Accueil > Chavez : un dirigeant sous la direction des masses
Depuis l’avènement de la démocratie représentative, la citoyenneté politique se résume à l’expression d’un vote de façon périodique et l’adhésion à un parti politique. La démocratie bourgeoise en tant que stratégie de maintien du système, est une puissance stérile incapable d’enfanter le moindre projet de transformation sociale. La théorie de la postmodernité, en se prévalant de l’obsolescence des matrices idéologiques, prescrit en vis-à-vis la fin de toute conflictualité et donc de la politique.
En assimilant l’épanouissement de l’être au repli individualiste, l’idéologie néolibérale favorise l’émiettement de la société et le désintérêt social.
L’indifférence résulte de l’ignorance alors que la conscience induit la détermination. Le dessein de la direction socialiste est de rendre conscient le lien organique entre le procès historique et les objectifs de l’émancipation. Pour y parvenir, la multitude doit prendre la mesure de sa force virtuelle. La démocratie authentique existe seulement lorsque les masses se dirigent elles-mêmes et qu’elles deviennent agent de leur propre histoire. La priorité de l’instruction à Cuba et au Venezuela concourt à l’autonomie et l’indépendance réelle des masses.
Dans des contextes propices, certaines personnalités parviennent à se distinguer en réfractant les espoirs des masses désabusées. En réponse à la volonté de changement structurel émise par le peuple, Hugo Chavez a engagé un modèle de développement novateur que la défection des institutions politiques classiques et l’offensive du libéralisme individualiste ont rendu nécessaires. Ce processus de réformation prend peu à peu les couleurs d’une révolution. Le succès de Hugo Chavez tient à sa capacité d’agréger le ressentiment généré par le modèle néolibéral. Sans un pouvoir causal sur la vie concrète ¬, sa persuasion pédagogique tomberait vite à plat. L’ascendant qu’exerce Chavez tient moins à ses qualités de tribun ou de manipulation qu’à la grande rigueur de sa pensée. Le ferment qui le rend crédible n’est pas psychologique mais sociologique.
Chavez va à contresens de la postmodernité qui entraîne la segmentation et l’atomisation de la société ; il fédère la grande majorité de la nation autour d’un projet et de valeurs communes. Chavez suggère une approche panoramique et verticale de la politique et une nouvelle dialectique chef-masse. Le processus bolivarien déborde désormais des frontières nationales pour construire une intégration continentale alternative.
Réconcilier le social et la politique :
Ce qu’on nomme la gauche est historiquement et structurellement traversée par deux courants. Pour les uns, le capitalisme est incontournable et ils se contentent dès lors de l’aménager tandis que les autres estiment qu’on ne peut influer sur sa structuration inégalitaire sans une rupture.
La globalisation du capitalisme financier a entraîné un redéploiement géographique des relations de pouvoir et un transfert des instances décisionnaires. Les systèmes et les espaces de résistance doivent muer en même temps que le modèle hégémonique par souci d’efficacité. L’opposition doit donc se réorganiser sur base de ces nouvelles coordonnées. Les acteurs et les espaces peuvent varier mais le but reste identique : la construction d’un projet de civilisation humaniste.
La déconstruction des solidarités sociales et la rhétorique individualiste crée des dissensions au sein des classes dominées et entre des pays ou des régions. Il est nécessaire par suite d’établir de nouvelles solidarités et convergences, de nouvelles plateformes de discussion locales et internationales. L’engagement politique ne peut plus se confiner aux intérêts immédiats et corporatistes. Il faut s’inscrire dans le réel sans pour autant perdre de vue le global.
Le sens même de la politique et des acteurs est totalement bouleversé. Pour ne pas se perdre dans les limbes des intentions pures, le mouvement social doit chevaucher la politique. Il n’est plus possible d’assigner des fonctions distinctes aux structures politiques et aux mouvements sociaux qui doivent nouer de nouvelles relations au cours de l’expérience historique. Il s’agit de concevoir d’autres rapports entre mouvement social et structures politiques en dépassant les schémas d’antan. L’élaboration d’un projet alternatif ne peut surgir que de la collaboration étroite de toutes les volontés.
Subjectivité et déterminisme :
Malgré le primat des forces économiques, il y a une place dans le cadre général pour le geste politique. Rien n’est plus dommageable au progrès social que le déterminisme pour qui l’histoire suit inexorablement un chemin linéaire. L’histoire connaît au contraire des ruptures, des arrêts et des accélérations.
Il ne faut pas minorer le rôle ultime de la subjectivité et du génie politique. Le geste de la révolution cubaine célèbre la force du paramètre subjectif. Sans le surcroît de subjectivité et la grandeur de figures tels Fidel et Che, Cuba serait restée une étoile terne sur la bannière américaine. L’histoire rend la sentence que les hommes doivent exécuter.
Le possible ne se réduit pas au réel et le réel ne se réduit pas à notre champ d’existence. Il faut le concours de toutes les forces et de tous les acteurs sociaux pour insuffler un processus de transformation intégral. La crise sociale et les atteintes à la biosphère nous mettent en demeure de résister et d’agir sans plus tarder.
Emrah KAYNAK