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Fouquet est dépassé

par Jérôme Pitriol

Publie le vendredi 19 avril 2013 par Jérôme Pitriol - Open-Publishing

Cessons d’envier l’Ancien Régime, camarade. Et réjouissons-nous, car le nôtre a gagné ses lettres de noblesse. Voici venu le temps de la démocratie absolue. L’élu du peuple est roi. Le représentant du gouvernement a le verbe tout-puissant. C’est que la patience paie toujours. Et aujourd’hui, enfin, notre patience paye à la 5ème République son Nicolas Fouquet.
Fouquet. Quel grand homme ! Il avait l’écureuil pour emblème. Mais, plutôt que de s’abaisser à inventer la caisse d’épargne, il se dédia tout entier aux noisettes du roi. Il les fit fructifier. Non, non, pas en bourse, mais en spéculant dans le patrimoine historique. Il érigea tant de murs, tant de haies, tant de plafonds et de faux plafonds avec les moulures et tout, et ce en temps de crise s’il vous plaît, qu’il fit bientôt de l’ombre au Roi-Soleil (phénomène pour lequel les scientifiques n’ont toujours aucune explication rationnelle).
Mais voilà : le soleil s’est couché depuis ; et la terre en a fait le tour. Et si le temps n’a pu émousser le prestige de ce chêne tricentenaire de la finance, les grands serviteurs visionnaires de la République le foulent au pied comme un vulgaire gland. Ils le ridiculisent. Fouquet s’intéressait à l’esthétique, mais il n’était même pas chirurgien. Il fit appel à Charles Le Brun pour décorer son beau palais, alors qu’il avait les moyens de s’offrir les services de Picasso, qui dans la chapelle eût fait plus rigolo. Fouquet est dépassé. Et, tandis que l’écureuil connut une fin sans panache - rappelons qu’il ne sortit jamais de sa prison (on en poufferait)-, les valets-visionnaires de la chose publique peuvent se dresser et garder le front haut, et, en toute sérénité, porter le regard vers les sommets ensoleillés de l’évasion fiscale.
J. Pitriol