Accueil > Émilie Carles et la vallée de la Clarée

Émilie Carles et la vallée de la Clarée

Publie le vendredi 29 juillet 2005 par Open-Publishing
16 commentaires

Lu sur REBELLYON

Antimilitariste, libertaire, Émilie Carles a milité toute sa rude vie pour ce coin de bonheur dans les montagnes briançonnaises où elle aimait donner le goût d’apprendre et aussi accueillir.

Émilie Allais est née en 1900 à Val des Prés, petit village situé dans la "Vallée de la Clarée", à l’écart de bien des pollutions, au Nord-est de Briançon. Son père est paysan de montagne. Elle a 5 frères et sœurs. A quatre ans, elle perd sa mère foudroyée dans un champ. La vie n’est pas facile. Les journées d’Émilie sont doubles : aux champs et à l’école. Elle fait 7 km à pieds pour aller à l’école à Briançon, car elle veut devenir institutrice. A 16 ans elle parvient à quitter sa vallée pour Paris, afin d’obtenir son diplôme. Émilie est la seule des six enfants de sa famille à poursuivre des études. A Paris elle découvre et se sent à l’aise au sein du milieu anarchiste et pacifiste de l’immédiat après-guerre. Mais déjà à 14 ans, elle s’était forgée des idées antimilitaristes, après que, ses deux frères étant partis à la guerre en 1914, lors d’une permission, l’un d’eux lui ait montré l’absurdité de ce conflit.

De retour au pays, atteinte d’une lésion tuberculeuse, elle exercera le métier d’institutrice durant quarante ans dans ses montagnes des Hautes-Alpes. Elle apprend à ses élèves la tolérance, le refus de la guerre et la fierté de leurs traditions paysannes. D’abord institutrice en remplacement en 1923 aux Gourniers de Réallon, puis à Val des Prés, Émilie devint maîtresse à l’école maternelle des Alberts, puis du Villaré en 1934, puis revient à Val des Prés en 1951 pour être nommée institutrice titulaire de l’école.

En 1927 elle rencontre Jean Carles, de onze ans son aîné, qui devient son compagnon. II est pacifiste, libertaire et libre-penseur. II va lui révéler tout ce qu’elle pensait. Avec lui, elle lutte contre l’injustice, la guerre, le racisme, le patriarcat et la soumission des femmes. Ensemble, en 1936, ils transforment la grande ferme familiale en auberge-hôtel "Les Arcades", pour accueillir les vacanciers du Front Populaire, qui se remplit de copains et de copines anarchistes grâce aux petites annonces dans les journaux "La Patrie Humaine" et "l’En-Dehors"[1]. Le salaire d’Émilie comble souvent le déficit de l’auberge. Ils ont trois enfants : deux fils et une fille. Mais durant la guerre de 39-45, un drame immense se passe devant chez eux, à Val des Prés : leur fille "Nini", âgée de 6 ans, est écrasée par un camion militaire. Jean, son mari, refusant de partir à la Guerre doit se cacher pour éviter d’être fusillé comme déserteur et se réfugie dans un camp de maquisards où il fait la cuisine. Par la suite, il se mobilise pour éviter que leur fils n’aille combattre durant la guerre d’Algérie ; mais épuisé, victime d’une maladie, Jean Carles meurt subitement en 1962. Il était tout son bonheur. Émilie prend sa retraite la même année.

Restée seule avec ses enfants, Émilie Carles continuera encore à se manifester pour défendre la montagne du saccage autoroutier. En 1974, elle réussit à mobiliser la population de Val des Près contre le projet d’autoroute Fos/Mer-Turin qui aboutirait à la destruction de la “Vallée de la Clarée”. Le 13 Août 1973, elle prend la tête d’une manifestation à Briançon contre ce projet. Le 27 Octobre 1976, elle organise une conférence de presse à Paris devant des représentants de ministères et des journalistes. Émilie fait grosse impression et obtient gain de cause : “la Vallée de la Clarée” sera désormais classée et on ne pourra plus dévisager ce coin unique et vivant de nature et de calme.

Elle a raconté sa vie et ses révoltes dans une autobiographie : "Une soupe aux herbes sauvages" qui parait en janvier 1978. Ce livre, qui lui a été demandé, est un immense succès, imprimé à des millions d’exemplaires et traduit dans une dizaine de langues.

Le 29 juillet 1979, Emilie Carles meurt à Val des Prés ; elle fait don de son corps.

