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Chypre : L’île aux Russes

par The Guardian 2012

Publie le mardi 26 mars 2013 par The Guardian 2012 - Open-Publishing
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"Des dizaines de milliers de Russes ont élu domicile à Chypre. Leur présence soulève des questions quant aux relations diplomatiques et financières de Nicosie avec Moscou.

Luke Harding

Poussé par une violente tempête, un mystérieux cargo russe a été forcé de se réfugier dans le port chypriote de Limassol, ce mois-ci.

A bord se trouvaient quatre containers remplis de 60 tonnes de munitions pour Kalachnikov et lance-missile. La cargaison provenait de l’agence russe d’exportation d’armes, Rosoboronexport, et était destinée au gouvernement syrien.

Membre de l’Union européenne depuis 2004, Chypre aurait dû saisir la cargaison du MS Chariot. Cette livraison constituait clairement une violation de l’embargo européen sur les armes mis en place contre le régime syrien engagé depuis plusieurs mois dans une vague de répression violente contre ses propres citoyens.

Au lieu de cela, les autorités chypriotes ont laissé le bateau repartir après que le capitaine se fut vaguement engagé à changer d’itinéraire. Le navire fit le plein de carburant et repartit droit sur le port syrien de Tartous où il livra son équivoque chargement.
Poutine leur a promis 2,5 milliards d’euros pour sortir de la crise

Certains esprits critiques y voient une nouvelle preuve de "l’embarrassante servilité" de Nicosie envers Moscou. On comprend toutefois que les autorités chypriotes n’aient pas envie de se fâcher avec Vladimir Poutine. Le Kremlin leur a en effet promis 2,5 milliards d’euros – qui n’ont pas encore été versés – pour les aider à sortir de la crise.

La Russie a également été un fervent soutien de Chypre au sein du conseil de sécurité de l’ONU et ferme opposant à la reconnaissance de la république turque de Chypre du Nord.

Il y a tellement de Russes installés à Limassol, charmant port doté d’une vieille ville et d’un château médiéval, que la ville est aujourd’hui surnommée "Limassolgrad". On y trouve un journal russophone, deux écoles russes et une station de radio.

Le dimanche, les Russes vont faire leurs courses chez Debenhams ou dans les boutiques de la station balnéaire qui vendent des manteaux de fourrure, du kefir – sorte de yogourt russe au goût aigrelet – et de la Baltika, célèbre bière russe.

Puis, il y a l’agitation des bars et des boîtes de nuit de Limassol où l’on se croirait en Europe de l’Est avec les prostituées ukrainiennes, biélorusses et moldaves qui battent le pavé le long de la plage.
"Limassol fait partie de la Russie"

La communauté russophone de Chypre est estimée entre 35 000 et 40 000 personnes. Elle comprend bon nombre de Pontiques, ces Russes d’origine grecque ayant grandi en union soviétique et qui ont quitté le pourtour de la mer Noire pour s’installer à Chypre dans les années 90.

"Limassol fait partie de la Russie", affirme Artyom, serveur au restaurant Taras Bulba (baptisé ainsi en référence au héros cosaque de Nicolas Gogol). Pourquoi y a-t-il tant de Russes ici ? "D’abord pour les impôts. Ensuite parce que c’est facile pour les Russes d’obtenir un visa", explique-t-il.

"Chypre est une île très agréable, confie Natalia Kardash, rédactrice en chef de l’hebdomadaire russophone Vestnik Kipra. Mettez-vous à la place d’un homme d’affaires russe qui veut venir travailler ici. Il peut venir avec sa famille. Sa femme peut faire du shopping. Pas besoin de parler anglais, tout le monde parle russe. Il y a des dizaines de salons de coiffure et de manucure russes".

"Même le maire de Limassol parle notre langue. En Europe de l’Est, on n’aime pas beaucoup les Russes, même si on aime bien notre argent".

De fait, les Russes amènent beaucoup d’argent à Chypre. Plus de 25% des dépôts bancaires et environ un tiers des investissements étrangers sont d’origine russe.

Les investisseurs russes créent surtout des sociétés écrans pour profiter du faible taux d’imposition sur les entreprises (10%). Une bonne partie de ces fonds est réinvestie en Russie – 1,4 milliard d’euros en 2008 -, échappant ainsi au fisc russe. Les autorités chypriotes démentent toutefois fermement servir au blanchiment d’argent et soulignent que les Russes investissent encore plus en Autriche et au Royaume-Uni.

Bon nombre de spécialistes sont néanmoins sceptiques : "On parle du blanchiment d’argent russe à Chypre. La mafia russe est très présente sur l’île", explique Hubert Faustmann, professeur associé d’études européennes à l’université de Nicosie.

Sur les collines au-dessus de Limassol, on ne compte plus les villas de luxe avec vue sur la mer. La plupart appartiennent à des Russes et ont été achetées par le biais d’investissements opaques. D’autres sont la propriété de riches Chypriotes. Les locaux se plaignent de la montée des prix depuis l’arrivée massive des Russes. Bon nombre de ces villas sans style restent vides l’essentiel de l’année.

