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DEPECHE DE KABYLIE édition N° : 1672
Sans-papiers en France
Dans la gueule du loup
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Ils sont partis, ils sont tous là, ici en France, patrie des droits de
l’homme,
du moins de ceux qui répondent à un profil bien précis. Partir ne suffit
plus pour s’en sortir, après le départ il faut déjà arriver à bon port.
A la question pourquoi vous êtes venu ? La réponse est unanime : « dans
notre pays le rêve n’est point permis, pour vivre il ne faut pas juste
manger à sa faim et avoir un toit au dessus de sa tête. Il faut plus, se
sentir qu’on existe ». Mais une fois sur place, quelle comparaison font-ils
de la vie d’avant et celle de maintenant ? Comme un aveu exprimé
tardivement, ils reconnaissent tous que si c’était à refaire ils
réfléchiraient par deux fois « à l’époque en 2001, c’était le chaos, la
seule alternative à la violence c’était de partir loin en France en Italie.
l’essentiel c’était de partir ».
La Courneuve en Seine St Denis, les jours de marché, ceux qui cherchent le
dépaysement seront déçus. Ici les mêmes personnes produisent les mêmes
comportements, qu’ils soient à Tizi, Tunis ou New Delhi. Tarzan est
originaire de Aâzazga, il est arrivé en 2001 avec un visa touristique de
trente jours. Depuis, il a épuisé tous les recours possibles et imaginables
pour se faire régulariser. Marié et père de quatre enfants, il sait d’emblée
que l’option du mariage, le plus court chemin pour avoir les papiers, est à
écarter. Malgré tous les refus, il ne désespère pas d’avoir un jour le
fameux sésame de la préfecture.
Maçon de métier, il n’éprouve aucune difficulté à se faire embaucher dans
les chantiers, la grosse contrainte c’est plutôt « ne pas pouvoir circuler
librement, sept ans sans rendre visite à la famille c’est très difficile à
supporter. Vivre dans la peur de recevoir la triste nouvelle de la
disparition d’un proche et de ne pouvoir assister aux derniers instants d’un
être cher, c’est une torture de tous les jours ». Toujours sur son trente et
un, la moustache soignée à la Aït Menguellet, au fil du temps il a su
s’adapter
et adopter les attitudes qui jusque-là lui ont évité de se retrouver dans un
centre de rétention en attente d’un avion pour Alger, « en sept ans et des
poussières jamais un flic ne m’a demandé mes papiers ».
A l’autre bout de la ligne sept du métropolitain, la ville d’Ivry dans le
Val de Marne, Yoyo habite dans une minuscule chambre d’hôtel. Arrivé lui
aussi après les événements du Printemps noir, il vit de petits boulots dans
le bâtiment « au pays je construisais des maisons de deux à quatre étages.
Le plus difficile c’est de se retrouver une minable chambre sans les
moindres commodités, alors que j’ai laissé une maison aussi vaste qu’un
stade de football ». Au fil de la discussion, sa langue se délie, il se
révèle couver un mal indicible « j’ai perdu mon père il de cela quelques
années, je n’ai pas pu me rendre à son enterrement. Repartir aujourd’hui
malgré la difficulté c’est impossible ». Le ce qu’on dira-t-on et comment
affronter la rue, le village, qu’est ce qu’ils vont dire ? « Il est revenu
bredouille, pourquoi ne l’a-t-il pas fait quand il le fallait » Autant de
questions, des fois à la limite du rationnel, habitent ceux d’entre les
sans-papiers qui rencontrent des grosses difficultés. Rester malgré la
contrainte ou repartir et affronter son propre échec ?
Cimetière du Père Lachaise dans le onzième arrondissement, dans le Paris
populaire celui des bobos. Peu avant dix-neuf heures, adossé au mur
d’enceinte
en pierre, Momo attend en silence l’arrivée des deux véhicules des restos du
cour. La distribution d’un bol de soupe chaude, un bout de pain et des
boites de conserves, ne va pas tarder à commencer. Juste de quoi tenir une
journée pendant cet hiver qui s’annonce rude cette année. Originaire de
Champs-de-manouvres à Alger, ici il devient anonyme parmi une majorité de
Chinois et des personnes originaires de l’Europe de l’Est « il y a des jours
où j’aimerai être transparent, d’ailleurs je ne parle jamais dans la file
d’attente,
de peur qu’on me reconnaisse ». Il inspecte les boites de conserves à la
recherche du mot halal « elles ne contiennent pas de porc mais la viande
n’est
pas halal, tant pis je vais l’échanger contre une ou deux cigarettes à un
Roumain ou Polonais ».
