Accueil > Débat à l’Assemblée nationale sur notre avenir énergétique

Débat à l’Assemblée nationale sur notre avenir énergétique

Publie le lundi 18 septembre 2006 par Open-Publishing
1 commentaire

Daniel PAUL Député de Seine-Maritime

Energie Vendredi 8 septembre 2006 - 2ème séance

Motion de renvoi en commission
Messieurs les ministres, l’heure est presque venue de tirer un bilan du mandat du Gouvernement et de sa majorité parlementaire. Durant cinq ans, vous avez décidé d’une série de mesures, que vous avez pudiquement appelées « réformes », alors qu’elles ont été synonymes de coups durs pour nos concitoyens. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Réforme des retraites, du système de santé, compression du nombre de fonctionnaires dans les hôpitaux et les écoles, démantèlements en tous genres du code du travail - autant d’attaques contre la justice sociale et l’égalité, dont vous aurez à répondre au printemps prochain devant les électeurs.

Dans le secteur énergétique non plus, vous n’y êtes pas allés de main morte avec vos « réformes » : transformation du statut et ouverture du capital de l’ancien opérateur historique EDF et GDF, ouverture à la concurrence des marchés électriques et gaziers, dépossession partielle de l’État du contrôle des enjeux stratégiques - autant d’éléments qui concourent à la perte de la maîtrise publique d’un bien commun, et qui tendent à faire primer l’intérêt de quelques groupes privés sur l’intérêt commun.
Nos concitoyens ont pu constater, ces derniers mois, les conséquences de votre politique en termes de tarifs. En effet, si la consommation énergétique en France a pratiquement stagné en 2005, la facture, elle, s’est considérablement alourdie - plus 35 %. De nombreux salariés et syndicalistes mettent également l’accent sur la réorganisation profonde et générale du secteur et sur la difficile compatibilité de la perte de la maîtrise publique avec les missions de service public.

En dépit de cela, vous refusez obstinément d’ouvrir sérieusement le débat sur le bilan de ce double processus d’ouverture à la concurrence et de privatisation dans le secteur énergétique.
Et vous faites un pas de plus dans cette fuite en avant en ouvrant totalement les marchés du gaz et de l’électricité, en privatisant l’ancien opérateur historique gazier et en organisant le démantèlement de l’ancienne entreprise intégrée. Vous cédez par là même aux intérêts privés un pan supplémentaire de l’économie nationale, alors que l’énergie concentre des enjeux économiques, environnementaux et sociaux cruciaux.

Tout ceci dans un contexte de mutation du capitalisme, où le capitalisme industriel laisse la place à un capitalisme financier, dans lequel la financiarisation de l’économie aboutit à mettre entre les mains d’agents boursiers des intérêts industriels, économiques et sociaux gigantesques. Les « réformes » que vous introduisez risquent de n’en être que plus graves, car non seulement vous privatisez un bien public, mais le capitalisme financier auquel vous livrez ce bien rend sa gestion encore plus incertaine.
Vous avez bien tenté par de multiples moyens de justifier le projet de fusion GDF-Suez. Au mois de mars, à l’annonce du projet de rapprochement entre les deux entreprises, ce fut l’évocation du patriotisme économique pour défendre Suez face à la menace d’une OPA hostile. Il fallait « sauver Suez », s’opposer à la prise de contrôle de l’entreprise par l’italien ENEL.

Certes, l’italien ENEL avait sans aucun doute des vues sur le groupe Suez, mais comme je l’avais mentionné au mois de juin lors du débat sur la politique énergétique, il existe d’autres façons de défendre ce groupe : sa direction avait ainsi, par exemple, envisagé l’émission de bons de souscription d’actions. Une version plus proche de nos convictions aurait consisté à faire monter dans le capital de Suez des actionnaires publics tels que la Caisse des dépôts et consignations.

