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DE LA "TRANSITION" À CUBA ET AUTRES UNIVERSAUX (2e partie)

Publie le mercredi 27 février 2008 par Open-Publishing

DE LA « TRANSITION » À CUBA ET AUTRES UNIVERSAUX

Jacques-François Bonaldi

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Pour un Cubain intellectuellement honnête et politiquement patriote – j’entends par là quelqu’un qui, sans forcément apprécier à cent pour cent tous les aléas et avatars et cheminements de la Révolution depuis 1959, sait toutefois que celle-ci a donné à son peuple un « statut » interne et international sans commune mesure avec le poids réel de l’île et une dignité et une indépendance dont peu d’autres peuples et pays sur notre planète peuvent se targuer – la présence et la prégnance de Fidel sont quelque chose qui coule de source. Ce qui explique pourquoi Raúl tient à rappeler d’emblée ce qu’il signifie pour Cuba.

Heureusement,… Fidel est là et bien là, l’esprit très clair et sa capacité d’analyse et de prévision, non seulement intacte, mais fortifiée, maintenant qu’il peut consacrer à l’étude et à l’analyse les heures innombrables qu’il employait auparavant à se colleter avec les problèmes
et au développement socio-économique du pays, de continuer de consulter le leader de la Révolution, le compañero Fidel Castro Ruz.

Compañero Ricardo Alarcón, président de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire, bien que l’ovation que nous venons d’écouter et de voir suppose que ma proposition a été approuvée, je vous demande de la mettre aux voix conformément aux normes légales.

C’est pour ces raisons-ci et pour bien d’autres que je citerai aujourd’hui à plusieurs reprises certaines des idées et des conceptions essentielles que Fidel a exprimées dans ses Réflexions que, j’en profite pour le dire, nous devons étudier compte tenu de leurs enseignements et de leurs capacités de prévision. N’oublions jamais ce que Raúl Roa aimait répéter à ses proches : « Fidel écoute pousser l’herbe et voit ce qu’il se passe au coin de la rue. »

Culte de la personnalité, déification, diront les grincheux ou les mauvaises langues. Voire. A moins que cette réaction ne soit due à une carence de commerce avec les géants. Je n’en fais pas retomber la faute sur les citoyens des « démocraties occidentales », bien entendu. Quand on n’a à se mettre sous la dent, mandat après mandat, que des bouchers parvenus ou des nouveaux riches, des politicards passibles de justice ou des bluffeurs, des gens prétendument de gauche qui mènent une politique de droite, ou alors, au mieux, des politiciens dont l’honnêteté le dispute au manque d’envergure, on en arrive à juger que le monde de la politique est celui de la médiocrité et que c’est un mal nécessaire. Lorsqu’on vit entourés de pygmées (que les vrais me pardonnent !), on finit par penser petit. J’imagine que l’idée d’être conduit pendant cinquante ans par l’actuel locataire de l’Elysée aurait tous les traits d’une sinistre blague et provoquerait la nausée.

Mais nous n’en sommes pas là avec Fidel. Qui n’est pas un politicien boutiquier ni pipole. Qui n’a pas « fait de la politique » pour s’en mettre plein les poches (même si la revue Forbes dit le contraire sans apporter la moindre preuve), pas plus, d’ailleurs, soit dit en passant, que les députés à l’Assemblée nationale et les délégués aux quatorze assemblées provinciales et aux cent soixante-neuf assemblées municipales, lesquels ne gagnent pas un sou à ce titre. Qui n’a jamais considéré « la politique » comme une « carrière », mais comme l’exercice d’un service public. Et qui a modelé le système politique cubain à cette image. A Cuba, on n’est pas un fonctionnaire public, on est un révolutionnaire, et c’est à cette aune qu’on juge les autorités, de tout niveau qu’elles soient : être révolutionnaire, c’est justement répondre à un certain nombre d’attentes qui sont, pourrait-on dire, quasiment inscrites dans les gènes du peuple cubain et que nul n’a besoin de décrire parce qu’on sait de quoi il s’agit. C’est comme un substrat parfaitement incorporé dans lequel chacun se reconnaît, c’est un ensemble de valeurs morales et humaines dont tout le monde sait que la disparition vouerait le système politique cubain à perdre sa personnalité. C’est, pour le dire dans les mots de Fidel le 1er mai 2000 :

