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Brèves de réunion, travailleurs social en déroute...

Publie le jeudi 4 février 2010 par Open-Publishing

Un matin pluvieux comme les autres, 9h30, en banlieue parisienne. Je suis présent à une réunion dont l’objet est d’évoquer les parcours d’insertion d’une quinzaine de femmes immigrantes, suivies dans le cadre d’un dispositif particulier. Autour de la table : divers professionnels du travail social, des conseillers du Pôle emploi, un directeur-adjoint de Centre Social, une coordinatrice de formation, un médiateur social…

Le but de cette réunion est d’évoquer les cas de femmes qui sont amenées à fréquenter les structures sociales ou d’éducation populaire dans lesquelles nous travaillons, il s’agit de mettre les informations en commun afin de proposer des ébauches de solutions aux problèmes rencontrés par ces femmes et de le faire avec une logique de parcours, peut-être un peu plus cohérente que lorsque le suivi est seulement individuel.

Cette réunion est également l’occasion de faire le point sur les dispositifs d’insertion sociale et professionnelle existants. Sans entrer dans la complexité de ceux-ci, ce qui serait inintéressant pour un non-initié, on peut déjà remarquer que les professionnels eux-mêmes sont dépassés par la vitesse à laquelle ils changent de nom, de modes de financement, de conditions pour prétendre y entrer.

Je sais qu’il est un peu tôt mais avec tous ces sigles barbares (très à la mode chez les travailleurs sociaux) j’ai déjà envie d’un whisky pour tenir le coup ! D’ailleurs mon voisin à l’air d’avoir lui aussi forcé sur la picole hier soir vu son visage enthousiaste…

En fait je crois qu’on aurait tous besoin d’un p’tit verre pour se remonter : à chaque fois qu’un nouveau dispositif est évoqué, nous nous regardons atterrés, certains soupirent d’autres rient nerveusement, certains s’indignent et semblent dénoncer des dérives inquiétantes en matière de politiques publiques mais nous revenons vite à notre mission première : évoquer le parcours de ces femmes « en insertion ».

Premier constat : les dispositifs d’apprentissage du français pour les immigrés « primo-arrivants » et le financement de ces actions répondent maintenant totalement à des logiques de marchandisation, en clair on répond à des appels d’offres et on essaye d’être concurrentiel. Bien sûr, on contrôle la régularité du titre de séjour de la personne qui souhaite apprendre le français, pas question d’avoir des sans-papiers dans les organismes de formation linguistique financés par l’Etat… On est loin des cours dispensés par les associations de quartier, ceux-ci sont en train de disparaître doucement mais sûrement bouffés par des logiques de concurrence et de rentabilité (j’y reviendrai dans un autre billet).

Deuxième constat : le Pôle Emploi délègue de plus en plus souvent « ses » chômeurs à des officines privées (sombres cabinets de chasseurs de têtes ou agences d’inté-trime en reconversion partielle) qui essayent de les recaser moyennant finances (argent public bien sûr) et en faisant un tri des dossiers, c’est-à-dire en mettant de côté les seniors et autres « écartés d’office de l’emploi » qui seront encore plus mal traités qu’à l’ex ANPE…

D’après les dires d’un conseiller emploi présent, il s’occupe d’environ 150 dossiers de chômeurs « actifs », c’est-à-dire ceux qui sont convoqués tous les mois (sic !). Si on compte environ 22 jours de boulot par mois ça fait à peu près 7 chômeurs par jour par conseiller… Et peu de temps derrière pour essayer de leur trouver des offres d’emploi ou de travailler sur leurs projets de formation.

De toute façon aujourd’hui tout est automatisé, robotisé, tu reçois des SMS qui t’annoncent que tu dois te présenter à un entretien d’embauche pour un boulot de 3 jours à 25 bornes de chez toi sous peine de radiation, on t’oblige à participer à des formations qui ne font qu’user ta motivation et augmenter ta rage d’évoluer dans un système complètement déshumanisé où personne ne semble responsable de rien.