En outre, quel crédit peut-on réellement porter à votre argument de patriotisme économique ? Il reste difficile de croire les fervents défenseurs d’une construction européenne libérale et capitaliste lorsqu’ils invoquent la défense par l’État des intérêts économiques ! L’audition de MM. Cirelli et Mestrallet avait d’ailleurs révélé que le projet de fusion était dans les esprits depuis longtemps et n’était pas lié à une menace d’OPA. Il est difficile d’être plus clair que Gérard Mestrallet qui déclarait dans Le Monde du 12 juin : « Ce projet n’est dirigé contre personne et n’a pas été inventé contre la menace d’ENEL. »

Brandir l’argument du patriotisme économique, était-ce autre chose qu’un coup de « com » monté pour justifier une opération dont les motivations étaient autres que celles annoncées ?
Vous avez ensuite soutenu que la fusion GDF-Suez ouvrirait la voie à de nouveaux projets industriels. Or, pour ses activités gazières, Suez investit avant tout dans le GNL, avec les terminaux méthaniers de Zeebrugge et de Boston. Son expérience industrielle est donc limitée. En particulier, Suez ne dispose pas de contrat d’approvisionnement classique. Contrairement à GDF, le groupe ne présente pas de structure intégrée d’amont en aval. Le slogan vantant un « leader mondial de l’énergie » paraît dès lors un peu exagéré !

L’argument de la sécurité d’approvisionnement n’est guère plus convaincant, comme l’ont souligné les partenaires sociaux : si Suez est un distributeur important en Belgique, il reste marginal en France et achète au total trois fois moins de gaz que GDF.

Permettez-moi également de douter que les intérêts économiques du pays soient servis par l’absorption de Gaz de France par Suez, qui est dotée d’un chiffre d’affaire équivalant quasiment au double de celui de GDF. En quoi l’entreprise privée Suez, majoritaire dans le capital du nouveau groupe, serait-elle garante de nos intérêts économiques ? Les exemples offerts par plusieurs grands groupes français qui n’hésitent pas à avoir recours à des plans sociaux ou à des délocalisations ne plaident pas en ce sens. Faut-il rappeler le comportement du groupe EADS, issu de la fusion d’un groupe public, Aerospatiale, et d’un groupe privé, Matra, dans l’affaire de la Sogerma ? Est-ce un signe des temps que de voir notre pays supprimer un groupe public pour confier à un groupe privé ses intérêts gaziers ?

La production d’électricité en cycle combiné gaz-électricité aurait été possible et pertinente dans un autre cadre juridique : celui de la fusion entre GDF et EDF. Si vous êtes vraiment soucieux des synergies industrielles nécessaires à GDF, monsieur le ministre, pourquoi ne pas étudier sérieusement la possibilité de cette fusion ? Vous balayez d’un revers de main l’éventualité même de soumettre à la Commission européenne un tel projet, avec examen des contreparties qui pourraient être exigées par l’institution. Alors que l’étude d’un cabinet de conseil conclut à la faisabilité de la fusion, vous vous contentez de spéculer sur les conclusions de la Commission pour mieux jeter aux oubliettes ce rapprochement riche de sens. Notons au demeurant que vous avancez des risques de contreparties dans l’hypothèse d’un projet de fusion entre EDF et GDF, mais que vous refusez de faire connaître les contreparties liées à la fusion GDF-Suez.

Devant les inquiétudes d’une partie de votre majorité, vous avez dû de nouveau changer votre fusil d’épaule, et l’on entend aujourd’hui que ce projet de fusion et la privatisation de GDF viseraient à sauver l’entreprise, en lui permettant de ne pas rester isolée. Mais sa santé financière est loin d’être mauvaise : deuxième entreprise européenne la moins endettée dans le secteur énergétique, bénéfices et chiffre d’affaires en hausse, projet de 1,5 milliard d’investissements dans les gazoducs européens...

Oui, GDF a les moyens d’être un véritable acteur gazier !
Certes, la question de l’avenir de GDF dans le paysage énergétique actuel n’est pas sans pertinence. Les problèmes du secteur énergétique, liés à la raréfaction des énergies fossiles, aux incertitudes que le contexte géopolitique de certains pays producteurs fait peser sur le secteur, à la déréglementation des différentes activités de production et de fourniture, sont effectivement nombreux. Mais la réponse apportée, au lieu de venir résoudre ces problèmes, ne vient qu’alimenter la machine de guerre qui semble se mettre en route dans ce domaine.