Voici trois extraits du livre d’Emilie Carles, "Une soupe aux herbes sauvages" :

C’EST FÉERIQUE... LA VALLÉE DE LA CLARÉE

« Dès les premiers beaux jours de l’année, alors que la montagne est encore imprégnée par l’humidité de la neige à peine fondue, j’ai pour habitude de me reposer, allongée dans mon fauteuil sur la terrasse du Vivier. Dès le matin, le soleil vient y dessiner un jeu d’ombres et de lumières qui m’est tout aussi familier que la voix de ceux que j’aime.
La Clarée, cette rivière bénie des dieux, coule à mes pieds. J’aperçois à travers les branches des arbres le mouvement de ses ondes transparentes qui varient en couleurs et en intensité, tour à tour tumultueuses ou calmes, grondantes ou monotones. Autour de moi les oiseaux chantent. Je leur parle et ils me répondent et je prends ce concert pour moi seule. Quelle présomption ! Ils chantent l’hymne au soleil, celui dont Rostand disait : "O soleil toi sans qui les choses en serait pas ce qu’elles sont." Les gouttes de pluie de la nuit accrochées aux feuilles des saules irradient sous les rayons. C’est féerique, c’est paradisiaque. J’ai sous les yeux le plus beau pays du monde. »

PRÉSERVER LA VIE DE CE VAL NATUREL... CONTRE LE PROJET DE SACCAGE AUTOROUTIER

« Ce qu’il faudrait, c’est que les gens de la commune prennent conscience que cette autoroute n’est pas pour eux. J’essaie de leur expliquer, je leur dis : « Pour aller à l’autre bout du village, pour aller à Pamplinet ou à la Vachette, quelle route prendrez-vous ? Toujours la même vieille route, pendant que les autres vous passeront au-dessus de la tête en vous envoyant leurs gaz d’échappement. Cette déviation s’ajoutera au reste, à la voie express et à la voie ferrée elle aussi prévue. Notre vallée ne sera plus qu’un immense couloir de béton, avec le bruit, l’odeur et la pollution. La Clarée deviendra comme la vallée de la Maurienne, un endroit mort où le feuillage est détruit, les moutons obligés de s’en aller ailleurs. » C’est ça qu’ils doivent se mettre dans la tête, cette autoroute et tout ce qui va avec, ce n’est pas conçu pour le bien du village et pour le bien des paysans. »

LA VRAIE SOUPE AUX HERBES SAUVAGES... SANS CHEF, SANS DOMINATEUR

« Ça, c’est du plantain et voilà de l’oseille sauvage, de la drouille, de l’ortie ou barbe à bouc, du pissenlit, de la doucette, un petit chardon des champs ou chonzio, une plante laiteuse, le laichuron, du mille-feuilles, du chalabrei aux feuilles largement dentelées, de la tétragone ou épinard sauvage, de la langue bogne, une feuille de sauge et un brin de ciboulette. A cela j’ajoute une pointe d’ail, quelques pommes de terre ou une poignée de riz et j’obtiens une soupe onctueuse et délicieuse. Pour la réussir, ce qui importe, c’est de respecter les proportions. Il faut très peu d’herbes de chaque sorte afin qu’aucune ne l’emporte sur les autres. »

[1]L’En-Dehors d’Armand (1922/1939)

 Sources : Éphéméride Anarchiste
et surtout son livre "Une soupe aux herbes sauvages" qu’elle a écrit avec l’aide de Robert Destanque (nombreuses éditions - existe en livre de poche)

Messages

  • Rien à répondre,juste dire que je l’ai connue,et que ça fait du bien de savoir que des gens comme elle existent !!! Et heureusement,il y en a plein !!!

  • Je viens de finir de lire ce merveilleux ouvrage qu’une amie m’a prêtée !
    J’ai été très touché par ce qu’écris Emilie Carles ... qu’elle vie ...
    Je n’ai pas pu lacher ce livre ...
    Margaret.

  • J’ai 41 ans, ce merveilleux livre je l’ai lu j’avais vingt ans et il a forgé une partie de moi même. J’aurai aimé rencontrer cette femme exceptionnelle, humble, courageuse et fidèle à ses convictions.
    Merci Madame pour ce merveilleux livre.
    J’ai deux enfants de 10 et 8 ans, je souhaite vivement qu’un jour ils puissent lire ce livre et qu’il leur apporte la force de vivre dans notre société chaque jour un peu plus pourrie.
    Un seul regret que Madame Emilie Carles ne soit pas plus connue.

    • Je suis d’accord avec vous.Je suis allée à Val des Pres après avoir lu son livre,pensant pouvoir la rencontrer,mais elle était à l’hopital.J’ai demandé à des habitants,mais ils n’avaient pas l’air de la porter dans leur coeur,car biensur elle n’avait pas été tendre avec plusieurs d’entr_eux.C’était une femme admirable !Mais comme le dit le proverbe:nul n’est prophète en son pays.Christiane

  • Il y a une erreur dans la biographie : Pendant la guerre, Jean Carles a dû se cacher parce que, vu ses opinions politiques, il se trouvait en n°1 sur une liste de 9 otages, liste constituée par le sous-préfet pour le cas où les allemands en auraient besoin...

    Livre extraordinaire qui n’a pas pris une ride, d’une personnalité qu’on devrait célébrer dans toutes les écoles au lieu de...

    BriZou, institutrice à la retraite, 64 ans.