Il squatte une chambre dans un immeuble abandonné sur les hauteurs de
Belleville, ils sont six dans vingt mètres carrés. Il a été viré de son
travail il y a deux mois, et depuis c’est la galère. Avant il distribuait
des prospectus dans les boites aux lettres, ce n’était pas la grande vie,
mais ça nourrissait son bonhomme. Du jour au lendemain, son patron s’est
volatilisé dans la nature, avec lui la paye du mois « le plus difficile ce
n’est pas de perdre quelques centaines d’euros, mais c’est le fait de se
sentir démuni face à l’injustice et à l’arbitraire d’un patron voyou.
J’aurai
mes papiers je le chercherai même s’il se réfugie dans le ventre à sa
mère ».
Clandestin sans aucun autre recours que celui de prendre mon mal en patience
et d’attendre de conclure avec une hypothétique femme un mariage qui serait
salutaire. Nous avons proposé de l’accompagner chez lui, gentiment mais
fermement la réponse était niet « si ça ne tient qu’à moi c’est avec
plaisir, mais je ne veux pas provoquer de mauvaises réactions de la part de
mes colocataires de fortune ». Dimanche après-midi, la station rue des
Boulets sur la ligne neuf du métro est quasiment vide. A la surface, la
petite rue Voltaire relie deux grandes avenues, en haut de la montée, le 21
ter correspond à une banale entrée d’immeuble. Les locaux accueillent le
CSPK, Collectif des sans-papiers kabyles. Les lieux s’étalent sur deux
niveaux qui comprennent plusieurs bureaux et une vaste salle de conférence.
Comme à chaque annonce par le gouvernement, de nouvelles dispositions de
régularisation, les personnes affluent de partout des fois même de Provence.
La nouvelle loi sur l’immigration du ministre le plus controversé du
gouvernement, Brice Hortefeu, parle de régulariser les personnes détentrices
d’une promesse d’embauche ou d’un contrat de travail. A elle seule, cette
mesure relègue au rang de détail les autres dispositions de la loi comme les
27 000 expulsions prévues pour le courant de l’année 2008 ou les tests ADN
pour les regroupements familiaux.
Entre optimisme et résiliation, les discussions vont bon train, chacun y va
de sa propre interprétation. Dirigé dans sa majorité par des sans-papiers
arrivés en France après les événements du Printemps noir, « nous avons
voulu une association qui défendent exclusivement les intérêts des personnes
originaires de Kabylie pour deux raisons essentielles : la première c’est le
nombre important de personnes issues de cette région. La deuxième ce sont
les raisons particulières qui ont poussé ces personnes à fuir la
répression sanglante de 2001, ces raisons sont d’ordre politique » c’est le
discours que tiennent les responsables associatifs pour justifier la
spécificité de cette association.
Saïd est originaire de Maillot prés de Bouira, il a entendu parler de cette
association par le bouche-à-oreille. Une chemise cartonnée sous l’aisselle,
il attend qu’un bénévole daigne le recevoir et prendre son dossier «
d’administration
en association il a frappé à toutes les portes depuis trois ans. A chaque
fois la même réponse, le dossier n’est pas assez solide pour prétendre à une
régularisation ». Célibataire sans enfants, récemment débarqué en Métropole,
la solution pour lui passe forcément par le mariage « comment se marier
quand on vit à trois dans une chambre de 16 mètres carrés, sous loué 200
euros à un escroc, qui n’a des yeux que pour notre argent. Qui accepterait
de telles conditions ? ». "Et puis, il est où l’amour dans tout ça ?" 30
000, 40 000 ou 100 000 aucune statistique ne peut donner le nombre exacte de
clandestins dans les villes françaises. La seule certitude c’est que la
situation de ces personnes pour la plupart âgées entre 19 et 45 ans est des
plus déplorables. Avec le froid qui s’installe, combien seront-ils ce soir à
composer le 115, numéro du SAMU social, pour essayer de trouver un abri
chaud pour la nuit ? Combien seront-ils à raser les murs de la capitale
française la peur au ventre de tomber sur une patrouille de police ? Combien
de vies seront sauvées si les 100 milliards de recette pétrolière sont
utilisés à bon exient, pour fixer les hommes et les femmes là où ils sont
nés avec un minimum de bonheur ?
Au même moment au ministère de l’Immigration, on ne jure que par le chiffre.
Chasser du clandestin fait monter la cote des politiques, le français moyen
peut dès à présent roupiller en paix dans son beau pavillon douillet, le
méchant clandestin étranger est reconduit hors de la frontière.
Zahir Naït Tizi de Paris
ZPAJOL liste sur les mouvements de sans papiers