On nous annonce aujourd’hui que les codes ROME (ce qui te sert à chercher du taf dans ta branche) viennent de changer et tout le monde ici peste contre le site internet du Pôle Emploi qui est mal fait, qui « bugue » régulièrement, qui n’est absolument pas accessible à un novice, alors pour un étranger…

Rien que d’y penser mon envie d’un petit Jack Daniels bien tassé se confirme…

Mais le plus grave arrive ensuite, c’est la façon dont on traite les immigrants, les fameux « primo-arrivants », on a droit à une petite explication des démarches à suivre par la personne qui mène la réunion et dont je résume très brièvement les propos, de façon non-exhaustive :

Lorsque tu arrives en France en venant d’un pays hors Communauté Européenne, tu dois, et ce depuis 2007, signer un « Contrat d’Accueil et d’Intégration » (CAI). Dans le cadre de ce CAI tu as droit (en fait c’est plutôt un devoir…) à des cours de français et tu dois passer le Diplôme Initial de Langue Française (DILF) qui « atteste du niveau satisfaisant de maîtrise de la langue française » et te donne droit à un tour de manège gratuit, c’est-à-dire le renouvellement de ton titre de séjour.

En sus tu devras subir une journée de « formation civique » obligatoire au cours de laquelle on t’informera sur les valeurs et grands principes de la République Française (mais si tu sais : liberté, égalité, fraternité, laïcité et tout et tout). Bien entendu c’est le ministère de la honte (immigration et identité nazionale) qui s’occupe de la mise en place et du financement de ces actions.

Quand tu suis la formation linguistique avec l’organisme qui a répondu à l’appel d’offres du fameux ministère nazional (re-sic !), on te délivre un certificat d’assiduité à condition que tu viennes régulièrement et que tu présentes des justificatifs quand tu es absent (n’oublions pas que tu es un adulte, mais un adulte étranger…). En fait si tu manques 3 fois les cours de français sans justificatif, tu n’as pas le certificat d’assiduité, donc ta carte de séjour n’est pas renouvelée et donc… tu rentres au pays ! De même si par hasard, il te venait l’idée saugrenue de partir en vacances, tu dois présenter une photocopie de tes billets de train ou d’avion à l’organisme de formation afin de justifier de ton absence !

Imagine le cas d’une femme seule dont l’enfant est malade, disons une gastro, pas de quoi l’emmener chez le médecin pour si peu, et puis de toute façon pas de tunes pour le payer, alors on reste à la maison avec le petit et le justificatif, bah y en a pas ! Ou encore la vieille Renault 5 toute pourrie qui tombe en panne, pas de justificatif non plus, il y en a plein des exemples comme ça…

On est bien dans une logique de flicage, d’écrémage, une manière de refuser le séjour des étrangers sur notre sol et de limiter l’immigration de façon à peine déguisée, tout en augmentant insidieusement les chiffres des expulsions. Et le plus grave, c’est que les travailleurs sociaux sont donc appelés à devenir eux-mêmes des condés si on suit cette logique. Etre expulsé pour « non assiduité aux cours de français » c’est énorme quand même…

La réunion se poursuit, on évoque le cas d’une jeune femme musulmane qui ne veut pas retirer son voile pour travailler, en conséquence elle envisage de trouver un emploi dans « le réseau communautaire » qui, selon une professionnelle du quartier « se développe énormément ces derniers temps », (tu m’étonnes !). Apparemment la femme avait auparavant réussi à trouver du boulot dans une crèche où on lui demandait de se cacher quand les parents des enfants arrivaient…

La discussion dérive ensuite vers « l’apprentissage des symboles républicains pendant les cours de français » (j’ai de plus en plus de mal à garder mon calme, putain il est où mon whisky ?). Par bonheur mon voisin qui n’avait pas beaucoup parlé jusqu’à maintenant, assène un sonore et ironique « on n’a qu’à leur faire chanter la Marseillaise tant qu’on y est ! » qui me réconforte un instant, pétrifié que j’étais devant l’outrecuidance de certains, si prompts à se déclarer garants de la morale et des bonnes mœurs de la République.

Il est 11h30, nous n’avons pas beaucoup avancé sur les cas de ces femmes que nous sommes censés suivre, mais en 2 heures j’ai beaucoup appris, la réunion est finie, j’ai la gorge sèche et la révolte un peu plus chevillée au corps…