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Cesare Battisti : La parole donnée est-elle négociable ?

Publie le mardi 6 avril 2004 par Open-Publishing

par Erri De Luca, écrivain.

Je suis d’un pays où la parole donnée est toujours négociable en fonction des offres du marché. L’hospitalité offerte au leader kurde Ocalan se transforme en expulsion, suivie de la remise d’un réfugié entre les mains de ses persécuteurs. Chez nous, la parole donnée sert à majorer le prix de la trahison. Nous sommes un pays marchand qui fait commerce de tout, du patrimoine artistique aux prisonniers politiques. Notre esprit levantin a élevé au pouvoir le plus riche.

À partir de cette expérience de priorité aux affaires et d’indifférence envers les engagements, j’éprouve de l’admiration pour un pays qui agit différemment. Tout au long de ces années, tous les gouvernements français ont résisté aux pressions italiennes et n’ont pas livré les gênants hôtes politiques accueillis depuis longtemps. Ils ont été condamnés en Italie à des peines si exceptionnelles qu’elles ne sont même plus en vigueur, alors qu’elles restent valables pour eux seulement. Hôtes politiques : les crimes qu’on leur attribue ont été commis au cours d’une décennie fiévreuse et révolutionnaire de mon pays qui fait désormais partie de l’autre siècle. Hôtes politiques : aucun de ces condamnés n’a exposé sa vie et sa liberté par intérêt personnel, pour s’enrichir. Et ça, c’est aujourd’hui incompréhensible et impardonnable en Italie.

Et en France ?

Ici, à l’échelle réduite de ces cas, il s’agit d’une question d’identité nationale : la France peut-elle discréditer sa parole donnée et réduire son image à l’image marchande et levantine de la politique italienne ? En tenant compte de toutes les difficultés rencontrées pour être restée l’unique terre d’asile dans une Europe de polices et de monnaies : je crois que non.

Je crois au poids de sa tradition. Je crois à la loyauté envers des étrangers accueillis et transformés, par l’hospitalité si longtemps accordée, en citoyens français. Ce ne sont même plus des ex-Italiens. Sans la France, ce sont des apatrides, sans la France, ce sont des paupiettes entourées de fil barbelé.

(Traduction par Danièle Valin.)

L’Humanite