Révolution, cela veut dire avoir le sens du moment historique ; cela veut dire changer tout ce qui doit être changé ; cela veut dire l’égalité et la liberté pleines ; cela veut dire être traité soi-même et traiter autrui comme un être humain ; cela veut dire nous libérer par nous-mêmes et par nos propres efforts ; cela veut dire défier de puissantes forces dominantes dans l’arène sociale et nationale et au-dehors ; cela veut dire défendre des valeurs auxquelles on croit au prix de n’importe quel sacrifice ; cela veut dire modestie, désintéressement, altruisme, solidarité et héroïsme ; cela veut dire lutter avec audace, intelligence et réalisme ; cela veut dire ne jamais mentir, ne jamais violer des principes moraux ; cela veut dire conviction profonde qu’il n’existe pas de force au monde capable d’écraser la force de la vérité et des idées. Révolution, cela veut dire unité, cela veut dire indépendance, cela veut dire lutter pour nos rêves de justice en faveur de Cuba et en faveur du monde, qui est la base de notre patriotisme, de notre socialisme et de notre internationalisme.

Fidel n’est pas un politicien ou un chef de parti, un quêteur de votes : C’EST UN FAISEUR DE RÉVOLUTION. C’est à la limite UN FONDATEUR DE NATION. Et nous sommes loin, là, du simple domaine de la politique ; nous passons à un autre registre, à une échelle différente. Si l’on ne comprend pas ça, on ne saisit rien aux liens étonnamment solides que son peuple et lui ont noués depuis maintenant un demi-siècle. Hormis une minorité aspirant à revenir au capitalisme qui lui voue une haine maladivement obsessionnelle à la mesure de leur déception – il suffit, pour s’en convaincre, de lire les commentaires apparaissant sur certains forums, comme Kaosenlared, de la part de Cubains vivant pour la plupart à l’étranger, ou les vomissures nauséabondes d’une prétendue exilée comme Zoé Valdés – la majorité des gens vivant sur l’île reconnaissent en lui quelqu’un de hors du commun par son intelligence et sa capacité à voir et à prévoir, par son sens stratégique, quelqu’un de constamment sur la brèche depuis des décennies pour la meilleure des causes, quelqu’un, surtout, qui a prouvé par ses actes qu’il était d’une honnêteté foncière et ne leur mentait jamais, quelqu’un qui n’a jamais cessé de croire en ses idées, qui n’a jamais viré casaque, qui n’a jamais trahi ni fait le contraire de ce qu’il disait. En ces temps de lâcheté et de faisandage, où les idées ont si peu cours ou se trahissent si vite, les Cubains sont fiers que leur terroir ait donné naissance à cette figure historique qui dépasse de cent coudées tous les hommes politiques contemporains.

Fidel est aux yeux de son peuple un RÉVOLUTIONNAIRE qui a engagé sans faiblir un instant sa bataille pour les idées, qui a risqué sa peau bien des fois pour pouvoir les mettre en pratique. Qui a constamment payé de sa personne. Depuis maintenant soixante ans, puisqu’il était déjà leader étudiant.

Il n’y a que les médiocres pour croire qu’il puisse être gênant de vivre à l’ombre d’un personnage qui est d’ores et déjà entré dans l’Histoire et que les Cubains n’ont qu’une seule envie : être présidés par un Aznar, un Berlusconi, un Blair ou un Chirac ou par quelqu’un au nom de syndrome médical, pis encore par un Bush, j’en passe, bref par un de ces nains qui ne cessent de voir le jour sous les « régimes » de démocratie bourgeoise ! Un cas exemplaire d’auto-intoxication…

Tout comme est exemplaire la vision dénaturée de Cuba que présentent les médias transnationaux, ces porte-parole de l’impensée unique qui ne s’intéressent qu’aux catastrophes (la maladie de Fidel ou son refus de briguer un nouveau mandat, par exemple), comme les charognards à la chair en décomposition ! Aborder la Révolution cubaine dans son quotidien, se pencher sur le petit peuple qui la soutient (et non aux supplétifs qui émargent grassement à la Maison-Blanche), analyser le « phénomène » d’un peuple et d’une Révolution qui résistent au déferlement du néo-libéralisme et de la civilisation du fric et de la « réussite » à tout prix, qui inventent de nouveaux chemins de coexistence et de rapport entre les peuples et les gouvernements (l’Alternative bolivarienne pour les peuples d’Amérique, ou ALBA, par exemple), qui écrivent au jour le jour une nouvelle manière d’envisager la société et le politique, quel intérêt cela peut-il bien avoir ! Lire – je ne dis même pas : analyser – les idées d’un révolutionnaire d’une stature historique constamment en marge des sentiers battus et des clichés éculés, d’un homme qui, contrairement à tant d’autres (mais sans doute est-ce pour cela, entre autres raisons, qu’il suscite des haines si irraisonnées), a maintenu intactes ses convictions de toujours, refuse – et son peuple avec lui – de sacrifier sur l’autel d’une conception de la société qui exclurait à jamais à titre d’utopie la justice sociale et l’égalité, où il y aurait forcément des gueux et des millionnaires, parce que ce serait censément écrit de toute éternité, à quoi bon perdre son temps à ça ?

