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VALSES NOUVELLES
1) POLITIQUE : VÉRITÉ, RÉALITÉ, PEUR, LÂCHETÉ, CRITIQUE, ENFANCE, ART
Comment la politique, la démocratie révolutionnaire, l’auto-praxis pourraient-elles se développer dans un pays et une époque où la parole n’est pas libérée, où les relations humaines sont écrasées par les pesanteurs de la honte de quelque privilège, de la peur de soi et des autres, et in fine par la lâcheté incommensurable d’un peuple qui est bien loin d’être resté celui de la liberté, dont il fut censé porter le flambeau aux yeux du monde.
Quelque chose s’est durablement embourgeoisé, franco de porcs, derrière des barricades qui sont essentiellement intérieures, que le terme d’aliénation peine à rendre, car ces supposées "victimes" sont prises, entre objectivité et subjectivité, entre intérêts de voir et de s’aveugler. En tous domaines, la réalité fait peur. Sa propre vérité fait peur. La sécurité est de rigueur. L’autocensure et l’auto-servitude font barrage à l’autopraxis dont tous les ingrédients sont pourtant au bord de la conscience et de l’action.
La peur de la réalité conduit aux interdits et aux tabous de la critique. De la critique radicale. Voilà la glue à laquelle se collent aussi bien le syndicalisme que l’apolitisme massif qui fait du régime ’démocratique’ une dictature sur des esprits consentants. Les corporatismes disent assez bien cet état de pourrissement de la veine intempestive. Celle-ci n’est contre toute illusion que très minoritaire. Point besoin dans ces conditions de se demander pourquoi l’électorat remet son avenir entre les mains de ses représentants dans un geste de consommateur. Qui veut la vérité pour la réalité ? Qui veut la responsabilité qu’implique la liberté ? En vérité, et jusqu’à preuve du contraire, les Français ne sont guère plus avancés que les Autrichiens de Thomas Bernhardt ou d’Elfriede Jelinek.
Quelque chose est à secouer, d’une geste artiste, cette quête absolument vitale de la réalité, qui demeure la source essentielle, comme disait Lénine, de la révolution : "la vérité est révolutionnaire". La vérité comme recherche de la réalité à transformer : difficile de transformer dans un sens choisi ce qu’on ne connaît pas. En France ce ne pourra être secoué qu’à l’occasion d’une explosion populaire du type de 1968. Les seuls moments de vérité sont ceux où la parole, comme sortant de la bouche des enfants, s’autorise à surmonter la honte d’avoir peur. Ces moments qui surgissent à l’occasion d’événements rompant avec la normalité quotidienne et sa scansion du temps de la survie. Ces moments où ceux dont on l’attend le moins retrouvent la joie vraie de l’enfance, qui est aussi celle de l’artiste dans l’acte de création. Une question revient toujours : peut-on et comment participer à l’émergence de tels moments ?
2) VÉRITÉ, RÉALITÉ : ART, POLITIQUE, ÉTHIQUE
(politique est ici pris dans le sens de la politique pour l’émancipation, celle dont ’nous’ a besoin)
L’art (la poésie, la peinture...) ne dévoile pas la réalité, comme prétendrait le faire une philosophie. L’art se fait à partir de la réalité : il recrée ce qu’il a senti d’elle, telle qu’elle se donne à voir à qui la regarde droit dans les yeux. L’art s’empare de la réalité sans chercher à en dire la vérité : il existe dans l’équivoque qui sépare la réalité de toute vérité (philosophique, politique...). C’est pourquoi l’art ne s’arrête pas à une vérité ni à une autre, mais commence en-deça et emmène au-delà, s’approchant de (touchant à) la réalité mieux (en tous cas différemment) que toute vérité (philosophique, politique...).
L’art est un faire, une praxis. Différente de la praxis politique. Il est praxis entre sentir (saisir = ’voir’) et faire. La politique est praxis entre penser (saisir = comprendre) et faire. L’art est politique quand il ne tente pas d’anéantir la distance entre vérité et réalité. L’art cherche la réalité plus qu’une vérité de la réalité : penser lui est nécessaire mais pas suffisant ni essentiel. Il ne s’impose pas à la réalité comme vérité, mais comme re-création, dans l’oeuvre comme sujet, c’est-à-dire par les effets sur son ’public’, capable de re-saisir (même inconsciemment) la geste de l’artiste (à qui la conscience n’est pas non plus indispensable dans sa geste) : c’est pourquoi l’art véritable exige un public actif. Il touche qui en est saisit en le saisissant. Voilà qui ne relève pas, comme l’Occident le croit, de capacités intellectuelles.
