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ITALIE : L’Europe n’a pas la Berlu

Publie le jeudi 3 juillet 2003 par Open-Publishing

L’Italie prend la présidence de l’Union, et le sulfureux Silvio Berlusconi se retrouve à la tête des Quinze. De quoi inquiéter sérieusement la presse européenne.

"La loi est la même pour
tous". Les députés verts brandissent des pancartes au parlement européen pour accueillir Silvio Berlusconi (AFP)
La presse européenne n’aura même pas attendu le passage de témoin officiel entre Costas Simitis, le Premier ministre de la Grèce, et Silvio Berlusconi pour tirer à boulets rouges sur le président du Conseil italien. "Le parrain, bientôt dans toute l’Europe", titre "Der Spiegel", qui consacre sa une ainsi qu’un imposant dossier au "Cavaliere". "Dans son propre pays, il a démantelé la justice, mis les chaînes de télévision à sa botte et fait voter au Parlement des lois sur mesure. Aujourd’hui il va représenter l’Europe", s’inquiète l’hebdomadaire allemand. Même son de cloche pour le "Handelsblatt", le principal quotidien allemand des milieux d’affaire, qui déplore que "personne à Bruxelles n’ose ouvertement critiquer Silvio Berlusconi. Les chefs de gouvernement de l’Union n’ont pas dit un mot sur les lois par lesquelles il a réussi à tenir la justice à distance. Pas un mot non plus sur la concentration des médias entre ses mains."

A peine moins critique, "The Guardian" se demande si l’on peut réellement faire confiance au nouveau président de l’UE. "La nomination de Silvio Berlusconi soulève plus d’inquiétudes qu’autre chose", souligne le quotidien britannique, "d’autant que l’Europe est aujourd’hui à un tournant de son histoire". L’Italie accède en effet à la présidence de l’Union "alors même que les divisions autour de la guerre en Irak ne sont pas totalement cicatrisées et que les questions portant sur la Constitution et sur l’élargissement doivent être bouclées début 2004".

La rivalité Prodi-Berlusconi

Autre grand quotidien anglais, "The Independent" revient quant à lui sur la rivalité qui oppose Romano Prodi, l’actuel président de la Commission européenne, à Silvio Berlusconi. "On n’a jamais vu deux hommes plus différents", s’amuse le journal britannique. Il rappelle également que lors des élections législatives italiennes de 1996, la coalition menée par Romano Prodi avait battu celle de Silvio Berlusconi, à l’époque président du Conseil. Le "Cavaliere" s’était retrouvé brusquement des lumières du pouvoir au travail obscur de l’opposition.

Le quotidien madrilène "El País" revient également sur la rivalité Prodi- Berlusconi dans son édition du dimanche pour indiquer que "Romano Prodi veut éviter tout conflit pour ne pas porter préjudice à l’Italie ni à l’Union européenne. Il a d’ailleurs promis qu’il travaillerait, les six prochains mois, pour que la présidence italienne soit une grande réussite pour l’Europe."

Plus sombre, le quotidien barcelonais "La Vanguardia" insiste sur l’inadéquation entre la personnalité du chef du gouvernement italien et les sujets à l’ordre du jour de son semestre à la présidence de l’UE, "car ce n’est pas seulement l’image de l’Italie qui est en jeu mais celle de toute l’Union européenne, au moment même ou celle-ci s’apprête à adopter sa Constitution. Le débat actuel pour savoir si le préambule de la future Constitution doit mentionner les origines chrétiennes de l’Europe, l’héritage des Lumières ou celui de l’ère classique montre bien que l’UE cherche à se doter d’un socle moral. Or, les desseins de Silvio Berlusconi, protégé par sa récente immunité, sont tout autres."

L’Italie, pas éligible dans l’UE

Le journal hongrois "Magyar Hírlap" est plus clément pour le "Cavaliere" : "Même un Berlusconi ne pèse pas assez pour gâcher tout ce que l’Europe représente. Les six mois à venir ne suffiront pas pour transplanter ses méthodes et son style dans un organisme reposant sur des bases aussi solides que l’UE. D’autant plus que certains des péchés reprochés au chef du gouvernement italien ont été commis par d’autres dirigeants européens, Jacques Chirac, Helmut Kohl, voire Tony Blair…"

Le quotidien libéral s’inquiète plus du mauvais timing entre l’arrivée de Berlusconi et l’élargissement. "En 2004, l’UE sera rejointe notamment par huit pays d’Europe centrale et orientale, où l’on découvre la démocratie depuis une décennie seulement. La culture politique des élites vient tout droit de l’école du socialisme, quand elle ne remonte pas à l’avant-Seconde Guerre mondiale ! Du coup, ces mêmes élites vouent une véritable admiration à l’empire médiatique de Berlusconi qui ne s’arrête pas aux chaînes commerciales. Prendre conscience que l’UE peut être représentée par quelqu’un qui en conteste sans cesse les principes peut les inciter à faire de même. La vraie tragédie serait qu’aux yeux des nouveaux membres le ’grand italien’devienne un exemple, parce que cela paralyserait vraiment l’UE."

Le quotidien britannique conservateur "The Times" va encore plus loin : il se demande si l’Italie de Berlusconi passerait aujourd’hui le cap de l’adhésion, rappelant que les pays candidats doivent désormais remplir les cinq critères de Copenhague. "Certes, dans le cas italien, on peut parler d’économie de marché, d’élections libres ou de respect des droits de l’homme. Mais pour ce qui est de la liberté de la presse, de l’indépendance de la justice ou de l’existence d’un Etat de droit, rien n’est moins sûr." Un débat sur lequel le journal invite ses lecteurs à se prononcer directement sur son site Internet en répondant à la question suivante : "L’Italie est-elle réellement apte à assurer la présidence de l’Union européenne ?"

Bérangère Cagnat

http://www.courrierinternational.com/actual/aujourdhui_etranger.asp