Cette guerre énergétique, vous avez largement contribué à l’organiser en livrant à la concurrence et aux capitaux privés des entreprises publiques qui avaient apporté la preuve de leur efficacité. Vous avez préféré suivre aveuglément le dogme libéral, sans vous soucier de la capacité du marché à assurer une répartition équitable des ressources, un prix modéré pour les consommateurs, des relations stables avec les pays producteurs, une continuité d’approvisionnement et la sécurité des installations gazières et électriques. Il faudra nous expliquer en quoi des entreprises privées seront mieux à même de négocier avec Gazprom que le gouvernement français ; nous dire pourquoi des entreprises soumises aux pressions de leurs actionnaires investiraient plus dans la maintenance et la sécurité du réseau de transport que ne le ferait une entreprise publique ; et en quoi des entreprises privées assureront une meilleure gestion à long terme des ressources. Nous pensons pour notre part que toutes ces missions sont difficilement compatibles avec les caractéristiques d’un marché privatisé et concurrentiel !

Les discussions autour de l’existence même d’une minorité de blocage détenue par l’État dans le capital du nouveau groupe Suez-GDF en disent long sur les nouveaux rapports de force qui vont s’installer chez GDF. N’a-t-on pas lu dans la presse en mai dernier que l’État pourrait renoncer à cette minorité de blocage, sous la pression des actionnaires de Suez ? C’est d’ailleurs ce que l’un des vôtres, chantre renommé de l’ultralibéralisme, revendique, en souhaitant que l’État renonce à conserver 34 % du capital du nouveau groupe. Ce seuil ne donne à l’État aucun pouvoir réel en matière de décisions stratégiques de l’entreprise, mais c’est déjà beaucoup trop pour les actionnaires privés ! La détention de 34 % du capital ne protège même pas contre une OPA. Nous reviendrons sur ce point lors de la discussion des articles du texte, si du moins vous nous épargnez le 49.3.

Le flou qui règne sur les raisons profondes du projet de fusion GDF-Suez nous oblige à poser la question des intérêts en jeu dans cette opération. Celui de Suez et de ses salariés ? Celui de GDF et du service public gazier ? Y va-t-il de la sécurisation des approvisionnements pour les consommateurs ? Ou, plus trivialement, du portefeuille des actionnaires, qui se sont déjà livré bataille sur les termes de l’échange, lesquels pourraient évoluer d’ici à la fin de l’année dans un sens plus favorable aux intérêts des actionnaires de Suez ?

Vous avez eu recours à toute une série d’artifices pour tenter de justifier cette fusion capitalistique et financière qui fait fi des enjeux énergétiques de notre pays. C’est là avant tout une décision idéologique, que votre aveuglement ou votre mauvaise foi vous amène à faire passer pour un projet économique et industriel.
Ce n’est pas tout : non seulement les arguments que vous avez avancés pour défendre la fusion ne tiennent pas, mais un manque de transparence patent caractérise la gestion de ce dossier.

L’analyse de la chronologie est éclairante à cet égard. Après l’annonce du projet de fusion entre GDF et Suez, la Commission européenne avait lancé une enquête approfondie sur le mariage franco-belge, puisque le droit communautaire l’amène à se prononcer sur les opérations de concentration. Elle n’indiquera toutefois que fin octobre si elle autorise ou interdit cette fusion.

Monsieur le ministre de l’économie, vous annonciez au Figaro le 17 août dernier que vous aviez « toute confiance dans le travail de la Commission », pour justifier que votre projet de loi soit examiné avant la fin du mois d’octobre. C’est pourtant cette même Commission européenne qui avait décidé, en 2002, d’annuler le rapprochement entre les groupes Schneider et Legrand. C’est une drôle de façon de faire de la politique que de se contenter de paris à l’issue incertaine !

Votre gouvernement soumet son projet de loi au vote des parlementaires français avant que les conclusions de la Commission ne soient connues. Pour le dire plus clairement, vous entendez que les députés se prononcent sur l’avenir de l’opérateur historique gazier alors même que les termes du débat évolueront après le vote de la loi. Vous grillez les étapes, sans vous soucier de la couleur du feu qui sera donné par la Commission, à laquelle revient pourtant le pouvoir de décision en ce domaine.

Et que penser de l’impossibilité faite aux députés d’avoir accès à la lettre de griefs notifiée par la Commission européenne le 18 août, c’est-à-dire après les réunions que notre commission des affaires économiques a tenues en juillet ? Pourquoi les élus du peuple doivent-ils batailler pour être tenus informés de l’avenir de l’entreprise gazière ? Les intérêts commerciaux prévaudraient-ils sur les intérêts politiques et économiques de notre pays ?
Conformément à ce qu’annonçait ce matin son président Alain Bocquet, le groupe communiste a adressé dès cet après-midi une lettre au Président de la République afin de lui demander d’intervenir dans ce débat au titre de sa haute mission.

