Accueil > Histoire d’un gâchis ordinaire ... sur la Côte d’Azur

Histoire d’un gâchis ordinaire ... sur la Côte d’Azur

par RESF 06

Publie le mercredi 23 septembre 2015 par RESF 06 - Open-Publishing
1 commentaire

Une situation parmi trop d’autres, que plusieurs d’entre nous ont vécue, dans notre beau département.

Histoire d’un gâchis ordinaire

JARUK* est arrivé à 13 ans avec ses parents d’un lointain pays en guerre, mais ceux-ci n’ont pas obtenu l’asile, alors Jaruk est devenu Enfant de « Sans Papiers », ESP en abrégé.

Il a tout de même pu continuer à aller à l’école, droit fondamental de notre beau pays, mais ses parents n’ont plus le droit d’être hébergés, ni de percevoir la moindre ressource.

Sa mère, gravement malade suite à des traumatismes de guerre, a tout de même pu accéder à une chambre d’hôtel, mais pas son père ; alors Jaruk s’occupe de sa mère ; il l’aide à s’habiller, se déshabiller, à faire sa toilette ( pas la douche, il a ses limites et sa mère aussi). Il n’aime pas vraiment ça ; d’ordinaire c’est son père qui s’occupe de sa mère mais celui-ci n’a pas le droit de pénétrer dans l’hôtel ; le cerbère de service a des ordres.

Jaruk se lève tôt pour aider sa mère à se préparer, puis il part au collège, sans prendre de petit déjeuner ; ce n’est pas compris dans le contrat et il n’y a même pas une bouilloire ou un micro-ondes dans l’hôtel pour faire une boisson chaude. Il mange froid à tous les repas, quand repas il y a.

Le voilà parti le ventre vide pour rejoindre son collège. Où il va retrouver ses copains et ses profs qu’il affectionne.
C’est un bon élève, attentif, travailleur ; il voudrait devenir infirmier, un rêve de toujours et en a sûrement les capacités

Une lettre arrive, venant des « autorités », qui leur indique qu’il va falloir changer d’hôtel ; le suivant se situe hors de la ville, à environ 20km, pourquoi, nul ne le sait ; la préfecture et la direction de la « cohésion » sociale ou DDCS en ont décidé ainsi.

Bien sûr, aucun moyen de transport n’est prévu pour le déménagement ; les associations sont là pour cela !
Sans aucune explication, si ce n’est « c’est ça ou dehors », Jaruk et sa mère atterrissent dans un F1 de 9 m2, en périphérie d’une petite ville, l’année scolaire bien commencée.

La scolarisation n’étant pas au centre des préoccupations des autorités locales, on les laisse s’organiser en proposant de changer de collège ; nous sommes fin octobre.

Jaruk est dans son collège depuis 1 an ; il y a ses repères, ses amis ; il s’y sent en sécurité et n’a aucune envie de changer d’autant plus qu’il devra encore sûrement déménager.
Il s’accroche et continue d’aller

dans son collège, mais les parents n’ayant pas de documents de séjour régulier, il ne peut accéder à la carte de bus scolaire ; de plus il se trouve hors agglomération. Alors, le père bricole pour les nourrir et payer le bus. Quand il ne peut plus, les associations militantes prennent le relais.

Maintenant Jaruk se lève à 5h, aide sa mère, ne déjeune toujours pas, marche un long moment pour atteindre son bus et arrive enfin à destination.
Arrivé en cours, il a sommeil, un peu faim aussi ; il pense à toutes les difficultés qui s’accumulent devant lui, sa mère malade et isolée dans ses 9 m2, son père dans la rue ou chez l’un chez l’autre et lui, le seul à parler correctement le français (il a vite appris, bien obligé), fait le porte parole et traduit pour sa mère devant les médecins, le kinési, et même la psychologue ! (vrai de vrai, celle-ci, n’ayant pas de traductrice, ne voit pas de problèmes à ce que le fils traduise pour sa mère !)

Les notes commencent à chuter et son attitude à changer ; il devient dissipé a du mal à se concentrer… il reçoit un avertissement et le temps passe…
Il traduit aussi pour les démarches administratives, en préfecture, à la sécurité sociale, à la DDCS pour les soucis d’hébergement.

Les parents et lui-même souhaitent changer d’hôtel et osent demander à se rapprocher de Nice et du collège ; c’est Jaruk qui mène la négociation ; mal lui en prend, la sanction tombe : mutation à 80km de Nice, dans une station de ski de l’arrière pays ! Ils n’en croient pas leurs yeux ni leurs oreilles et pourtant, ordre est donné de déménager dans les 48 h ! Les amis et l’association qui les soutiennent organisent le transfert, bien sûr non prévu par les mêmes autorités.

Nous sommes début novembre, peu avant la saison du ski, et bientôt l’hôtel se remplira de touristes. Le séjour sera bref.

Le gros souci est qu’il n’y a qu’une école primaire dans ce petit village et le premier collège est à 30km ; rien de prévu pour cela, pas de magasin pour s’alimenter, une épicerie pour touristes hors de prix ; rien ne gène la DDCS et la préfecture, « débrouillez vous » est le mot d’ordre. Cette situation dure une dizaine de jours et se termine grâce à la saisine du Défenseur des Droits qui juge ces méthodes contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant, inscrit dans la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, la CIDE signée et ratifiée par la France, ainsi que par une intervention de l’Inspection Académique.

Retour au même hôtel, quitté pour un séjour dans les alpages et 10 jours de déscolarisation, et Jaruk qui tente de s’accrocher et puis décroche peu à peu, fatigué , déprimé ; il ne dort plus, commence à bégayer, devient très nerveux ; il répond mal à ses professeurs, sèche les cours, commence les mauvaise fréquentations et s’enfonce, s’enfonce…Les notes passent de 14-15 à 3-4, les « félicitations » se transforment en avertissements qui se multiplient jusqu’à l’exclusion ; les parents pleurent d’impuissance devant ce gâchis.

Son père pense au suicide ; lui non plus n’en peut plus de sa vie à la rue ; il n’a pas pu dormir avec sa femme depuis bientôt 1 an , la mère va devoir être opérée, elle souffre trop et son état s’aggrave. Durant son hospitalisation, Jaruk sera placé en foyer par l’ASE, pourtant il a des parents aimants et bien traitants ; ce sera encore une autre épreuve, il servira de bouc émissaire et en sortira pour vivre avec son père, à droite à gauche ou dehors.

La mère, sortie de l’hôpital, n’aura plus droit à une chambre d’hôtel mais à l’accueil de nuit, seule.
Devant cette impasse, la famille décidera de partir dans une autre ville, loin d’ici, car impossible de rentrer au pays, où ils risquent leur peau, même si ici, on ne les a pas crus. Ils sont toujours sans papiers, sans ressources, sans toit sur la tête, ils sont sans voix.

Jaruk est détruit ; la violence institutionnelle l’a cassé. Aux dernières nouvelles il était déscolarisé ; il a maintenant 15 ans.

RESF 06
Septembre 2015

*le prénom a été changé
L’intégralité du récit est véridique.

Messages