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Haro sur la santé low cost !
par Nathalie Claire
Publie le mercredi 14 octobre 2015 par Nathalie Claire - Open-PublishingL’Etat et les acteurs privés d’assurance mènent une stratégie massive de désengagement et ce au détriment des professionnels de santé. Il est aujourd’hui impératif de briser cette « chaîne d’irresponsabilité » qui a conduit à l’émergence d’un système de santé low cost. Les conséquences pourraient être catastrophiques pour les Français.
Un désengagement massif
En septembre dernier, un rapport rédigé par une des conseillères de la direction de la Caisse nationale d’Assurance maladie et remis à Marisol Tourraine a suscité un tollé chez les professionnels de santé ainsi que les associations de consommateurs. Ce dernier propose une pure et simple remise à plat du système de remboursement des médicaments et un taux unique contre les trois actuellement en vigueur. Si pour l’heure, la mesure n’est pas d’actualité elle ne fait qu’attiser les tensions dans le secteur fragilisé de la santé. En effet, on assiste à un véritable désengagement de la part des pouvoirs publics, notamment s’agissant de l’accès aux soins pour tous. Les Français voient petit à petit la liste de leurs médicaments remboursés par la Sécurité Sociale se réduire comme peau de chagrin à l’instar des patients victimes d’arthrose, première cause d’incapacité fonctionnelle pour les personnes de plus de 40 ans. Depuis le 1er mars dernier, cinq traitements Anti-Arthrosiques Symptomatiques d’Action Lente (AASAL) » à base de glucosamine ne sont plus remboursés. L’Association de lutte antirhumatismale (Aflar) a d’ailleurs tenu « à exprimer son profond désaccord et sa déception suite à cette annonce » à l’heure où 10 millions de personnes sont touchés par l’arthrose soit 17% de la population.
Et les patients ont de quoi être en colère : « lors d’un déremboursement, les ventes chutent de 50 à 80 %. Pour faire face à cette baisse, le fabricant augmente son prix. Comme le médicament n’est plus remboursable, sa TVA passe de 2,1 % à 10 % » explique le professeur Claude Le Pen, économiste à l’université Paris-Dauphine. Dans ce contexte, les pharmaciens ont fait circuler une pétition intitulée « Non au déremboursement des médicaments ». Car si la santé a un prix, n’est-ce pas la mission même de l’Assurance Maladie d’assurer, comme son nom l’indique, les Français face à leurs dépenses de santé ? Ce désengagement est non seulement un désaveu cinglant face aux objectifs confiés, mais également le signe d’une fuite flagrante de l’Etat face à ses responsabilités. On est bien loin de la fameuse égalité, chère au système français. Car ce que fait l’Etat, c’est ni plus ni moins que d’instaurer un système à l’américaine où les plus riches pourront « se payer une santé ». Les plus pauvres eux, devront au choix se contenter de traitements pas toujours adaptés, soit se passer de soins.
Autre facteur d’inquiétude, le déremboursement des équipements de santé tels que les lunettes ou les prothèses auditives ou dentaires. Sur ce terrain, vaut mieux avoir le portemonnaie bien garni car les taux de la Sécurité Sociale sont bien loin de couvrir les frais. A titre d’exemple, exemple pour des prothèses auditives d’environ 1 500 euros chacune, l’Assurance Maladie rembourse autour de 60 euros. Rien de plus glorieux s’agissant des tarifs servant de base au remboursement des lunettes pour les plus de 18 ans (consultables sur le site Ameli) qui sont édifiants : ils varient entre 2.29 euros et 24.54 par verre. On est loin d’une juste répartition des frais de santé. Pas étonnant donc, que de plus en plus de Français renoncent aux soins pour des raisons financières. Les équipements visuels sont d’ailleurs les premiers à être sacrifiés. Dans ce contexte, les espoirs se tournent vers les acteurs privés qui supportent le désengagement de l’Etat sur le dossier de la santé. Ces derniers ont également pour mission de prendre en charge les coûts engendrés par les dépenses de santé au titre d’une assurance privée et individuelle. Force est de constater que les taux de remboursement du secteur privé ne sont pas satisfaisants. Se pose alors une question : qui va payer ? Dans ce contexte, les professionnels de santé comme les opticiens se retrouvent en première ligne face afin de soulager la facture.
