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Etat d’urgence ou mutation d’un Etat ?

par Mohamed El Bachir

Publie le mercredi 23 décembre 2015 par Mohamed El Bachir - Open-Publishing

Etat d’urgence sous injonctions !

Suite aux attentats du 13 novembre, à l’appel du Président de la République, le Congrès s’est réuni le 16 novembre, à Versailles. Devant les représentants de la Nation, F.Hollande déclara sur un ton solennel, tout en annonçant l’Etat d’urgence : « je veux que la France puisse rester elle-même. »

Mais de quelle France, s’agit-il ?

Celle du chômage et de la pauvreté ou celle qui obéit au capital financier et à l’Otan ?

En tout cas, qu’il me soit permis d’interroger celle qui somme les compatriotes musulmans à crier haut et fort ’’ce qu’ils ne sont pas’’. Commençons par les propos du premier Ministre M. Valls. Il appelle « l’Islam à couper toute complaisance envers le djihadisme et le terrorisme... Ce salafisme, cet islamisme radical. »

D’une part, l’ emploi de l’expression ’’salafisme radical’’ n’est pas anodine. Elle permet au Premier Ministre de ne pas mentionner le wahhabisme et de passer ainsi sous silence tout lien idéologique entre les organisations terroristes et les monarchies wahhabites. D’où la contre-vérité énoncée par M.Valls, à savoir, l’Arabie saoudite et le Qatar n’ont pas financé l’Organisation de l’Etat islamique (OEI) en Irak et le Front El Nosra, filiale d’ Al-Qaïda’’ , en Syrie. Pourtant, des documents déclassifiés du Pentagone, entre autres, prouvent le contraire. (1)

D’autre part, suggérer que l’Islam doit mettre fin à toute complaisance avec le terrorisme, sous-entend qu’en général, il y a complaisance. Ainsi s’offusquer des propos de Marine Lepen sur l’Islam, tout en nourrissant de tels amalgames est pour le moins incohérent et irresponsable.

Vient ensuite dans le même ordre d’idée, la sommation musclée de l’ancien Premier Ministre, A. Juppé. En effet, du haut de l’autel médiatique, il a invectivé « les français musulmans » en exigeant d’eux qu’ils disent « clairement qu’il n’ont rien à voir avec ces barbares de l’Etat islamique. » (2)

La précision ’’Etat islamique’’ est importante à plus d’un titre. J’y reviendrai.

Face à ces minables interpellations (minable parce qu’elles démasquent le vil procédé utilisé pour tenter de concurrencer, à moindre frais, l’espace politique et idéologique de l’extrême droite), que dois-je faire ?

Appliquer à la lettre le proverbe arabe : les chiens aboient, la caravane passe ?

Une telle attitude est arrogante et nullement satisfaisante dans une France en crise majeur. Dans un contexte de crise politique, sociale et culturelle, doublée d’ une crise internationale d’une grande ampleur, on ne peut pas se désolidariser du reste de la population.

Obéir à l’injonction en portant un badge ’’musulman mais pas terroriste’’ ? Un badge visible de loin, même dans l’isoloir !
Une telle posture est une autre manière de se désolidariser à bon compte. De plus, elle m’intégrera dans le troupeau des « nouveaux harkis de la République », les pendants des « nouveaux chiens de gardes ».

Tel le philosophe soufi et sophiste qui utilise sa ’’science’’ pour flageller les musulmans et se flageller, sans pour autant, nous éclairer sur les responsabilités de certains dirigeants et élites arabes tels les monarques wahhabites et en passant sous silence la complicité sans limite des puissances occidentales, depuis au moins une soixantaine d’années. (3) Une responsabilité lourde de conséquences puisqu’elle a abouti à la mort clinique des courants politiques modernisateurs et laïques dans le monde arabe et à la prise en main du politique par le religieux le plus rétrograde dont, justement, le wahhabisme. Et si la question de la place de l’islam en France se pose, on ne peut y répondre sereinement que dans une France qui sait qui elle est et où elle va.

