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Dans l’établissement de réparation ferroviaire, les jeunes apprennent vite ce qu’ils doivent à la lutte

Publie le jeudi 15 novembre 2007 par Open-Publishing

la grève vue de…Tours (1) Ateliers de contrebande

de Thomas Lemahieu

Nicolas Lestoquoy est né en 1982. Pierre Bottreau, quelques décennies plus tôt. Deux générations, au bas mot, les séparent. Un fossé, un gouffre, un précipice… Et alors ? Pendant une bonne partie de sa carrière, Pierrot a travaillé pour une entreprise privée de réparation ferroviaire, la CIMT, devenue ensuite, au mitan des années soixante, Cadoux. Nico bosse dans une grande entreprise dédiée au service public, la SNCF. Rien à voir, n’est-ce pas, c’est la fameuse opposition « public-privé » ?

Et pourtant… Avec ses camarades, Pierre Bottreau, qui a fait « ses premières armes » comme secrétaire de la CGT des Ateliers Cadoux en 1968, a patiemment recousu une longue entaille dans les guêtres de la justice sociale : à l’issue de la grève de 1920 pour la nationalisation du chemin de fer, des milliers de cheminots seront « révoqués » et les ateliers de réparation concédés au secteur privé. En 1938, ces mêmes ateliers retournent au secteur public dans tout le pays, sauf celui de Saint-Pierre-des-Corps. En 1977, alors que la SNCF envisage d’étouffer peu à peu les ateliers Cadoux en asséchant le carnet de commandes, la CGT entre en lutte pour démontrer la viabilité industrielle du site. Et le 3 janvier 1983, après l’arrivée de la gauche au pouvoir, en général, et celle de Charles Fiterman au ministère des Transports, en particulier, les « Cadoux », cheminots de coeur, d’âme et d’esprit depuis toujours, le deviennent de statut. En 2002, Nico a, en fait, été embauché comme électricien aux ex-Ateliers Cadoux de Saint-Pierre-des-Corps.

Avec « des parents pas du tout syndicalistes », Nicolas Lestoquoy, devenu délégué du personnel et, pour la CGT, animateur du Collectif des jeunes cheminots de la région de Tours, raconte, sous l’oeil amusé de Pierre Bottreau, comment il a appris cette histoire singulière en arrivant aux ateliers. « Aujourd’hui, on sent les jeunes très mobilisés, ajoute-t-il. C’est sûr pour nous, la retraite, c’est dans longtemps, dans trente ans pour moi, mais c’est un élément essentiel pour beaucoup d’entre nous. On est prêts à se battre. Beaucoup de jeunes disent que, quand ils sont venus à la SNCF, ils ont accepté de perdre 200 à 300 euros sur ce qu’ils gagnaient dans le privé, mais c’était contre la promesse d’une sécurité de l’emploi et de la retraite à cinquante-cinq ans… »

De son côté, Pierrot, qui, malgré l’intégration à la SNCF avant la fin de sa carrière, n’a pas pu partir à la retraite avant soixante ans, se tient un peu en réserve sur le présent, mais glisse tout de même : « Il y a un parallèle, évidemment, entre les jeunes et nous, c’est cette soif d’une sécurité de l’emploi, du statut des cheminots, de nos droits à la retraite. Tout aujourd’hui est remis en cause. En tant que retraités, ce n’est plus trop notre domaine, mais c’est vrai que, pour des anciens Cadoux comme nous, on reste très attachés au statut des cheminots, forcément. » Et d’ajouter : « On a connu un temps pas si éloigné où on était fiers d’être cheminots, mais aujourd’hui, c’est comme s’ils réussissaient à nous faire raser les murs. » Nicolas rapporte le climat sur une distribution de tracts, lundi matin, à la gare : « C’est dur le climat, il y a des gens qui nous insultent, nous traitent de fachos. Bon, on a aussi des soutiens, mais ce n’est pas la majorité, je le crains… » Pierre Bottreau pointe le risque que « sous l’ère Sarkozy, on tente de nous emmener dans une situation comparable à celle des mineurs anglais sous l’ère Thatcher ». « Entre nous, on en cause, c’est vrai, appuie Nicolas Lestoquoy. Comme on est une des seules forces à pouvoir résister à Sarkozy, on craint que si ça se passe mal, ça ouvre une brèche pour tout le monde derrière. »

À la cantine du comité d’établissement, mardi midi, à la veille du démarrage de la grève, foin des grands discours et nul héroïsme à l’horizon. Pas un mot plus haut que l’autre. La gravité domine. À table, en petits comités, les mêmes mots que ceux de Pierrot et Nico reviennent. Et une autre interrogation, viscérale, éclate à la figure : mais où est passée la gauche ? À Saint-Pierre-des-Corps, les héritiers des « révoqués » du chemin de fer, les moins jeunes ayant transmis comme en contrebande le savoir et les armes de la lutte aux plus jeunes, s’apprêtent à se jeter dans la grève, avec ce souffle long, mais l’estomac noué.

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