La politique ne serait pas émancipatrice qui n’aurait pas besoin de l’activité (besoin que les gens pensent et agissent).
L’art rejoint la politique en ceci qu’il ne triche pas avec la réalité sans risque de se perdre, lui en tant qu’art, elle en tant que politique. Si art et politique jouent avec ce feu de leur mort, cela reste par quelque ruse de la forme : la tactique pour la politique, l’esthétique pour l’art. (L’esthétique est la tactique de l’art. La tactique est l’esthétique de la politique) Ils en sortent vivants par l’éthique. L’éthique est ce qui sauve l’art et la politique de se croire plus vrais que le réel, d’imposer une vérité à la réalité.
3) POLITIQUE : VÉRITÉ, DISSENSSUS, ART
Avons-nous peur de la réalité ou de la vérité ? Il me semble que nous sortons de l’époque où nous avions si peur que nous ne pouvions appréhender la réalité que par le mensonge. Nous entrons dans une autre où nous avons absolument besoin de la vérité vraie (sincère, car chacun la sienne). Quand on a saisi son mensonge, on le rejette où l’on y sombre en pires souffrances. Vouloir sa vérité rend possible de rencontrer la réalité pour tous, y compris d’autres vérités. Mentir leurre tout le monde : dans le capharnaüm post-moderne il n’y a que des dupes.
Le simple fait de chercher la (sa) vérité, de ne plus supporter le mensonge, est une phase de libération qui constitue une rupture éthique : pour toucher à la réalité, il faut d’abord vouloir la vérité. Alors la politique devient possible comme dissenssus. Ceux qui cherchent le consensus plus que la réalité, et plus que leur propre vérité, ceux-là négocient avec le mensonge. Croyant rencontrer le réel plus vite, ils lui tournent le dos. Mais on ne sortira pas d’une époque de mensonges en leur opposant d’autres mensonges, sauf à précipiter la catastrophe. Ceux qui se battent pour la vérité peuvent faire des compromis, car ils négocient dans la réalité.
Nous voulons passionnément la vérité, car elle seule peut nous faire toucher la réalité et gagner le réel de vivre. Pas plus que l’art ne se réduit à une esthétique, la politique ne se ramène à une tactique, à ses ruses. Voilà aussi en quoi la politique apprend de l’art.
Le secret du "révolutionnaire"
A délire de la veille, cela consiste à con-sidérer la réalité comme inconnaissable en totalité : connaissable en parties et limites seulement. Sans quoi l’on croit possible de l’atteindre comme une totalité par une vérité, et l’on ne fait plus la différence entre sa vérité et la réalité : puisqu’on a raison pourquoi chercher ? Et l’on préfère les réponses aux questions. L’art est à l’abri tant que l’artiste ne le considère pas comme vecteur d’une vérité de représentation mais bien de (re)création d’une réalité. La politique fondée sur des certitudes s’ignore comme représentation et se présente comme vérité à faire partager, par quelque pédagogie. Elle a d’autant plus de mal à atteindre son but qu’elle écarte les moyens de le toucher : elle n’est plus art de l’attention à la réalité mais détention de sa vérité.
Sachant tout, le tout d’une totalité qu’il croit posséder alors qu’il ne la pense pas, et dont sa vérité est (hait) l’absolu contraire, le "révolutionnaire" ne trouve rien de réel à changer : dés-altéré, il alter-erre dans le miroir de ses altères -égaux : la musculation égotiste du même collectivement individualisée... par son identité en tant qu’indivi-duel-le (’révolutionnaire’, ’communiste’, ’marxiste’...) entièrement aux mains... du Capital : sa ’révolution’ étant le contraire de ce dernier, dans un miroir qu’il ne traversera jamais, et voulant changer le tout il ne change que rien : à son corps défendant, il ne peut rien changer. Sauf de peuple, comme disait Brecht. Son auto-pro-clam-action est alors le contraire de l’autopraxis (du prolétariat réel), pour une fin qui, n’ayant jamais à commencer par la lutte initiale (Edgar Morin), toujours recommence la lutte finale : la révolution impuissante est sa répétition par celui qui n’a pas à changer : le "révolutionnaire".