereux développement séparé des communautés.
En invoquant les Lumières, en interrogeant ses concitoyens sur la compatibilité entre certains préceptes de l’islam et une démocratie moderne, la députée libérale a fini par susciter la méfiance dans son camp. La gauche travailliste, elle, l’a instrumentalisée et n’a pris sa défense que lorsqu’il s’est agi d’attaquer Mme Verdonk.
Ayaan Hirsi Ali peut se reprocher d’avoir mésestimé la capacité de résistance de sa société d’accueil. Celle-ci vient de lui répondre de manière symbolique qu’en fait elle n’a jamais existé. Ni au sein de cette société ni dans son Parlement. Son message, lui, va pourtant perdurer.
Messages
1. > Il faudrait plein de Ayaan Hirsi Ali, 6 juin 2006, 18:42
Le départ des Pays Bas de cette femme admirable est un bien triste symbole !!!
C’est assurément encore une victoire des barbus dans un pays occidental. Pourtant des Ayaan Hirsi ali il en faudrait plein partout ! En France les voix laiques manquent aussi cruellement. Sûr qu’entre Sarko et les freres musulmans de l’UOIF, elles ne sont pas bien vues non plus.
Mais curieusement c’est la gauche qui fait un proces à ces laics, les taxant sans cesse d’islamophobe, mot inventé par les mollahs iraniens, pour taire toute critique des religions.
Non à l’interdit de blaspheme et merde à toutes les religions qui nous oppriment et nous etouffent ! Pas de respect pour les religions qui ne respectent pas les droits élémentaires du genre humain !