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Destruction de l’usine d’incinération d’Ivry : pendant ce temps, qu’est ce qu’on

par Pierre Mesnils

Publie le mardi 20 août 2013 par Pierre Mesnils - Open-Publishing

La région Île-de-France et le syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères (Syctom) ont pour projet de détruire l’unité d’incinération des ordures ménagères (UIOM) d’Ivry-sur-Seine (94) pour... la reconstruire entièrement. Au-delà du coût prohibitif d’un projet disposant pourtant de plusieurs alternatives, nettement moins coûteuses, se posent la question de la gestion des déchets ménagers pendant les années que dureraient les travaux.

Rien n’est encore sorti de terre, et l’actuel incinérateur fonctionne toujours à plein régime, mais le futur projet de reconstruction s’attire déjà les foudres d’associations de riverains et d’élus locaux, contre ce qui s’apparente à une forme de démesure industrielle. En ces temps de disette budgétaire annoncée à tous les niveaux de l’Etat, les parties concernées s’interrogent sur la pertinence de lancer un chantier dépassant le milliard d’euros, alors que la piste d’une rénovation de l’existant, avancée par certains, semble plus économique et plus judicieuse d’un point de vue opérationnel. Evoqué dès 1999, et lancé initialement en 2003, le projet a fait l’objet d’études de faisabilité en 2007. Celles-ci ont alors chiffré le projet à 800 millions d’euros hors taxes. Mais le Syctom précise très vite : « Il s’agit de coûts bruts, hors coûts de dépollution des sols, hors coûts d’installations externes au site et hors acquisition foncière. (...) ces estimations comportent une marge d’incertitude de l’ordre de 20%  ». Un coût jugé prohibitif par des associations opposées au projet qui, de surcroît, relèvent à juste titre que le Syctom, prévoyant de financer le projet sur fonds propres et par emprunts (à 80%), est déjà lourdement endetté : « 114 millions d’euros en 1999, 667 millions d’euros en 2008. Avec le projet d’Ivry, il devra encore s’endetter à hauteur de 640 millions d’euros, c’est-à-dire doubler son endettement actuel !  ».

Depuis son lancement, le projet est pudiquement baptisé « transformation » par le Syctom. Mais cette appellation recouvre en réalité la destruction complète de l’actuelle usine d’incinération pour reconstruire l’intégralité du site. Or le site a fait l’objet de revalorisations récentes : entre 2003 et 2011, plus de 55 millions d’euros ont été investi dans le retraitement des fumées. Fin 2005, le site a été mis aux normes environnementales européennes par adjonction d’un dispositif complémentaire de filtrage. Depuis 2009, le Syctom a déjà financé pour plus de 60 millions d’euros de travaux en vue de prolonger la durée d’exploitation du site, suivant une logique certainement moins onéreuse que celle de la table rase. Opter pour la destruction complète du site, censée débuter en 2014, ce serait jeter par la fenêtre plus de 110 millions d’euros d’investissements, avant de passer à une dépense dix fois supérieure. On comprendrait que ces chiffres interpellent Roger-Gérard Schwartzenberg, député du Val de Marne et chef de file des radicaux de gauche, qui vient justement de plaider pour « un devoir de vérité sur l’état réel de nos finances publiques », dans le cadre du budget présenté par le gouvernement.

Les premières ébauches de la future usine et ses caractéristiques officielles ne révèlent d’ailleurs pas de ruptures technologiques majeures, qui auraient pu justifier le projet. Les fondamentaux restent identiques, même si on réorganise un peu les différentes filières de retraitement. Les détails du projet cachent mal une certaine mauvaise conscience vis-à-vis du thème de l’incinération, puisque l’accent est mis sur les aspects esthétiques : camouflage des cheminées et transparence des fumées d’incinération, qui seront de fait invisibles. Est-ce que la finalité esthétique de l’intégration dans le paysage urbain des bords de Seine justifie un milliard d’euros de dépenses publiques ? Les premiers échos de la consultation publique sur le sujet permettent d’émettre des doutes.

On peut regretter par contre que le Syctom communique peu sur le fait que l’incinération fait parti des modes de traitement des déchets ménagers, au même titre que le compostage ou le recyclage. Loin des clichés de pollution des années 1980, l’incinération est aujourd’hui considérée comme un mode de transformation des déchets en énergie durable, notamment en chaleur pour les réseaux de chauffage urbain et en électricité. Il aura fallu pour cela attendre les progrès réalisés dans le domaine de la filtration et du retraitement des fumées, notamment via l’élimination des dioxines. Il est donc techniquement plus simple et moins cher de rénover le site, compte tenu du fait que l‘incinération ne pourra pas, techniquement, être abandonnée. Or, une simple rénovation permettrait en outre d’immobiliser le site moins longtemps, et minimiserait les conséquences sur l’organisation de la collecte pendant les travaux.

Le chantier prévu par le Syctom est en effet prévu pour durer au moins cinq ans, temps nécessaire à la mise en service des seuls premiers systèmes, à savoir les incinérateurs. Entre-temps se pose une question simple : que fait-on des déchets actuellement traités par l’usine d’Ivry-sur-Seine ? Car tout en étant l’un des plus anciens de France, l’UIOM d’Ivry-sur-Seine est aussi le plus important en termes de tonnage de déchets ménagers et assimilés (DMA) traité : 730 000 tonnes par an de capacités d’incinération sur 3,5 millions de tonnes brûlées par an. Alors qu’il y a 19 unités d’incinération sur Paris et banlieue, la fermeture de la seule centrale d’Ivry-sur-Seine entrainerait la perte de 20% des capacités d’incinération. L’impact sur la gestion des déchets n’est donc pas anodin.

Dès 2004, le président du Syctom François Dagnaud déclarait en parlant de l’usine d’Ivry-sur-Seine : «  le Syctom n’est pas en mesure de renoncer à un site d’une capacité de traitement de 700 000 tonnes de déchets ménagers. Ces derniers ne peuvent quand même pas terminer dans une décharge en Seine-et-Marne ou je ne sais où  ». Pourtant c’est ce qui s’est déjà passé par la suite : en 2005, le temps de la mise en conformité de la centrale d’Issy les Moulineaux, l’immense majorité des déchets normalement traités par Issy a été envoyée à l’enfouissement (auparavant appelé « mise en décharge »), de loin la plus mauvaise des solutions de retraitement. Il est donc indispensable de réduire au maximum le temps d’indisponibilité de la centrale d’Ivry-sur-Seine, et le projet actuellement porté par le Syctom ne semble pas adéquat. A moins de souhaiter voir la multiplication des surfaces de décharge en Île-de-France, il sera toujours nécessaire de disposer de capacités d’incinération suffisantes pour pallier l’absence d’autres solutions.

Pour en savoir plus :
Observatoire Régional des Déchets d’Île-de-France
Syndicat Intercommunal de Traitement des Ordures Ménagères
Collectif 3R