A Chypre, les habitants russophones lambdas expliquent que cette île leur offre quelque chose que la Russie n’a pas : elle les protège de la corruption généralisée de l’administration. En outre, la plupart des Russes installés ici ne sont pas des gangsters.
Le mouton rouge de l’Europe

Pour eux, mieux vaut vivre sous le soleil de Chypre que dans la froide Russie asservie de Poutine où la sécurité des citoyens est aussi peu assurée que leur protection légale.

Le président chypriote, Demetris Christofias, est l’ex-dirigeant du parti communiste Akel. Il a fait ses études à Moscou durant l’époque soviétique et parle russe couramment. Dans les télégrammes diplomatiques américains publiés par WikiLeaks, il est présenté comme un ardent critique de l’OTAN. Lors de sa visite nostalgique à Moscou en 2008, il s’était également flatté d’être "le mouton rouge de l’Europe".

A propos du sauvetage de Chypre par la Russie, le ministre des Affaires étrangères chypriote, Erato kozakou-Marcoullis, déclare : "C’était une bonne proposition avec de bonnes conditions. La Russie a toujours soutenu notre indépendance, notre souveraineté et l’intégrité de notre territoire".(...)

LA SUITE ET FIN ICI
http://www.presseurop.eu/fr/content/article/1474151-l-ile-aux-russes

Messages

  • J SAPIR sur RN : "Le moment russe

    Les réactions de la Russie ont changé de nature entre l’annonce du plan samedi et la mise en place du blocus le mercredi 20 mars.

    Pour comprendre cela, il faut revenir sur la nature des avoirs russes à Chypre. Sur les 90 milliards d’euros de dépôts, 20 milliards correspondent à des comptes de personnes physiques ou morales (des entreprises) de la Russie et de la CEI. Il y a en fait 33 milliards d’euros qui correspondent à des avoirs étrangers, mais 13 milliards correspondent en fait à des dépôts de Grecs, de Britanniques et de personnes du Moyen-Orient.

    Les 20 milliards de dépôts russes sont certes importants, mais on peut difficilement dire qu’ils « dominent le système bancaire chypriote. En fait, l’île de Chypre joue un rôle particulièrement important dans les transactions financières en provenance ou à destination de la Russie. Les sommes sont là beaucoup plus élevées. Elles sont estimées à 250 milliards d’euros. Cet argent transite dans les banques chypriotes, mais n’y reste pas. De nombreuses sociétés russes ont ainsi des comptes à Chypre pour effectuer des règlements ou pour percevoir de l’argent de l’ensemble de la zone Euro. C’est donc à ce titre que Chypre est effectivement une place financière d’une grande importance pour la Russie.

    Les autorités russes, par la voix du Président et du Premier Ministre ont dénoncé le plan du 16 mars et la mesure de taxation des dépôts en indiquant que cette mesure rompait le pacte de confiance entre le déposant et sa banque. C’est indubitablement exact. On peut même dire que cette taxe était contradictoire avec la garantie de 100 000 euros sur les dépôts qui est valable dans toute la zone Euro. Mais, à ce moment, il n’est nullement question que la Russie intervienne et sauve les banques chypriotes. La visite du Ministre des Finances de Chypre à Moscou ne se solde par aucun accord. La protestation du gouvernement russe est purement de principe. La nature illicite d’une partie des dépôts fait que les autorités russes n’ont aucune envie d’intervenir.

    Par contre, avec l’annonce du blocus, le ton change radicalement. Le Premier Ministre, M . Dmitri Medvedev, menace alors de transformer brutalement la partie des réserves de change libellée en Euro et détenue par la Banque Centrale de Russie en dollars. La menace est très sérieuse pour la zone Euro. La Russie détient probablement entre 350 et 400 milliards d’euros. Qu’elle en vende la moitié pour acheter du dollar ou d’autres monnaies et c’est tout l’équilibre fragile de la zone Euro qui est brutalement compromis. Les taux d’intérêts se mettraient brutalement à monter.

    Nous en sommes donc là. Le gouvernement chypriote doit présenter un « plan B », basé sur un fonds d’amortissement et excluant toute idée de taxe. Ce plan sera, en l’état, probablement rejeté par la BCE et l’Eurogroupe. Soit le gouvernement chypriote cède aux pressions de la BCE, soit nous allons vers une intensification dramatique de la crise. Cette dernière pourrait bien aboutir à un effondrement partiel du système bancaire Chypriote et à la sortie de ce pays de la zone Euro. Si on devait en arriver là, il est possible qu’un accord soit finalement trouvé avec la Russie et que cette dernière, moyennant alors un accès privilégié au gaz off-shore au large de Chypre accepte finalement de se substituer à l’Europe. Si cela devait arriver, ce serait un événement d’une portée considérable qui signifierait, en fin de compte, la fin de la zone Euro, un affaiblissement considérable de l’UE et une autorité grandissante de la Russie en Europe."

    (EXTRAIT)

    http://fr.rian.ru/tribune/20130322/197865918.html