...Ou tel autre nouveau harki, « le faussaire intellectuel »(4), l’imposteur ’’spécialiste du terrorisme’’, qui de son studio médiatique assène, sans retenue et avec un mépris envers toutes les mères arabes, « Ce n’est pas parce qu’une personne perd son fils -et il y en a beaucoup , des centaines de personnes- qu’on va la sortir de ses fourneaux pour en faire une égérie de la lutte anti-terroristes. » (1) Face à de tels propos, point de commentaire, encore moins de protestation des féministes. Mais je connais une grand-mère à la tolérance proverbiale, militante du FLN algérien dans sa jeunesse, qui aurait répondu à notre ’’spécialiste du terrorisme’’ : « Mon fils ! Avide et sans principe, votre cas est désespéré ! »

Mais revenons à nos moutons ! Non, je n’intégrerai pas un tel troupeau mais ce qui m’inquiète n’est nullement le cas des « nouveaux harkis » mais celui de la République ! parce que des dirigeants interchangeables s’en servent tout en servant durablement le pouvoir du Capital, quitte à transformer la République des citoyens en une République de tribus. D’ailleurs, c’est ce qu’elle est, en réalité, devenue.

Il suffit d’écouter en ce dimanche électoral du 6 décembre, les larmoiements des uns et des autres. Tels des marchands de tapis, partageant les places au présent, entre ’’peuple de gauche et peuple de droite’’...

C’est malheureux à dire mais il a fallu attendre la prestation de Marine Lepen pour entendre que ce 6 décembre, il s’agissait du peuple de France. Pourtant les problèmes graves et urgents auxquels est confronté ce peuple exige une vision à long terme. Une vision qui ne soit pas obstruée par la Commission de Bruxelles avec sa loi d’airain : le libre marché et ses lois économiques pseudo-scientifiques. Faut-il donc s’étonner si, à défaut d’une espérance émancipatrice, le peuple et particulièrement, sa jeunesse, empruntent des chemins menant vers des horizons obscurs ?

Mais de cette question, les spécialistes des combinaisons politiciennes, électoralement de plus en plus perdantes, n’en que faire. Parce que, fascinés par le rendement de l’outil que leur offre la République, ils ont, depuis longtemps, renoncé à l’essentiel, « l’Idée émancipatrice », chère au philosophe Alain Badiou.

C’est pourquoi de la modeste place qui est mienne, je répondrai par un cri de colère.

Tout d’abord, contre vous, classe dirigeante, car vous vous dédouanez, à bon compte, de toute responsabilité en invectivant les français musulmans.

Ensuite contre « les nouveaux harkis », je me contente de paraphraser De la Boétie,« vous servez si bien et si volontiers qu’on dirait que vous n’avez pas perdu votre liberté mais bien plutôt gagné votre servitude. » Certes, une servitude sous forme sonnante et trébuchante.

Il est nul besoin de vous faire un dessin, chers actuel et ancien Premier Ministre, pour vous signifier mon choix ! Car ’’l’ équation terroriste’’ avec comme ’’inconnue endogène’’, à vos yeux, le musulman, est tout simplement mal posée. Et puisque vous aimez expliquer au peuple français, à chaque mesure qui l’affaiblit et le désespère, le pourquoi de vos mesures, il est de mon devoir de faire acte de pédagogie, à mon tour, mais pardonnez le manque de démagogie de ma part ! J’ai une excuse : je suis pauvre en éléments de langage.

Donc parlons des responsabilités de ceux qui invectivent !

Ce qui ramène à ’’l’État islamique’’. Une première précision : à l’O.N.U, cet Etat n’ existe pas, parlons donc de l’Organisation de l’Etat islamique (OIE). Pour cela, il faut consulter les renseignements généraux français. Ils vous apprendront que les frontières idéologiques et militaires entre l’ OIE et le Front El Nosra-El Qaïda sont ouvertes et que « les jeunes barbares français » les traversent sans encombres. Des frontières, avec comme plaque tournante la Turquie, comme le fut Londres dans les années 80.

C’est ainsi que ’’ ces jeunes’’ passent de l’OIE à celle qui « fait du bon boulot » avec, parfois, un petit séjour chez les organisations satellites, au gré des circonstances et du plus offrant. Il faut attirer l’attention sur le fait que ’’ces jeunes barbares’’ se moquent éperdument des nuances académiques, détectées par les experts, qui différencient l’OIE, le front El Nosra et leurs sœurs.
Ce qui entraîne : l’attentat du 13 novembre revendiqué par l’une, fut soutenu par l’autre.

