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Il n’y a pas de catastrophe purement « naturelle »

Publie le jeudi 6 janvier 2005 par Open-Publishing

de Jacques Fath,

secrétaire de la commission

des relations internationales du PCF.

C’est une catastrophe internationale majeure qui vient de frapper l’Asie du Sud, et jusqu’à l’Afrique. Le nombre de victimes dépassera les 150 000. Sans oublier le million et plus de personnes déplacées, les conséquences sanitaires, les destructions économiques.

On reste saisi par l’ampleur du désastre. L’émotion est à la mesure de l’événement. La solidarité s’organise : « La générosité des contributeurs est phénoménale (...), et c’est la première fois qu’au troisième jour d’une crise on dispose déjà de 220 millions de dollars », déclare Jan Egeland, secrétaire général adjoint de l’ONU, chargé des affaires humanitaires et coordonnateur des secours d’urgence. Il ajoute : « Il s’agit probablement d’une des catastrophes naturelles les plus dévastatrices jamais enregistrées. »

Bien sûr, il y a ce qui relève de l’imparable : le tremblement de terre et les raz de marée. Certaines îles ou portions de territoires se sont déplacés. Des îles pourraient même disparaître. La terre aurait même bougé sur son axe.

Pourtant, on ne pourra jamais plaider la pure et simple fatalité.

Le 8 octobre 2003, à l’occasion de la Journée internationale pour la prévention des catastrophes naturelles, le secrétaire général de l’ONU déclarait : « Les aléas naturels font partie de la vie. Mais ils deviennent des catastrophes quand ils font disparaître des vies humaines et détruisent les moyens d’existence des populations. Or, la vulnérabilité des sociétés est actuellement aggravée par certaines activités humaines qui mènent à une pauvreté accrue, à une forte densité urbaine, à la dégradation de l’environnement et au changement climatique. »

Cette déclaration n’est pas le fruit d’une déduction générale et abstraite mais celui de l’expérience. Un rapport très récent chiffre en effet à 7 100 le nombre de catastrophes, depuis 1994, résultant de causes naturelles dans le monde. Ces catastrophes ont provoqué la mort de 300 000 personnes et des pertes de 800 milliards de dollars. Pour l’essentiel, elles sont le résultat d’inondations, d’orages exceptionnels, d’ouragans, de sécheresses. On sait donc parfaitement que les catastrophes dites naturelles ne sont pas des exceptions mais des réalités récurrentes.

Il y a dix ans déjà, du 23 au 27 mai 1994, à Yokohama une conférence mondiale pour la prévention des catastrophes naturelles, sous l’égide de l’ONU, avait défini « une stratégie et un plan d’action pour un monde plus sûr ». Les États membres de l’ONU s’y étaient engagés à promouvoir une coopération sous-régionale, régionale et internationale pour prévenir et réduire les catastrophes. L’accent avait été mis explicitement sur le renforcement des moyens humains et institutionnels, sur le partage des technologies, la collecte, la diffusion et l’utilisation de l’information, sur la mobilisation des ressources.

La tragédie de l’Asie du Sud montrera certainement à quel point les engagements les plus positifs peuvent rester lettre morte dans un monde structuré par les rapports de puissance, le primat de la guerre et du militaire, l’écrasement dramatique des besoins sociaux par la financiarisation, la liberté de circulation sans rivages des capitaux et par les politiques ultra libérales.

Voilà qui nous donne une raison majeure de réagir avec force. L’émotion ne peut que se doubler d’une indignation qu’il faut exprimer clairement en proposant des options alternatives à cette « société capitaliste du risque ». Comment accepter que l’exigence des moyens de la prévention doive s’effacer devant la fatalité et la contrainte irrépressible du risque, et devant la primauté des modes de gestion désastreux d’un capitalisme mondialisé ? L’enjeu est donc de changer de mode de croissance et de modèle de développement tout en intégrant la prévention du risque comme un des éléments de ce développement.

Il y aura bientôt d’excellentes occasions pour s’exprimer dans ce sens. En particulier lors d’une deuxième conférence mondiale pour la prévention des catastrophes, qui se tiendra à Kobe (Japon) du 18 au 22 janvier 2005. Cette conférence doit réviser la stratégie de Yokohama décidée il y a dix ans, en fixant un cadre pour la prévention des catastrophes au XXIe siècle, et en tenant compte « du nombre et de l’ampleur des catastrophes naturelles survenues ces dernières années » et du fait qu’« elles sont devenues de plus en plus graves ». La conférence de Kobe devra donc constituer un moment décisif de renouvellement des engagements dans un contexte de choc mondial. Il faut que la commotion internationale actuelle serve afin que les engagements pris soient concrètement tenus et que la vigilance des opinions publiques et des forces politiques et sociales agissant pour la solidarité et le changement s’exerce dans la durée.

Cette conférence de Kobe sera d’ailleurs précédée, du 10 au 14 janvier à l’île Maurice, d’une conférence sur les petits États insulaires en développement, autre opportunité pour la réflexion et la mobilisation.

Enfin, Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, a annoncé le lancement d’un appel de fonds le 6 janvier afin de rassembler, précise-t-il, les milliards de dollars nécessaires pour reconstruire les régions touchées. Ne faut-il pas la mise en place d’un fonds mondial spécial, géré par l’ONU, pour la reconstruction de l’Asie du Sud ?

L’ensemble des États membres des Nations unies se devront en tout cas de répondre à l’appel de Kofi Annan, avec une mobilisation des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale...), et dans le respect de la mission de coordinateur principal qui doit appartenir à l’ONU et à ses organisations spécialisées. L’ONU dont le rôle crucial devrait ainsi se voir confirmer, n’en déplaise à George Bush.

C’est avant tout dans le cadre et dans l’esprit des Nations unies, en effet, que l’on pourra le mieux promouvoir une vraie culture de la prévention. Celle-ci doit réduire la vulnérabilité physique, sociale, économique et environnementale en reposant sur les conditions et les moyens d’un développement durable : annulation de la dette des pays touchés ; dons et prêts financiers à taux très bas ; remise en question des plans d’ajustement structurel imposés par le FMI ; augmentation immédiate de l’aide au développement afin d’atteindre rapidement 0,7 % du PIB pour chaque pays concerné ; accélération de la réalisation des objectifs du millénaire (adoptés à l’unanimité des pays de l’ONU en l’an 2000) pour le développement et l’élimination de la pauvreté.

Naturellement, la mise en place d’un système d’alerte rapide couvrant l’Asie et les pays de l’océan Indien s’impose maintenant comme une urgence. Le Japon a déjà proposé d’y contribuer.

Il faut que le malheur qui s’est abattu sur les pays de l’Asie du Sud, et notamment sur des populations figurant parmi les plus pauvres du monde, soit porteur de leçons et surtout de décisions. Cela dépend aussi de nous.

http://www.humanite.fr/journal/2005-01-04/2005-01-04-454107