Quant au conseil d’administration de GDF, il a fallu une décision de justice pour qu’il se tienne et que les représentants des salariés soient informés de la nature des griefs communautaires.

Là encore, quelques précisions chronologiques ne sont pas inutiles. La lettre de griefs envoyée par la Commission européenne aux entreprises appelle une réponse rapide. Celle-ci adviendra entre le 6 et le 20 septembre, c’est-à-dire maintenant ! Si vous aviez vraiment souhaité que les députés sachent réellement à quelles évolutions ils livraient le secteur énergétique français en se prononçant sur le texte de loi ouvrant la porte à la fusion entre GDF et Suez, il vous aurait suffi de retarder quelque peu le débat.

Ces graves entorses à la transparence du débat démocratique sont intolérables. Au nom de la confidentialité, qui ne sert qu’à protéger les intérêts des actionnaires, on a voulu priver les citoyens, leurs représentants et les élus des salariés de leur légitime droit à l’information sur le sort d’un service public.

Il est vrai que les intérêts privés et la transparence font rarement bon ménage ! Que nous proposez-vous donc, si ce n’est l’accaparement par une minorité, dans le secret des coulisses de la Bourse et des tractations commerciales, de cette ressource vitale qu’est l’énergie ?

Mais venons-en au fond, c’est-à-dire au contenu des contreparties que pourrait exiger la Commission européenne en échange de l’autorisation de fusion GDF-Suez. Vous déclarez, monsieur le ministre de l’économie, n’être « pas inquiet sur le fond » du dossier. Pourtant, les contreparties qui pourraient être exigées de GDF sont considérables : les abandons d’actifs requis pourraient conduire à une réelle restructuration de l’ancien opérateur historique. L’entreprise risque en effet d’être contrainte de mettre d’importants volumes de gaz à la disposition de ses concurrents. On évoque aussi la sortie pure et simple des activités de transport et de distribution de gaz, ce qui priverait GDF de son cœur de métier, ou encore la remise en cause des tarifs réglementés. Dès lors, faire croire à un renforcement de l’ancien opérateur historique par la fusion avec Suez relève du mensonge d’État.

En ce qui concerne les activités de transport de gaz, rien n’oblige, en l’état actuel des directives, à la séparation patrimoniale entre GDF et le gestionnaire du réseau de transport, mais nous savons que certains services de la Commission brûlent de l’envie de franchir de nouvelles étapes dans la libéralisation du secteur énergétique. Après avoir cherché à « libérer l’amont » - vous aurez reconnu là le jargon des fanatiques de la concurrence -, c’est-à-dire à ouvrir à la concurrence les activités d’extraction et de traitement du gaz, la Commission européenne tenterait de modifier l’organisation de l’« aval » du secteur, le transport.

Ces préoccupations semblent largement relayées par la Commission de régulation de l’énergie, dont le président juge essentielle la séparation des activités de réseau. Ce faisant, il défend clairement l’indépendance patrimoniale des gestionnaires de réseau de transport. Il est vrai que ces activités constituent un bastion plutôt lucratif, qui intéressera sans aucun doute des capitaux privés : en effet, le gros des investissements a déjà été réalisé. Que des acteurs de la politique énergétique aussi influents que la Commission européenne et la CRE donnent des signes en faveur de la poursuite de la libéralisation du secteur, cela n’est guère rassurant !

Certes, MM. Mestrallet et Cirelli cherchent à calmer le jeu et vantent les mérites de l’entreprise intégrée, peut-être pour ne pas effrayer les partenaires sociaux. Toutefois, à la mi-août, M. Cirelli assurait dans la presse ne pas vouloir perdre le contrôle, et non la propriété, du réseau de transport - point qu’il a d’ailleurs confirmé lors de l’audition conjointe des deux dirigeants par la commission des affaires économiques.