Et c’est justement parce que les médias de l’impensée unique et les classes politiciennes avec elles ne font jamais cet effort-là (et j’y vois d’ailleurs un fort relent de colonialisme mental : qu’est-ce que c’est que cette île des Caraïbes qui se mêle de nous faire la leçon et de nous faire croire qu’il y a d’autres moyens de vivre en société et de concevoir le politique, qui vient nous narguer du fond de sa pauvreté en dépêchant, par exemple, des dizaines de milliers de médecins sauver des vies là où personne ne va jamais, alors que, de tout temps, on le sait, les îles antillaises n’ont été bonnes qu’à produire des plages où bronzer idiot, des mulâtresses de feu et d’autres denrées exotiques de ce genre, nous donner des leçons à nous qui avons inventé la théorie de Montesquieu et la manière définitive d’organiser à jamais le pouvoir) qu’ils tombent toujours à faux. Et ne comprennent jamais rien à cette Révolution cubaine.

Les derniers événements cubains n’ont pas fait d’ailleurs que la preuve de l’indigence intellectuelle, voire de la stupidité tout court, des faiseurs d’opinion (médias et politicards confondus) en Occident, avec leur vision trotte-menu de la réalité de l’île, leur carence d’analyse un tant soit peu sérieuse de la société cubaine, de l’organisation de son pouvoir, de la pensée réelle de ceux qui travaillent et bâtissent au jour le jour un édifice sans doute guère ressemblant à ceux des autres rues du monde mais valant quand même la peine d’une visite sérieuse. Non, ils ont aussi fait la preuve de la médiocrité morale de ces messieurs qui n’ont d’yeux que pour leur nombril.

Et là, alors oui, qu’ils sont petits ! Et bas ! Je n’en veux pour preuve – et c’est un simple rappel – que les réactions occidentales à la maladie de Fidel fin juillet 2006. Moi qui ai le chauvinisme gaulois bien en veilleuse et le cocorico pas mal enroué, parce que je m’identifie avec orgueil depuis maintenant trente-sept ans à cette Révolution sur laquelle les abonnés à la pensée unique déversent des tombereaux d’immondices ordurières et d’imbécillités prétentieuses, il y a une France après laquelle je languis : celle du « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ». Autrement dit, celle du panache face à l’adversaire. Mais à l’heure où, sans que la fameuse « communauté internationale », autrement dit les quelques grandes puissances ayant droit à la parole et à l’action, s’en émeuve plus que d’une guigne, l’on massacre des enfants par bombes dites intelligentes larguées depuis des avions volant à dix mille mètres d’altitude ou lancées depuis des canons placés à des dizaine de kilomètres, sans le moindre remords de conscience (bah, ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment), comment demander un zeste de décence dans le combat ? Quand on constate que la première réaction de l’Union européenne à l’opération de Fidel a été celle d’un porte-parole de je ne sais plus quelle instance de pouvoir (il y en a tant qu’on s’y perd) qui, dans un style berlusconien (pour ne pas dire : à la Pepone), a souhaité un prompt rétablissement « à Castro et à la démocratie », on se dit que la classe politique est vraiment, comme chantait Brassens, « tombée bien bas bien bas »… On me dira : c’était un Italien. Oui, mais les réactions perçues dans un pays qui se vante d’avoir été la mère de la diplomatie dans le monde, dont la langue a été durant longtemps dans ce domaine véhiculaire, ne volaient guère plus haut. (Et celles d’aujourd’hui, à l’occasion des élections, non plus.) Au règne de la médiocratie (et du « bling bling », selon la dernière moquerie à la mode), où la noblesse pourrait-elle fleurir ? Sur ce fumier-là, ne pousse que l’inélégance.

La grandeur, la noblesse, elle est du côté de ceux qui, comme Fidel se battent pour la justice sociale et un monde un peu mieux partagé en vie et en bien-être. Et, derrière lui, et avec lui, et devant lui, le peuple cubain qui a de la dignité à revendre aux médiocres de là-bas et sans qui cette Révolution n’aura jamais pu tenir debout si longtemps face à d’aussi terribles menaces. Un peuple et un « régime » dont les valeurs politiques et sociales sont incompréhensibles pour les cerveaux ratatinés de là-bas, mais se croyant pourtant au premier rang de la « modernité ».