  • Je viens de terminer la lecture du livre d’Emilie Carles.Quel choc !Quelle surprise !
    Quelle humanité.
    Je ne trouve pas les mots pour exprimer mon émotion.C’est fort,c’est plus que jamais d’actualité,je parle de ses idées et de sa lutte.
    C’est un livre que toutes les intitutrices et tous les instituteurs devraient lire car,comme le dit si justement Emilie Carles,ils ont une grande responsabilité dans l’éducation des enfants,les enfants qui feront la société de demain.
    Générosité,amour,persévérance,fidélité,tenacité,loyauté,voilà ce que j’ai retenu de son livre,de sa vie.
    A lire par tous.
    Ce livre m’a fait du bien,merci Emilie Carles.

  • Quoi dire de ce merveilleux livre ?
    Je l’ai lu quand il est sorti ( en vacances dans les Alpes), je l’ai relu et relu et dernièrement je l’ai repris pour le relire......
    Je me rappelle d’Emilie chez B. Pivot avec Henri Vincenot , un moment de bonheur !

    • Le portrait d’une femme combative et visionnaire qui est toujours restée fidèle à ses idées humanistes. Et quand elle parle des hommes (femmes) politiques, rien à changer : qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre, ils sont uniquement préoccupés par la réussite et le pouvoir ; ils sont loins des réalités et ne se soucient guère des valeurs humaines.

      Et même si tu n’es plus là, merci Emilie pour cette leçon de vie.

  • comme tout le monde j’ai beaucoup apprecié ce livre !!tres fort !
    toujours d’actualité pour la politique !!!
    quelle chance a ceux qui l’ont connu !!
    quel courage dans cette montagne dure !!!
    je partage ses idees sur plein de points : humanisme,combat,lutte acharnée !!!!
    je suis contente qu’il y ait des sites entiers en son honneur !!!
    cette dame ne doit jamais etre oubliée !!
    c’est un ami "rebelle" aussi,comme moi qui me l’a fait decouvrir !!
    merci !!
    cela m’a semblait souvent dur !!et triste !!injuste !!!!
    je suis d’acccord qu il fallait souligner que son mari etait sur une liste d’otages !!!
    pour avoir exprimés ses idées !!!bonjour ces scandaleux
    collaborateurs !!non la societe n’a pas evolué dans le bon sens !!!
    c’est de pire en pire !!
    reveillons l’emilie carles qui sommeille en chacun de nous
    corinne domont de petit camon dans la somme !

    • Je suis, moi aussi, émerveillée de ce livre ! il faudrait que les insitutrices le lisent à leurs élèves ! en 100 ans, l’humanité a fait un bond extraordinaire ! au début du livre, on se croirait à l’aube de l’humanité ! et je me demande à quelle période les parents ont commencé à aimer et considérer leurs enfants ! leur a-t-il fallu l’instruction pour cela ?
      Je veux acheter ce livre et le prêter à tous mes amis ! quel témoignage ! et cela fait du bien de voir qu’il existe dans l’humanité des êtres droits, honnêtes et hostiles à toute compromission - je suis entièrement d’accord avec les avis de l’auteur sur la religion, le pouvoir et les gens...

  • je suis contente que son ecole et le petit village existe encore !!!

  • J’ai lu et relu ce merveilleux livre qui est une leçon de courage et d’humanité. Come j’aurais aimé avoir une Emilie Carles dans ma famille ai lieu de zombies prétentieux et obsédés par l’argent. Je suis allé à Val des Près en 2004 et j’ai cherché sa maison dans le village... mais les gens que j’ai interrogés ne la connaissaient pas ou faisaient semblant de ne pas la connaître. il est vrai qu’elle devait détonner, avec sa culture et son esprtit rebelle, au milieu de tous ces veaux conformistes, durs à la tâche et ne rêvant que de propriété. Ce sont ges gens comme Emilie Carles qui sauvent l’humanité. Bravo Madame !

  • Trouvé par hasard chez un ami brocanteur, le titre retenant mon attention, j’ai passé un grand moment à le lire - moment comparable à mes lectures de Giono.
    Mais qu’est devenue cette histoire d’autoroute ?
    Cet ouvrage mériterait une (bonne) interprétation cinématographique ou tv - afin de mieux faire connaitre tout ça.

  • Je viens de trouver qu’il y a bien un film (non vu encore...) avec Rufus et Girardot, de 1997. Mais ce film serait quelque peu passé à la trappe...

  • J’ai lu le récit d’Émilie Carles, puis je suis allé randonner plusieurs semaines de suite, à quelques années d’intervalle, à Névache. Et j’ai relu à plusieurs reprises son livre. Je suis entré dans son récit, connaissant mieux les lieux dont elle parle, les villages et hameaux de cette magnifique vallée, qu’elle a sauvée de la folie des humains.
    J’ai fini par « tomber » amoureux de cette vallée, si bien que j’y retourne fréquemment, sans me lasser, et tout ça grâce à Émilie Carles, sans qui, la vallée telle qu’elle est, aurait disparu. Quel désastre ça aurait été.

  • après avoir lu ce livre magnifique ces derniers jours,
    j’ai juste à rajouter ma tristesse de ne pas l’avoir rencontrée
    c’est un exemple pour nous tous, je suis encore bouleversée par les récits de sa vie, un grand respect pour cette dame.........