Enfin, pour mettre fin à ma colère, j’ajoute une question : comment interpréter les propos du Ministre des Affaires étrangères et du commerce : « les gars du Front El Nosra font du bon boulot » tout en déclarant publiquement que « le Président syrien ne mérite pas de faire partie de ce monde » ?

Réponse:une invitation adressée à ’’quelques jeunes français désœuvrés’’ à ’’devenir barbares en allant faire le Jihad en Syrie’’ et puis ailleurs.

Certes, ’’bien travaillés’’ par quelques ignorants et intégristes imams mais néanmoins efficaces. Certains connus des services de sécurité ! Faut-il le préciser ?

Ces recruteurs sont d’autant plus efficaces que certains de ces jeunes ont ’’voyagé ’’ de classe scolaire en classe scolaire jusqu’à l’âge de 16 ans en étant analphabètes. Belle illustration, si j’ose dire, de l’analphabète jeune femme de ménage de ’’la Cérémonie’’ de Claude Chabrol.

A n’en pas douter, les dirigeants de l’Etat français auraient bien aimé rejouer, en Syrie, l’ignoble scène de la mort de Kadhafi ( je ne vénère nullement les dictateurs), livré par un commando français à de ’’jeunes barbares libyens’’. Sur ce point, les démentis de l’État français ne valent pas plus que les mensonges d’un arracheur de dents. Tout comme, la ’’guerre française’’ contre l’OIE est une ’’sordide’’ plaisanterie quand on connaît le soutien occidental et français, en particulier, apporté à la Turquie, centre financier et militaire de cette organisation.

Enfin pour clore ce point, il est incommodant de souligner que, parmi ces ’’jeunes barbares’’ , certains ne sont pas de ’’ souche’’ musulmanes comme il est irresponsable d’interpeller l’ensemble des ’’français musulmans’’ à... se confesser. Irresponsable dans une République qui, paraît-il, ne reconnaît que le citoyen sans couleur ni odeur religieuse !

Vers une mutation de l’État de droit ...?

Mais on n’est plus à une contradiction près. En effet, c’est la marque de fabrique du radical chic, comme dirait R. Debray, « la vitesse ! Ne pas s’enfoncer dans aucune réalité en particulier et de juger de toutes, en général, pèle mêle. » (5) A l’arrivée, le peuple français récolte des dégâts économiques, sociaux et culturels. Programmée, désormais, sur le logiciel idéologique de l’extrême droite, la classe dirigeante multiplie les déclarations qui, espèrent-elle, la sauvera de la débâcle électorale sans se soucier du désastre obscur qui s’annonce au lointain. Et pour cause, leur horizon est le marché libre, sans entrave. Une liberté qui s’épanouit sur l’appauvrissement social et culturel du plus grand nombre. Avec , si besoin est, en guise de réponse aux mécontentements sociaux à venir, la répression.

En résumé, une politique économique et sociale, sous tutelle de la commission de Bruxelles, prolongée par une géo-politique sous contrôle américain et israélien. Sur le plan national, chômage en hausse avec son corollaire, la pauvreté. Une Education Nationale, devenue " la Fabrique des crétins "(6), sinon d’une élite obéissante, prête à toutes les révolutions conservatrices afin de préserver l’Ordre du Capital. Avec dans le cerveau, une calculatrice programmée, pour répondre aux moyens « sans poser la question des finalités » et qui fait de « la gestion de l’outil, sa propre fin. » C’est ainsi que « les choses perdent leurs sens, l’État de droit sa raison d’être et l’homme son chemin. »(7) Quant à la géo-politique, elle se résume en quelques mots : ’’F-16 ou Rafale, drones et Droit de l’Homme’’, l’épée et le goupillon du 21 ° siècle, légitimé par son reflet inversé ’’le Sabre et un Jihad moyenâgeux’’. Une création de la sainte alliance : wahhabisme, impérialisme et sionisme. (8).