Non, un politicard de parti ou un journal payé par un marchand de canons ou de bière ne pourra jamais rien comprendre aux idées politiques et sociales de Fidel, non seulement pour la bonne raison qu’ils ne les connaissent pas, qu’ils ne savent de Cuba et de son peuple et de sa Révolution que les clichés « langue de bois » qu’on leur serine à longueur de journée et de vie (ce qui ne les empêche pas de donner bien entendu leur opinion urbi et orbi), mais aussi parce que, compte tenu des fameuses « miasmes morbides » où ils ne cessent d’évoluer, l’air pur – autrement dit les valeurs politiques, morales et sociales sous-tendant la Révolution cubaine (qui sont celles avant tout de Fidel) – leur serait irrespirable ! Rien que pour ça, nous avons besoin encore de Fidel : pour qu’il reste un peu de hauteur et de dignité dans ce monde de bassesse et de médiocrité, un tant soit peu de lumière dans cet univers de pénombre !

Le panache, ce mot si français qu’il en est intraduisible, a émigré ici, à Cuba. Et Fidel le porte au plus haut ! Comme le font les géants.

Alors, oui, comment ne pas continuer de consulter Fidel, comme l’a demandé Raúl ? « Fidel est Fidel, nous le savons tous pertinemment. Fidel est irremplaçable. » Raúl en est conscient, et le peuple cubain avec lui. Faudrait-il alors que celui-ci, oubliant son contexte géographique, imite maintenant les mœurs des Inuits dont les vieux, sachant leur heure venue, partent au loin mourir seuls sur la banquise ?

Et pour qu’on voie à quel point « Fidel est Fidel », je ne peux résister à la tentation de citer un texte quasiment inconnu de lui, une lettre du 19 décembre 1953, une « lettre de prison », comme en ont écrit tant de révolutionnaires au fil de l’histoire. La sienne est celle de l’île des Pins où il a été incarcéré après avoir été condamné pour l’attaque de la caserne Moncada. Elle se passe de commentaires de ma part, tant elle éclaire le présent par le passé et tant le Fidel d’aujourd’hui se trouvait in nuce dans le « jeune » Fidel :

« Quelle formidable école que cette prison ! D’ici, j’achève de structurer ma vision du monde et je complète le sens de ma vie. Je ne sais si elle sera longue ou brève, si elle sera fructueuse ou stérile. Mais je sens en tout cas se réaffirmer toujours plus ma volonté de me sacrifier et de lutter. Je méprise l’existence ac¬crochée aux bagatelles misérables du confort et de l’intérêt. Je pense qu’il y a un âge que l’homme ne devrait pas dépasser, celui où la vie entre sur son déclin, quand s’éteint la flamme qui a éclairé le mo¬ment le plus lumineux de chaque vie, quand diminuent les forces qui soutenaient les pas à l’étape de la dignité. On les voit alors s’engager, tête basse, le repentir au front, tels de vils renégats, dans le plus profond bourbier de l’abjection. Ils rougissent en leur for intérieur de la seule chose noble qu’ils ont eue dans leur vie, les années de désintéressement, de générosité et d’altruisme. Ils vont à rebours de ce qu’ils 0nt fait et ils font le contraire de ce qu’ils prônent ; dès lors, ils regardent leur jeunesse comme ingénuité, folie, inexpérience et illusion, sans réaliser que viennent en fait de commencer l’impuissance la frustration, la duperie et la soumission, la marche en arrière misérable et ridicule, le triste spectacle de l’homme revenant sur ses pas au long du chemin par¬couru pour ne plus jamais le reprendre.

« C’est de l’adversité qu’on comprend mieux le déroulement absurde du drame humain. S’en prendre à une comédie si ignominieuse était un grand crime que le milieu ambiant n’était pas disposé à pardonner ; crime terrible qui mérite l’oubli et le silence, enseveli sous un fardeau écrasant de faussetés et de calomnies. Revues, journaux, politiciens, commentateurs : qu’ils m’attristent ! Et comme on en a peur ! Beaucoup voient en eux, tel Don Quichotte, de puissantes armées là où il n’y a que des troupeaux de moutons.

« Mais il est des hommes qui, tel l’oiseau Phénix, renaîtront de leurs cendres et feront résonner sur le ciel de la patrie le fort battement de leurs ailes. »

(à suivre)