Accueil > Délocalisations. Ronal Patrons voyous, salariés exemplaires

Délocalisations. Ronal Patrons voyous, salariés exemplaires

Publie le mercredi 8 septembre 2004 par Open-Publishing

de Anne-Laure de Laval

Fer de lance de la lutte anti-délocalisations, les salariés de Ronal organisaient, avec leur famille, une journée porte ouverte dans leur entreprise pour élargir la riposte et élaborer des contre-propositions.

Sans doute faut-il réactualiser nos imaginaires. Une usine en faillite n’est pas forcément un vaste désert d’hommes et d’outillage performant. Sur le site de l’entreprise Ronal à Saint-Avold, en tout cas, les machines rutilantes semblent attendre le retour des ouvriers qu’on dirait partis en vacances. Hangars et ateliers sont propres et bien rangés. Les jantes en aluminium, empilées par centaines dehors, sont prêtes pour la vente. Même les 167 salariés sont là, impatients de rallumer les fours et de relancer la mécanique.

Et pourtant, Ronal Saint-Avold est en redressement judiciaire depuis le 6 juillet et son sort reste suspendu à la décision que rendra la chambre commerciale du tribunal de Sarreguemines le 21 septembre. N’était la mobilisation des salariés et de leur avocat, la liquidation redoutée aurait d’ailleurs été prononcée il y a quatre mois déjà.

Au coeur du sinistré bassin houiller de la Lorraine, voilà donc une entreprise en parfait état de fonctionnement, largement bénéficiaire avant que la direction décide qu’elle ne l’est plus pour délocaliser en Pologne et Tchéquie, ce qui va laisser 167 familles " sur le carreau ". Scandaleux ? Dans l’air du temps... Car le " cas " Ronal n’est pas isolé, mais emblématique, à plusieurs titres, des nouvelles pratiques de dirigeants qui ne sont plus que des financiers et du combat citoyen, syndical et politique à mener contre les délocalisations frauduleuses trouvant à se développer dans le cadre stimulant de l’Europe libérale.

Dimanche, femmes, enfants, amis et salariés d’autres usines touchées ont ainsi répondu présents par centaines à la journée portes ouvertes organisée par l’intersyndicale (CGT-CFTC-CGC) des " Ronal " et leur peu commun avocat, Me Ralph Blindauer, sur le site de Saint-Avold qu’ils occupent depuis le 10 mai. Entre visites d’ateliers et sandwichs aux merguez, projection de vidéos et tombola, débat et concerts, chacun a ainsi pu marquer sa solidarité avec les ouvriers et cadres de l’usine de Saint-Avold.

On le sait aujourd’hui, la faillite de l’entreprise de fabrication de jantes a été organisée par le groupe Ronal, détenu par des actionnaires suisses. Marc Eidesheim, ex-directeur de production de l’usine de Saint-Avold, maintenant en lutte avec les salariés, retrace les étapes de la fermeture avec dégoût : l’entrée des actionnaires dans " l’opérationnel " il y a un an et demi ; le transfert d’une partie de la production de Saint-Avold vers les sites polonais du groupe dont les salariés français ignoraient l’existence ; la mise au chômage partiel de l’ensemble des salariés du site mosellan ; l’utilisation de l’unité de commercialisation de cabines de douches basée à Bitche pour creuser un déficit d’un million d’euros par an, le transfert de fonds vers la filiale en République tchèque pour vider les caisses. Puis, comme cela ne suffisait pas à déposer le bilan, la provocation des salariés organisée le 10 mai par la direction qui ordonne le déménagement de 40 moules servant à la production, de Saint-Avold vers la Pologne.

C’est alors, on s’en souvient, que les salariés sont entrés dans l’action, pour ne plus baisser les bras jusqu’à aujourd’hui. En bloquant la sortie des " coquilles " et en décidant de ne pas se mettre en grève, ils ont commencé d’entraver un plan qui n’a jamais pu être totalement finalisé. Certes, la direction a réussi à achever la mise en cessation de paiement de Ronal Saint-Avold, mais les salariés sont toujours là, courageux, inventifs et déterminés. Fiers d’un combat qui a déjà laissé ses traces, quelle que soit son issue.

En mai pourtant, ces 167 là n’intéressaient pas vraiment, et personne ne donnait bien cher de leur peau. Et voilà qu’aujourd’hui, la France entière a les yeux rivés sur les " Ronal ", consciente que c’est vraisemblablement ici que se joue une étape importante du combat contre les délocalisations.

" Leur lutte est exemplaire à plusieurs titres " soulignait le député européen communiste Francis Wurtz, invité à cette journée portes ouvertes, en particulier " par la créativité des animateurs qui ont réussi à obtenir le soutien de l’opinion publique et forgé dans la bataille l’unité de syndicats qui se regardaient jusque-là en chien de faïence " et par " son intelligence politique : organiser des voyages en Pologne, en Allemagne ou en Suisse pour nouer des relations avec les salariés des autres usines Ronal est absolument génial ", s’est-il enthousiasmé en notant " un précédent dans la lutte à l’échelle européenne qui peut faire renaître l’espoir ".

" Ronal est une illustration de ce que nous condamnons ", rappelait pour sa part le président (PS) du conseil régional de Lorraine, Jean-Pierre Masseret." C’est la recherche de la meilleure rentabilité et de l’investissement au mépris du droit et des obligations qui incombent aux entreprises. Tous les jours, il y a une nouvelle tentative de délocalisation ou d’augmentation du temps de travail. C’est l’abc du capitalisme qui est ici mis en avant avec ce jeu sur les disparités de sécurité, de protection sociale et de rémunération. Et cette mécanique économique a le champ d’autant plus ouvert que les politiques sont désunis ", dénonçait-il encore en professant que la riposte ne pourra venir que de la gauche, à l’échelle européenne, et surtout " du côté des citoyens, s’ils sont aidés par les politiques pour faire bouger les lignes ".

D’accord, mais comment ?

En se donnant comme objectif de lutte les propositions des communistes au niveau européen, a, en substance, répondu Francis Wurtz (voir encadré), qui rappelait, d’un exemple, l’âpreté du combat à mener : " le président de la Banque centrale européenne vient d’affirmer, en réponse à la dénonciation du chantage à l’emploi exercé par Siemens, que tout ce qui va dans le sens d’une plus grande flexibilité de l’emploi est bon. Ce faisant, le responsable de l’une des plus hautes instances européennes a rendu hommage aux " patrons voyous ".

Renverser le rapport de force, pour l’heure favorable au capitalisme, exige de " discuter de l’offre politique pour l’avenir ", prévenait de son côté Roger Tirlicien (PCF), conseiller régional de Lorraine.

Dénonçant tour à tour cette " Europe du fric ", la politique de déréglementation menée au nom de l’emploi qui n’instaure que " la loi du plus fort ", les responsables politiques, syndicaux, et les salariés se sont accordés sur un constat : sauf à renoncer tout de suite à l’emploi et aux acquis sociaux, il est plus qu’urgent de se donner les moyens de changer la donne sociale et politique en Europe.

La logique du profit a une belle longueur d’avance, mais les salariés de Ronal viennent de démontrer que les " multinationales ne sont pas toutes puissantes et qu’on peut les tenir en échec ", rappelait Me Ralph Blindauer, déconcertant de pugnacité.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-09-07/2004-09-07-400040