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Contre-lexique à l’usage de ceux qui luttent... et de ceux qui jaunes
Publie le lundi 19 novembre 2007 par Open-PublishingDu bon usage du vocabulaire en temps de grève… On le lit dans la presse, on l’entend tourner en boucle à la radio, on l’entend dans toutes les bouches :
1) « Démocratie über alles »
Le principe démocratique est celui de la démocratie représentative à l’intérieur d’une corporation. Ces rapports changent dés lors qu’est décrétée la grève : il y a ceux qui luttent, il y a ceux qui restent peinards chez eux. Et ceux qui luttent ne reconnaissent aucun droit de décider de la fin de leur lutte à ceux qui ont dormi pendant les évènements. Qu’ils viennent discuter et s’exprimer individuellement devant les autres serait la moindre des choses. Mais ils préfèrent envoyer les flics, se montrer solidaires d’une violence légale et s’étonnent de la haine qu’ils ont suscitée.
2) « Les grévistes, ces fouteurs de merde »
C’est partout et tout le temps, sur toutes les ondes, et, dés qu’un préavis est déposé, on peut entendre ce genre de propos. On accepte que la grève ne soit plus que les plaintes de ceux qu’elle dérange. On nous prend pour des cons, un peu plus tous les jours, et la connerie devient apparemment la chose la mieux partagée du monde. Combien de gens bien dressés parlent la langue du pouvoir ? De quel rapport de force nous parle encore les syndicats ? Demi-grèves et semi-occupations supra encadrées…A qui fait-on encore peur avec des moyens aussi faibles ? Où est-elle la grève ? Pas dans les universités, en tout cas. Ils ne sont pas lourds ceux qui se déplacent aux A.G. Les mouvements de contestations sont depuis longtemps minoritaires. Qu’on ne se leurre pas ce n’est pas que l’Etat qui casse le droit de grève, mais aussi tous ceux qui répètent bêtement qu’il faut reprendre le travail. Ils accomplissent un travail de titan à balayer des décennies de confrontations sociales d’un revers de main. C’est pourquoi à ces « touristes », on ne peut que répondre que s’il y a des fouteurs de merde, ils se trouvent parmi les casseurs de grève.
3) « Ce sera une BlitzGrève »
Nouveau concept de l’Unef. Nouveau concept même de la plupart des syndicats. On a répété si bien aux grévistes que c’étaient des fouteurs de merde, qu’ils n’osent plus déranger. Du coup voici l’ère de la grève partielle. On se contente gracieusement des miettes de négociations qu’on nous a réchauffées à l’avance. La loi, on la passera en deux ou trois temps : ce sera pour les suivants. Ça ne vous concernera pas vous. Mais tout de même on finira par l’imposer parce qu’il le faut. Accepter ce type de raisonnement, c’est abandonner complètement la possibilité d’offrir une réponse collective et victorieuse. Le plus inquiétant est peut-être que personne ne sache plus les mécanismes historiques de la grève qui en ont fait une arme efficace et véritable. En particulier, lorsque tout le monde tient si fort à sa petite revendication singulière, la solidarité entre grévistes se craquelle rapidement face à un gouvernement qui n’a même plus à se creuser tant que ça la tête, puisque la division est déjà là. La plupart du temps il se contente d’attendre le pourrissement de la situation avant d’intervenir et porter le coup de grâce. Savoir élargir la contestation, c.-à-d. ses revendications à d’autres est la condition sine qua non de la Grève. A l’inverse on ne cesse aujourd’hui d’entendre des gens voulant se tenir à des propositions étroites parfois sans intérêts et qui n’intéressent personne. Et ils s’étonnent du manque de civisme des autres. Avant même que le mouvement n’ait pris, on se trouve pris au piège de discours préventifs qui à force de dire qu’il ne faut pas s’enflammer, finissent par venir à bout de la patience des plus déterminés.
4) « Restons crédibles pour pouvoir négocier avec le gouvernement »
D’où la crédibilité. C’est là l’essentiel du discours préventif porté dans les facs. Avant même que rien n’existe, on pense déjà à la fin, à la négociation. Pour donner un aperçu de la décomposition de la situation, nos parents en grève parlaient de faire plier le gouvernement, nous ne recherchons qu’une possible négociation…Le danger pour tous ceux qui s’en préoccupent est peut-être la disparition complète de cet esprit qui a rempli deux siècles : la cohésion de ceux qui travaillent unis contre ceux qui les font travailler. Au fond il nous appartient aujourd’hui de décrédibiliser totalement cet outil de la contestation sociale qu’a été la grève en niant son caractère unitaire et unilatéral. Vous nous demanderez de négocier quand vous ne pourrez plus faire autrement, parce que vous tremblez que cette grève puisse déboucher sur autre chose. C’est la peur qui amène l’Etat à la table des négociations. Ainsi se construit le rapport de force qui est au centre des préoccupations quand une grève commence. Comment créer du bordel dans la rue, dans l’économie et dans le quotidien pour se faire entendre ? C’est la gêne ou la perspective d’un débordement qui fait que, soudain, rien n’est plus impossible, ni les augmentations de salaires ni les congés payés ni la fac pour tous…L’Etat ne peut que prendre au sérieux ceux chez qui il a saisi la volonté unitaire et indémontable d’aller jusqu’au bout. Et il ne s’amusera plus à proposer des négociations qu’il a lui-même préparées.
5) « Ce ne sont même pas des Etudiants »
On aimerait bien qu’il y ait plus de gens à se bouger à l’heure actuelle, et plus d’étudiants aussi. Si des ponts se créent entre des chômeurs, des sans-papiers et des précaires, on peut le voir comme la ligue de ceux qui partagent des intérêts économiques communs. Tout ce beau monde s’entrecroise dans les circuits quotidiens de leurs vies : ils vivent bien souvent dans les mêmes quartiers et peuvent se croiser au bureau ou sur les chantiers comme travailleurs précaires. Les « extérieurs » viennent filer un coup de main à ceux qui se mobilisent. Ils se sentent solidaires. Reproche-t-on quelque chose aux étudiants qui le veulent, d’intervenir dans la mobilisation des Sans-Papiers ? Non, généralement on leur demande de l’aide mais ils ne se déplacent pas. La solution pour tous ceux qui en bavent, c’est d’organiser des luttes, qui ont bien souvent de tristes conséquences humaines et économiques. Ces sacrifices, qui sont délibérément niés aujourd’hui, créent des lignes de rupture, entre ceux qui ne peuvent que lutter et ceux qui, carrés dans une neutralité confortable, ne cherchent que des solutions individuelles.
7) Enfin, il y a « les violents » : « Des Autonomes, anarchistes, gauchistes, des éléments incontrôlés qui veulent empêcher le bon fonctionnement démocratique des institutions ; ce sont des récupérateurs, des manipulateurs etc »
Très largement sont désignés par ces périphrases non pas les activistes d’un mouvement de l’ultra-gauche d’une autre époque mais tous ceux qui, constatant le disfonctionnement du système démocratique des institutions, font sécession. Ce sont ces éléments qui ne reconnaissent plus la représentation syndicale et pensent qu’il y a un vrai problème à laisser le contrôle des A.G. aux mains des syndicats, principal interlocuteur de l’Etat dans le cadre des mobilisations. Ils doutent de la légitimité de la représentation parlementaire, de la voix de la Presse et du Bon Sens politique de ceux qui ne se préoccupent que trop rarement du monde qui les entoure.