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Colombie : La propagande des médias concernant la guerre à la drogue
Publie le lundi 6 février 2006 par Open-Publishingde Garry Leech Traduction : Numancia Martínez Poggi
La semaine passée les correspondants des médias dominants basés en Colombie ont servi la propagande de la soi-disant guerre à la drogue menée par Washington dans ce pays sud-américain. Après la mort le mois dernier de 29 militaires tués par les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), le président Alvaro Uribe était décidé à montrer aux Colombiens et au monde que son gouvernement est en train de l’emporter dans le guerre civile et dans la guerre à la drogue. Cependant, pour que son message soit diffusé de façon efficace, Uribe avait besoin de la collaboration des médias internationaux. Pas de problème. Tout ce qu’il avait à faire c’était de planifier une offensive anti-narcotiques et de demander aux militaires un tour pour la presse [junket] pour transporter les correspondants étrangers de Bogotá à la zone d’opération. Inévitablement les journalistes dorlotés allaient citer les officiers de l’armée chargés de l’opération et allaient présenter de façon favorable un aspect du problème. Le 19 janvier l’armée colombienne a arrangé un tour pour la presse pour les journalistes de Reuters et de Associated Press pour aller couvrir l’éradication manuelle des plants de coca dans le Parc National de La Macarena, dans le sud-est de la Colombie. Les deux journalistes ont informé du lancement de l’opération de façon complaisante bien qu’ils ne fussent apparemment pas d’accord sur le nombre de troupes impliquées (c’était 3000 soldats selon AP, et 1500 soldats et policiers selon la version de Reuters). Les deux articles ne reportaient que le point de vue de l’armée colombienne sur cette opération d’éradication de la plante de coca.
Le lendemain, plus de 50 publications dans le monde, y compris de nombreux quotidiens états-uniens, ont rendu compte de ces deux dépêches des agences. Le titre impartial de Reuters était le suivant : « La Colombie commence à nettoyer la coca le Parc National ». Le titre de la version AP cependant ressemblait à un communiqué du gouvernement colombien ou de l’ambassade états-unienne : « La Colombie se réapproprie une région infestée par la coca ». A aucun moment dans ces deux articles aucun des militaires qui a organisé le tour pour la presse [junket] explique ce que le gouvernement fait, s’il fait quelque chose, pour les quelque 5000 agriculteurs dont les moyens de subsistance sont détruits. A aucun moment dans ces deux articles il n’y a la moindre citation de propos émis par les paysans qui sèment la coca. Cela pourrait aider le lecteur à comprendre dans quelle mesure l’opération affecte les paysans et leurs familles et ce que ces derniers pensent de l’opération militaire. Et à aucun moment dans les articles il n’y a la moindre citation des FARC, expliquant leur point de vue sur l’opération militaire, supposée viser les sources de financement de cette organisation insurgée.
Les tours pour la presse [junkets] officiels, régulièrement organisés par le gouvernement colombien et par l’ambassade états-unienne sont un moyen pratique pour les correspondants basés à Bogotá pour visiter les lointaines régions rurales affectées par le conflit interne. Le problème, cependant, c’est que les journalistes sont transportés pour passer quelques heures avec des officiels qui leur offrent un article pré-emballé. Inévitablement la ligne officielle s’impose dans le compte-rendu. De leur côté, le gouvernement colombien et l’ambassade des Etats-Unis sont parfaitement conscients de la situation de dépendance totale des médias dominants quant aux sources officielles. Ils tiennent donc régulièrement des conférences de presse officielles et des officiers sont utilisés pour les actes publics, comme par exemple pour l’ouverture d’une nouvelle usine, ou à l’occasion d’une nouvelle opération militaire. Les officiels du gouvernement savent parfaitement que les médias couvriront ces actes de façon disciplinée parce qu’ils permettent de produire des articles convenables ; mais il y a peu de chances pour qu’un officiel dise quelque chose qui ait la valeur d’une nouvelle. Tous les correspondants étrangers basé en Colombie se présentent souvent à ces actes pour ne pas être le seul à ne pas rendre compte de la « nouvelle », ce qui signifie que paraîtront le lendemain des versions presque identiques du même reportage. Les officiels du gouvernement savent que s’ils occupent quotidiennement avec des nouvelles pré-emballées qui montrent le gouvernement sous un jour positif, les journalistes seront trop occupés pour pouvoir mener un véritable journalisme d’investigation qui pourrait soulever de véritables questions sur des thèmes importantes.
La couverture du conflit colombien, comme pour d’autres sujets importants, ne doit pas se réaliser de cette façon. Les correspondants devraient travailler plus indépendamment et ne pas accepter passivement de se laisser orienter par les officiels du gouvernement. Deux, trois, quatre ou même cinq correspondants étrangers couvrant une conférence de presse de l’ambassadeur états-unien, par exemple, ne peut mener qu’à la publication de cinq articles presque identiques. Par contre un journaliste pourrait couvrir un événement comme une conférence de presse (et zéro si le gouvernement ne peut pas convaincre les médias qu’il va aborder un sujet important), cependant que les autres correspondants seraient libres de mener des investigations sur d’autres affaires. Le résultat pour le public serait une couverture beaucoup plus rationnelle de la Colombie. L’excessive dépendance des médias dominants vis-à-vis des sources officielles, voici l’une des raisons qui font que les journalistes indépendants et alternatifs suivent plus particulièrement les nouvelles et les points de vue généralement ignorés par leurs collègues des grandes entreprises médiatiques.
Dans le cas des articles de Reuters et AP la semaine passée, les journalistes n’auraient pas dû baser la totalité de leurs articles sur le tour pour la presse officiel. Ils auraient dû voyager de façon indépendante vers la région, et mener une enquête plus profonde et plus étudiée de l’opération au lieu de simplement jouer le rôle de service de propagande des gouvernements colombien et états-unien. Une telle stratégie leur aurait permis de parler à des paysans cocaleros affectés par l’opération, d’interroger des membres des FARC (si ces derniers l’avaient bien voulu) et de sentir la situation sur le terrain au-delà des confins de leur garde militaire officielle.
Si les tours pour la presse [junkets] offrent un accès rapide, aisé et sûr à une nouvelle, ils affaiblissent la responsabilité journalistique qui est d’enquêter en profondeur sur un thème et d’éviter de dépendre d’une source unique. Bien que travailler de façon indépendante puisse parfois être dangereux dans un pays frappé par un conflit comme la Colombie, la réalité c’est que les journalistes basés dans ce pays d’Amérique du sud sont des correspondants de guerre et qu’ils ont la responsabilité de couvrir le conflit de façon rationnelle. Un article basé presque exclusivement sur quelques heures de présentation officielle mâchée ne peut pas être considéré comme relevant du journalisme. En fait, ce n’est rien de plus que de la propagande officielle.