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Finkielkraut à la Sorbonne, ou le Sacre de l’obscurantisme distingué
par Les mots sont importants.
Publie le lundi 1er février 2016 par Les mots sont importants. - Open-Publishing4 commentaires
« Dehors, dehoooooooors ! »
Finkielkraut à la Sorbonne, ou le Sacre de l’obscurantisme distingué
par Souad Betka
31 janvier 2016
Lorsqu’une prestigieuse université (la Sorbonne, à Paris) invite un maître-penseur médiatique devenu académicien, et qu’une doctorante en philosophie de ladite prestigieuse Université s’autorise à l’interpeller sur ses manquements à l’éthique intellectuelle, que pensez-vous qu’il advient ? Un indice : la doctorante est par ailleurs musulmane, et nous en sommes en France, en 2016.
Le Grand Amphithéâtre de La Sorbonne était rempli de têtes bien blanches pour le forum de la philosophie organisé par France-culture. La foule s’était déplacée en grand nombre, mais nulle inquiétude pour Alain Finkielkraut : son public, contrairement à l’équipe de France de football black-black-black qui lui faisait « honte », était à l’image de la France, la vraie. Au programme, un débat prometteur intitulé :
« Qu’est-ce qu’être français ? ».
Voilà que notre philosophe médiatique préféré commence à déballer son bla-bla habituel. Ils applaudissent. Ils applaudissent encore. À chacune de ses interventions, ils applaudissent. Ils applaudissent même lorsque, sur le ton de la confidence, notre invité vedette explique qu’il s’est senti français pour la première fois en 1989, lors de la première affaire du voile à l’école. Notre culture valorise le féminin, se dit-il face à cette altérité radicale. À ce moment je ne peux m’empêcher de penser : quelle magnifique illustration du propos d’Edward Said dans L’Orientalisme : Le Nous ne peut se définir qu’en opposition à l’Autre – le monde musulman en l’occurrence, et la femme musulmane en particulier. La définition de l’altérité précède celle de l’identité, elle en est la condition nécessaire et suffisante. Etre français, c’est ne pas être un « musulman visible ». Être français, c’est être tout ce qu’une femme musulmane n’est pas.
Arrive enfin le temps des questions. Trois ou quatre seulement, parce que Monsieur Finkielkraut a déjà beaucoup parlé, bien plus que ses deux interlocuteurs. On me fait l’honneur de me laisser poser la dernière question. Pour commencer, je souligne qu’il était assez intéressant de constater que notre académicien a défini « l’être-français » par la négative : être français, c’est ne pas être une femme musulmane voilée. Je souligne aussi qu’il met en avant une conception de la féminité très normative, occidentale et blanche. Enfin, je vais à l’essentiel :
« Je voudrais saluer la sagesse des organisateurs parce qu’il est effectivement très judicieux, dans un climat si nauséabond que le climat actuel, d’inviter pour nous parler de ce que signifie être français, une personnalité médiatique islamophobe et raciste. »
L’applaudimètre m’avait déjà indiqué que je ne ferais certainement pas l’unanimité, mais je ne m’attendais pas, pour autant, à un tel lynchage collectif. J’avais ouvert une boîte de Pandore, et sous les huées de la salle, les commentaires et insultes fusaient de tous côtés :
« C’est honteux ! »
« Dehors, Dehoooooooors ! »
« Vous devriez avoir honte ! »
« C’est dommage, vous aviez bien commencé. »
« C’est scandaleux ! ».
Un homme hystérique m’interpelle à nouveau :
« Dehors, Dehoooooooors ! »
Je lui rappelle calmement que je suis doctorante à La Sorbonne et que je suis donc ici chez moi.
Des insultes, de la colère, de la haine et du mépris. Du racisme.
Alain Finkielkraut décide de « quand même » me répondre. Il souligne la haine (imaginée, fantasmée) de mon propos sans rien dire de la violence des réactions que ledit propos a suscitées. Puis, comme tout raciste qui se respecte, il montre patte blanche en jouant la carte de l’ami arabe : il ne peut tout bonnement pas être islamophobe puisque des musulmans (des vrais !) comme Fethi Benslama ont des positions similaires aux siennes. Il aurait tout autant pu dire qu’il ne pouvait pas être raciste puisqu’il aimait le couscous, le thé à la menthe et les pâtisseries orientales.
Au passage, il règle ses différends avec la jeune professeure d’anglais qui l’a brillamment interpellé lors d’une émission télévisée. Ce n’est pas une islamiste, précise-t-il, mais elle a participé à une marche dans laquelle les manifestants criaient « ta race ! » chaque fois que son prénom était mentionné – et bien oui j’ai rigolé, le Finkielkraut peut être drôle. Il ajoute qu’il n’ose même pas imaginer ce que la professeure a pu dire à ses élèves au lendemain des attentats de janvier et de novembre… De la dénonciation de l’islamophobie de Finkie au soutien au terrorisme, il n’y a visiblement qu’un pas.
Cette réponse marque la fin du débat, mais je ne suis pourtant pas au bout de mes surprises. À deux mètres de moi, une sexagénaire indignée s’improvise star du moment et, entourée d’autres sexagénaires, commence une sorte de conférence de presse. Entre deux propos débiles, elle a ce mot magnifique :
« Oui, oui, c’est du terrorisme. »
La boucle est bouclée.
En bonne masochiste que je suis, je reste à ma place pour permettre aux gens de venir m’insulter :
« - C’est honteux, vous l’avez insulté !
– Non, dire d’Alain Finkielkraut qu’il est raciste et islamophobe, c’est...une description !