Reste le cadre sécuritaire où l’Etat conserve toute sa souveraineté.Si l’argument sécuritaire concernant l’instauration de l’État d’urgence peut à la rigueur se justifier, on ne doit pas, pour autant, s’empêcher de s’interroger sur sa fort probable utilisation dans d’autres domaines, économiques et politiques car « l’expérience montre que les textes votés en période de crise ont tendance à devenir permanents . Les décrets loi adoptés à la veille de la seconde guerre mondiale ont ainsi imprimé durablement leur marque sur la législation française , notamment dans le domaine des étrangers. »(9)

Déjà, le Droit du sol est sur la sellette, sans oublier les restrictions des libertés individuelles et collectives comme le stipule un expert : « l’Etat d’urgence qui a été décrété fait qu’on peut se débarrasser par des mesures administratives de gens sur lesquels les services de police n’ont pas suffisamment d’éléments pour les poursuivre judiciairement. » (10)

Mais comme si cela ne suffisait pas de corseter la République à l’aide de l’État d’urgence et de l’Unité nationale, la voilà accoutrée d’un voile estampillé, Front républicain. Un voile qui masque le mouvement par lequel le Parti socialiste ’’se droitise’’ et la Droite ’’s’extrême-droitise’’.
Constats amers : la ’’lépennisation’’ des esprits a gagné la classe dirigeante.

Vers l’insurrection... de l’idée émancipatrice !

De nouveau, le peuple français est appelé, non pas à choisir mais à s’abstenir de choisir le pire en votant, le cas échéant, pour le moins pire. C’est ce qui s’appelle une posture mortifère. Comme dirait Alain Badiou : « le tandem de Sarkosy et Hollande s’agite encore pour que le théâtre d’ombre du vote pérennise notre stupide consentement au devenir informe et décourageant de ce qui porte le nom de « France » » (11)

Dans ce théâtre d’ombre, les leaders de la gauche non gouvernementale, éblouis par leurs propres images médiatiques sèment l’illusion qu’il suffit de changer la serrure tout en laissant la porte fermée pour que les choses changent. Sans se rendre compte, peut-être, qu’ils participent ainsi à la perpétuation du consensus de l’État en tant que fondé du Pouvoir du Capital.

« Avec des intentions admirables mais mal placées, ils s’attellent avec le plus grand sérieux et la plus grande sensiblerie à cette tâche qui consiste à remédier aux maux qu’ils constatent. Mais leurs remèdes ne guérissent pas la maladie : ils ne font que la prolonger . Mieux : leurs remèdes font partie intégrante de la maladie. » (L’âme humaine, Oscar Wilde)

En effet, la crise majeure, tant hexagonale qu’ internationale, exige une sortie du consensus pour une raison qui relève du bon sens : « on ne règle pas un problème en utilisant le système qui l’a engendré. » (A. Einstein). Et cette sortie du consensus nécessite une idée émancipatrice libérée des contingences électorales... C’est une lutte titanesque. D’où le pessimisme !

Pour conclure, une confession : pour les raisons évoquées ci-dessus, je n’ai voté ni le 6 décembre ni le 13 décembre...

M. El Bachir

(1) http://www.mondialisation.ca/document-declassifie-les-usa-misaient-sur-letat-islamique-des-2012-pour-destabiliser-la-syrie/5452053

( 2)Libération : 3 décembre 2015

(3)http://www.mondialisation.ca/de-la-prison-abu-al-gharib-a-lavenement-de-daech/5409971

(4) Pascal Boniface : Les intellectuels faussaires. Jean-Claude Gawsewitch Editeur : 2011
.
(5) Regis Debray : Modeste contribution aux discours et cérémonies officielles du dixième anniversaire. Maspéro1978

(6) Jean Paul Brighelli : La fabrique du crétin : La mort programmée de l’école Broché– 22 août 2005

(7) Régis Debray :L’erreur de calcul. Le poing sur la table. Les Editions du Cerf 2014.

(8) http://www.legrandsoir.info/wahhabisme-et-sionisme-une-sainte-alliance-contre-l-iran.html

(9) le Monde : 28 novembre 2015.

(10)Monde diplomatique : Expert en treillis. Décembre 2015.

(11 ) Alain Badiou : Sarkosy : Pire que prévu. Les autres prévoir le pire. Nouvelles Editions Lignes.2012