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"Il fallait prendre la décision scandaleuse de ne pas jouer"

Publie le vendredi 4 juillet 2003 par Open-Publishing

"Il fallait prendre la décision scandaleuse de ne pas jouer"
LE MONDE | 04.07.03 | 15h01
Entetien avec Régine Chopinot, chorégraphe.

Vous êtes une figure incontestée de la danse, à la tête du ballet atlantique, basé à
la rochelle. quelle expérience retirez-vous de montpellier-danse, où vous avez
participé activement à la lutte de soutien aux intermittents ?

Montpellier a été une expérience d’une extraordinaire clarté au niveau de la pensée,
puis de la prise de position. Après deux jours d’observation à essayer de
comprendre, à se situer dans ce tumulte, il fallait d’évidence prendre cette décision
scandaleuse de ne pas jouer. Il fallait que les artistes des petites compagnies, des
grandes compagnies, mais aussi les troupes venues de l’étranger rejoignent les
techniciens qui nous avaient ouvert la voie. Avec ce gouvernement de droite, l’heure
n’est pas aux volontés mitigées. En face de nous à Montpellier, il y avait Jean-Paul
Montanari, directeur du festival de danse, dont la position n’était pas moins claire.
Sans être d’accord avec nous, il nous a laissé prendre nos responsabilités. "Vous
êtes assez grands", a-t-il dit. Jamais il n’a fait valoir l’argument du risque
économique. Pas de bons sentiments ni de morale à quatre sous. Très droit, il nous a
tous réinvités pour l’édition 2004. Personne dans ces conditions ne demande de
cachets, sauf des défraiements minimaux. On sort tous grandis de cette épreuve.

Que pensez-vous des déclarations de Patrice Chéreau et d’Ariane Mnouchkine qui sont
contre l’annulation du Festival d’Avignon, tout en se déclarant solidaires des grèves
 ?

Je ne sais pas si c’est l’engagement physique que demande la danse qui nous donne
plus de courage, mais ces artistes en manquent singulièrement. Ils ont perdu leurs
antennes qui en faisaient des chefs de file. Il n’est plus temps de s’engager en
paroles, il faut mettre ses actes au diapason. Je suis très fière d’appartenir à la
famille des danseurs, dont on sait pourtant qu’elle est la moins bien dotée, et
scandalisée par ceux qui font office de penseurs. Aujourd’hui, la nuance ne peut
exister. Trente ans de nuances, ça suffit. Entre la vie et la mort, on choisit la
vie. Bernard Faivre d’Arcier parle de mettre en place un système pour les plus
défavorisés, sans analyser qu’il ne s’agit là que de Rustine mises les unes sur les
autres. Jean-Pierre Raffarin vient à Poitiers demain pour une garden-party. Notre
collectif, formé d’enseignants, de personnels hospitaliers, d’artistes en colère, ira
lui rendre visite. Il faut arrêter cette droite qui croit avoir tous les pouvoirs,
donc tous les droits.

Sans faire de prophétie, comment voyez-vous la suite des événements ?

Au Festival du film de La Rochelle, la fin de la grève a été votée à l’unanimité,
sauf par un seul réalisateur, qui a donc retiré son film de la compétition. Il a été
purement et simplement remplacé, sans états d’âme. On voit très vite les limites de
la solidarité en paroles. A Avignon, à l’assemblée générale du 7 juillet, il faut que
les artistes décident de prendre le relais des techniciens à l’assemblée générale
pour agir au moment même des représentations. Comme à Montpellier. Mais nous avons
encore du travail à La Rochelle, les Francofolies commencent le 11 juillet.

Au-delà, on voit bien qu’on est à la fin d’un cycle, qu’on vit une sorte de
décomposition, de pourrissement. Le terme de festival n’a plus de sens. Au bout de
cinquante ans, il faut réinventer de nouvelles formes. C’est urgent.

Propos recueillis par Dominique Frétard

ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 05.07.03