Lutter face à l’uberisation du système de santé
Et il y a de quoi sérieusement s’inquiéter à l’heure où le secteur privé de l’assurance santé, se voit confier un rôle structurant dans le fonctionnement de notre système de santé. Certains acteurs n’hésitent plus à imposer leurs normes à l’ensemble d’une filière et ce, au détriment des professionnels de la santé. C’est le cas du nouveau venu Sévéane, un réseau de soin qui a lancé son offre sur le marché. Ainsi, les opticiens désireux de rejoindre Sévéane doivent remplir certaines conditions, ce qui est le fonctionnement classique pour un réseau de soins fermé. Mais parmi les critères, on trouve une curieuse sélection qui s’opère par les tarifs. Et il ne s’agit pas de n’importe quel tarif. En effet, l’offre récompense les tarifs les plus faibles sur le catalogue de verres de Sévéane. Pour être référencé dans le réseau, l’opticien doit proposer des prix bas. Cette logique peut donc se résumer à des enchères inversées : plus l’opticien descend ses prix, plus il est susceptible d’intégrer le réseau. Et comment pratiquer ces prix très bas ? Il s’agit ni plus ni moins que de rogner massivement sur les marges des opticiens. De plus, au jeu des enchères inversées de Sévéane, les efforts des opticiens sont « récompensés » par des points fidélité comme au supermarché du coin. Mais quelle récompense ? Notons au passage, que le site de conventionnement de Sévéane a rencontré de nombreuses difficultés et empêchés la saisie de données. Un premier couac qui n’augure rien de bien convaincant.
Ponctionnant ainsi la marge des opticiens, Sévéane impose également une perte sèche de la qualité pour les Français. Car des opticiens mal rémunérés, ce sont des professionnels moins disponibles pour les patients. Cette baisse de la qualité est d’autant plus préjudiciable que l’opticien n’est pas un simple « vendeur de lunette », mais un professionnel de santé et souvent le plus proche du domicile d’un Français (merci la désertification !). Quant à l’argument de produire des lunettes toujours moins chères en faveur de l’accessibilité aux soins, il est discutable. Cet axe est bien entendu primordial dans notre système de santé. Mais est-ce aux opticiens de payer le désengagement de l’Etat et les dérives des acteurs privés ?
Et il ne faut pas se voiler la face : les opticiens dépendent de logiques économiques comme n’importe quelle petite entreprise de proximité. Les inciter à réduire toujours plus leurs marges, c’est mettre en péril l’économie de la filière optique (pour rappel près de 11 000 emplois directs et 40 000 emplois indirects) dont ils sont des acteurs majeurs. Un coup bas à l’heure où la lunetterie française reprend des couleurs. Aussi, faire peser un « juste coût » sur chaque acteur du parcours de soins permettrait de pérenniser l’économie de la santé et de garantir la qualité des équipements. Par ailleurs, les opticiens sont déjà assez fragilisés notamment au vu du contexte législatif instable et de l’arrivée de la concurrence du e-commerce. Or, depuis quand les bas prix sont-ils devenus la norme et un élément structurant du marché de l’optique ? La logique de Sévéane participe du nivellement par le bas et de l’uberisation de notre système de santé. Ce que certains voudraient bien faire passer pour une évolution naturelle de la société (en creux les opticiens sont ringards voire réacs), cache une réalité toute autre : celle d’une santé low cost et non high-tech. Il serait bien temps de rappeler à ceux qui auraient perdu leur âme en chemin, que le marché de l’optique et plus largement celui de la santé, ne répondent pas à des logiques du tout profit. A chacun, assureurs comme opticiens de prendre ses responsabilités afin d’être à la hauteur des enjeux de santé publique à venir.