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Des artistes irakiens s’emparent du thème des sévices

Publie le lundi 10 mai 2004 par Open-Publishing

C’est un homme nu, accroupi, les mains liées et la tête recouverte d’une cagoule. Cette scène n’est pas sortie de la prison d’Abou Ghraïb, mais de l’imagination d’un artiste irakien qui expose actuellement ses oeuvres dans une galerie de Bagdad.
Cette sculpture en albâtre d’une quarantaine de centimètres, qui porte à sa base la mention ironique "Nous vivons la démocratie américaine", a été créée il y a deux mois, soit plusieurs semaines avant la divulgation des premières photographies de sévices infligés à des prisonniers irakiens par leurs geôliers américains dans la prison d’Abou Ghraïb.

La ressemblance, pourtant, est frappante. "Nous savions ce qui se passait à Abou Ghraïb", explique l’artiste, Abdoul-Karim Khalil. "Les images ne m’ont pas surpris."
Cette sculpture n’est pas un cas isolé. L’occupation américaine de l’Irak, de plus en plus perçue comme intolérable par une grande partie de la population, est devenue un sujet d’inspiration sur la scène artistique locale.

On est loin de l’euphorie qui a accompagné le renversement l’an dernier du régime de Saddam Hussein. Les attaques terroristes, la hausse sans précédent de la criminalité, la défaillance des services publics, la maladresse des forces d’occupation étrangères et leur mépris à l’égard des traditions irakiennes sont passés par là.

Les photographies de soldats tout sourire, hommes et femmes, maltraitant et humiliant des prisonniers irakiens n’ont fait que rajouter à l’impuissance ressentie par une population sujette quotidiennement aux perquisitions, aux fouilles, aux barrages, aux fils barbelés, aux détentions.

A la galerie d’art Hewar ("dialogue" en arabe) où sont exposées les oeuvres d’Abdoul-Karim Khalil, le propriétaire Qassim al-Sabti a invité récemment des artistes à écrire ou à peindre leurs impressions à l’occupation américaine sur un panneau rectangulaire en bois de deux mètres sur trois, installé dans le jardin.
Une quarantaine d’artistes et écrivains ont accepté l’invitation. L’un d’eux a peint l’aigle symbole des Etats-Unis, avec des ailes en forme de roquettes. Un autre a écrit en anglais : "Vous nous avez libérés. D’accord. Merci ! Rentrez chez vous". Un troisième a renchéri : "L’Amérique, c’est la peste !"

"Nous ne sommes pas étrangers à ce que fait l’armée américaine", déclare Abdoul-Karim Khalil, 44 ans, interrogé aux côtés de sa sculpture de l’homme nu et de deux autres sculptures en albâtre également inspirées par l’occupation. "Notre dignité ne peut pas tolérer cette humiliation. Tous ceux qui ont été détenus par les Américains sont prêts à rejoindre la résistance dès leur libération."

Peu de temps après la prise de Bagdad par les forces américaines en avril 2003,
Abdoul-Karim Khalil s’est mis à sculpter une oeuvre représentant un homme en train de violer une femme, sculpture qui symbolise selon lui l’occupation par les Etats-Unis de ce pays musulman. Cette oeuvre n’est pas exposée à la galerie Hewar.

Une autre sculpture, en bronze, représente un Marine américain. "Il est armé jusqu’aux dents et a un corps massif", raconte l’artiste. "Mais sa tête est petite pour la faire paraître vide." BAGDAD (AP)