- Vous avez dit qu’il était nauséabond ! »
Je souris :
« Non Monsieur, j’ai dit que le climat actuel était nauséabond. »
Alors que je m’apprête à partir, une femme m’interpelle pour m’expliquer qu’Alain Finkielkraut n’est pas raciste. Mieux que le Jamel Comedy club, les fans de Finkielkraut :
« Mais quand même, avec Daesh, il est légitime de s’opposer au voile islamique. »
En partant, je lui dis qu’il est affligeant de voir la rapidité avec laquelle elle fait des amalgames, et que dans un forum de philosophie, élever le niveau de la discussion et du débat ne serait pas du luxe.
Cela pourrait n’être qu’une histoire drôle à se raconter entre amis : L’histoire de l’indigène qui avait été huée par les fankielkrauts. Mais c’est un peu plus : une bien triste illlustration, parmi beaucoup d’autres, de la fascisation de la France, et de la libération de la parole islamophobe. Le plus regrettable, sans doute, c’est que nous n’étions pas dans un meeting du Front national : c’est l’Université Paris-Sorbonne qui a donné une plateforme privilégiée au racisme et à l’islamophobie que professe Alain Finkielkraut, et c’est une doctorante de cette même université qui en a fait les frais. Je donnerai donc le mot de la fin à Wiam Berhouma :
« Taisez vous Monsieur Finkielkraut, pour le bien de la France, taisez-vous. »
Mais j’invite aussi les institutions publiques et les grands médias à la responsabilité. Cessez-donc de lui tendre des micros, aidez-nous à le faire taire.
Messages
1. Finkielkraut à la Sorbonne, ou le Sacre de l’obscurantisme distingué, 1er février 2016, 14:13
Si être français c’est se reconnaître dans les principes de 1789... L’islam n’en fait pas partie. En même temps, l’idée selon laquelle il y aurait des "sangs impurs" sent quand même un peu le racisme. Quant à valoriser le féminin, si en France le témoignage d’une femme n’a jamais valu la moitié de celui d’un homme, la femme y a voté dix ans après la Turquie (laïque à l’époque et où le port du voile était interdit).
1. Finkielkraut à la Sorbonne, ou le Sacre de l’obscurantisme distingué, 2 février 2016, 17:44
"L’Islam" serait donc un individu sensé se reconnaître ou non dans les principes de 1789 (lesquels ?) sous peine de "ne pas en faire partie" (de quoi ?) !!!!!
Pouvez vous par ailleurs affirmer que le PS, LR, le FN, se reconnaissent dans ces principes autrement qu’en paroles ?
Vous reconnaissez vous dans le principe élevant la propriété privée au rang de droit naturel et imprescriptible de l’homme ? (En cas de réponse négative, vous "n’en faite pas partie" !!!!!).
2. Finkielkraut à la Sorbonne, ou le Sacre de l’obscurantisme distingué, 2 février 2016, 20:07
déjà le sang impur c’est le sang des prolos prêt au sacrifice coûte que coûte, c’est pas une inversion du rapport à la noblesse, qui reste le sang pur. à la rigueur ca dénote plus un fanatisme quant à la légitimation des idées (quitte à abreuver les sillons, cad leur lieu de travail, celui des paysans) qu’un racisme. Ensuite 1789, il s’est passé d’autre choses depuis et tout le monde sait que évoquer ça c’est justifier la bourgeoisie et son pouvoir, étant donné que le 19eme siecle est passé par là (meme si on l’enseigne pas à l’école, j’entend la continuité des luttes sociales et ses grands événements). Etre français c’est connaitre son histoire et donc assumer la colonisation et reconnaître la néocolonisation, et son héritage dans le débat publique, Finkielkraut est un symptome de conservatisme et de réaction donc de racisme, chercher des grands académiciens du siecle derniers, hormi rare exceptions, vous ne trouverez que des curés et des militaires sans grand talent littéraire, aujourd’hui on appelle ça des putes (sans distinctions de sexe étant donné que l’académie c’est 95% d’hommes blanc) dont le rôle n’est que de légitimer le pouvoir en place. Finkielkraut, Philippe Val ou Fourest sont de cet héritage. Quant à la Turquie laïque d’ataturk, c’est un héritage justement de la revolution francaise certes qui indique une élévation vers les valeurs occidentales par une serie d’interdiction, de ce qui avait un attrait de la féodalité oriental, seulement il n’a pas interdit le hijab et il en est resté à la première vision de la laïcité c’est a dire une vision formelle : une exigence de neutralité POUR les tenants du pouvoir et du rôle des enseignants. Ce qu’on essaye aujourd’hui en France d’étendre à la société entière, de l’exiger comme une culture obligatoire pour tous et qui est le symptome d’une peur civilisationnelle assez nauséabonde.
3. Finkielkraut à la Sorbonne, ou le Sacre de l’obscurantisme distingué, 3 février 2016, 11:30
L’islam n’est pas un individu, c’est une idéologie qui n’était pas celle des révolutionnaires de 89. Ni aucune religion si ce n’est la déesse Raison ou l’Etre Suprême. Il semble évident que le "sang impur" est celui des soldats du "roi de Bohême et de Hongrie" pas celui des soldats de l’an 2 qu’on ne va pas qualifier d’impur ni souhaiter qu’il coule à flots. En principe, les prolétaires n’ont pas de patrie mais se dire allemand implique-t-il d’assumer le nazisme ?
Dans la Turquie kemaliste, le port du voile était interdit de même qu’en Tunisie sous Bourguiba qui n’était pas un ultra gauchiste fou furieux. Je suppose qu’il en était de même en Asie centrale soviétique et en Azerbaïdjan.