Pourquoi y a-t-il lieu de s’inquiéter ? Les enjeux d’une ouverture aux capitaux privés du réseau de transport sont considérables. La sécurité des installations de gaz naturel liquéfié est une question primordiale. Nous ne pouvons négliger les risques importants qu’encourent de telles installations, qui jouent un rôle essentiel dans l’alimentation de notre pays en gaz et contribuent de manière déterminante à la sécurité de nos approvisionnements. Accepter d’ouvrir aux capitaux privés le réseau de transport de gaz, ce serait lâcher du lest sur une activité hautement stratégique.

Il y a plus : la Commission européenne évoque également la possible remise en cause les contrats à long terme par la fusion GDF-Suez. L’idée serait de céder une partie des contrats d’approvisionnement aux fournisseurs concurrents du nouveau groupe et de spécialiser ces contrats sur le marché dérégulé. Le Gouvernement a pourtant clamé dans la presse qu’il s’agissait, par ce projet de fusion GDF-Suez, de renforcer l’opérateur historique et de lui ouvrir de nouveaux horizons pour ses achats de gaz. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conclusions de la Commission compromettent largement cet objectif ! Au lieu de renforcer GDF, la fusion entraînerait une cession d’actifs qui diminuerait les capacités d’achat de l’opérateur gazier.
Vous pourrez toujours objecter, monsieur le ministre, que le nouveau groupe pourra se fournir en gaz sur le marché spot.

Serait-ce là l’objectif : remplacer des contrats de long terme par le marché spot, dont on connaît la volatilité et les hausses qu’il a enregistrées ces derniers mois ?
Là encore, force est de constater que la communication que vous mettez en œuvre pour défendre la fusion, axée notamment sur la sécurisation des achats de gaz et la modération de la hausse des prix en jouant sur les quantités d’achat, est parfaitement erronée. Cette incertitude nouvelle dans l’évolution des prix, voire dans la sécurité d’approvisionnement, ne pourra pas jouer en faveur des consommateurs.

Contrairement à ce que vous annoncez, ce n’est pas dans l’intérêt national que se réalise cette partie de Monopoly capitalistique. Ça l’est d’autant moins que la lettre de griefs de la Commission remet également en question les tarifs réglementés, qui vont, dit-elle, « contre le marché ».

Elle l’écrit en toutes lettres, affirmant que la modération des tarifs de GDF est un obstacle à l’entrée sur le marché français et qu’elle est donc anticoncurrentielle. Cela signifie-t-il qu’il faudrait augmenter les tarifs pour favoriser la concurrence ?

Vous noterez d’ailleurs que l’existence de ces tarifs n’a pas de lien direct avec l’opération de fusion entre GDF et Suez, qui devrait constituer l’objet exclusif des griefs de la Commission. Votre projet de fusion donne cependant à celle-ci une occasion supplémentaire pour casser un peu plus l’ancien opérateur historique.

Pour en terminer avec les griefs, je relève que la Commission s’en prend aux infrastructures de stockage et aux terminaux méthaniers de GDF. Là aussi, la position dominante de l’entreprise est dénoncée. Ce qui se profile, c’est l’apparition d’acteurs privés dans le secteur, pour le moins sensible et dangereux, du stockage de gaz. En présence de capitaux soumis à des rendements capitalistiques, comment garantir que la sécurité des terminaux et des stockages sera assurée au maximum ? Comment garantir que la gestion des terminaux et des méthaniers n’aura pas, elle aussi, comme premier critère de gestion la rentabilité à tout prix ?

Faut-il, une fois de plus, rappeler le triste épisode des rails anglais ou les dangereuses évolutions en cours dans la gestion du trafic aéroportuaire pour éclairer nos collègues sur la lourde responsabilité qu’ils endossent en ouvrant la porte à une gestion partiellement privatisée des infrastructures du gaz, ressource stratégique et dangereuse ?

Ce sont tous ces risques que vous refusez de voir portés à la connaissance de l’opinion, et c’est la raison pour laquelle vous n’avez mis à la disposition des parlementaires qu’une version expurgée de la lettre de griefs.
Ce projet de fusion GDF-Suez pèche donc sur bien des points.

Vous ne nous proposez rien d’autre qu’une opération financière aux conséquences industrielles et économiques incertaines, qui ouvre la porte à une véritable déstructuration de l’entreprise gazière, sur laquelle la représentation nationale n’aura plus son mot à dire une fois le texte voté. J’ai bien entendu M. le ministre promettre que si le projet de fusion n’est pas satisfaisant, il s’y opposera. Chiche, mais nous verrons bien !

Les contreparties que pourrait exiger la Commission européenne en échange de l’autorisation de fusion entre GDF et Suez risquent fort de sceller la mort de l’entreprise gazière publique et verticalement intégrée. Ce qui se trame, c’est le découpage en centres de profits de Gaz de France sous forme de filialisation ou d’ouverture des capitaux des entreprises gestionnaires de réseau. Or cela entraînerait nécessairement une perte de cohérence de l’ensemble de l’organisation du secteur gazier français, car ce démantèlement signifierait inévitablement la perte de synergies industrielles reposant sur le caractère intégré de l’entreprise.

Cela ne fera que hâter la fin de la péréquation que pouvait se permettre l’entreprise intégrée.
En outre, le choix de fusionner GDF avec Suez ne manquera pas d’entraîner un autre changement majeur dans le domaine énergétique : la privatisation d’EDF. Car dans le nouveau contexte économique ainsi créé, l’entreprise publique sera naturellement amenée à chercher elle aussi un nouveau partenaire gazier. L’offre duale en énergie constitue en effet un atout considérable pour les entreprises énergétiques, mais Gaz de France ne sera plus un candidat possible. Il est donc prévisible que si aucune décision politique n’est prise, c’est avec un acteur privé qu’EDF s’alliera. Qui sera-t-il ? Qui s’offrira la possibilité de faire main basse sur un fleuron de notre économie nationale ? On vous entendra alors dire qu’il convient de modifier la loi dont nous sommes en train de débattre. Ainsi, même si l’article 10 de votre texte actuel ancre législativement la part de l’État dans le capital d’EDF à 70 %, il est difficile d’être rassuré sur la garantie que cet article apporte pour l’avenir de l’énergie électrique.

D’autant que votre gouvernement et votre majorité ont déjà illustré le peu de crédit que nous pouvons accorder à la parole de l’État. M. Sarkozy a eu beau s’engager personnellement dans cet hémicycle, sur la non-privatisation des deux entreprises énergétiques publiques en 2004, vous avez attendu à peine vingt-quatre mois que l’encre sèche pour revenir sur ces engagements.

Toutes les incertitudes qui planent sur l’avenir de l’ancien opérateur historique rendent nécessaire un renvoi en commission pour analyser le document qui nous a été communiqué par la Commission européenne le 18 août et les réponses de GDF et de Suez. Le black-out organisé autour de ce projet de fusion nous conforte dans notre opposition au projet de privatisation de GDF et de fusion avec Suez. Il renforce également notre détermination à réorienter la construction européenne vers une gestion des enjeux énergétiques qui ne donnera pas la priorité à la concurrence entre les entreprises du secteur et à la captation par les marchés de l’activité énergétique.

Vous nous proposez avec ce texte ni plus ni moins que la poursuite de la fuite en avant que constitue la mise entre les mains du privé d’intérêts collectifs essentiels dans l’organisation sociale. Je l’ai souvent dit, l’énergie est une ressource vitale dont nul ne peut se passer, un bien commun de l’humanité. À ce titre, elle doit être maîtrisée de façon publique et collective. Vous organisez ici, au contraire, l’abandon d’un instrument efficace, au cœur des défis énergétiques. Vous abandonnez l’idée de maîtrise collective et publique d’un bien commun à tous. Nous disons non à la privatisation des ressources !

Je terminerai sur quelques questions soulevées par un document de la CGC dont nous avons pris connaissance aujourd’hui. Est-il vrai, monsieur le ministre, que la fusion entre GDF et Suez coûterait 5,2 milliards d’euros à Gaz de France ? Est-il vrai que GDF aurait pour mission d’absorber une partie de l’endettement de Suez, qui s’élève actuellement à 16 milliards d’euros ? Est-il vrai que GDF devrait aussi participer au démantèlement des centrales nucléaires belges, décidé par la loi belge de 2005 sur la sortie du nucléaire ? Est-il vrai enfin que la loi française permettrait, si la fusion s’opérait, au nouveau groupe ainsi créé, que j’appellerai « Gaz de Suez », de réaliser un bénéfice fiscal de 3 milliards d’euros, au détriment du budget de l’État ?

Ce sont là, il me semble, des questions qui méritent d’être renvoyées devant la commission des affaires économiques avant d’être discutées ici ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)