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Il y a trente ans, Seamus Ruddy, militant irlandais, disparaissait en France.
par Dominique Foulon
Publie le vendredi 8 mai 2015 par Dominique Foulon - Open-PublishingIl y a trente ans, Seamus Ruddy, militant irlandais, disparaissait en France.
Le silence a assez duré
Seamus Ruddy, militant républicain socialiste irlandais qui vivait à Paris depuis décembre 1983, disparut le 8 mai 1985.
Au fil du temps, dans les mois qui suivirent, les circonstances de cette disparition furent connues. Seamus Ruddy fut attiré pour avoir une discussion avec des membres de l’INLA, puis enlevé, torturé, abattu, et enfin enterré nu dans la forêt de Bord en Normandie, lieu de son supplice.
Cette histoire ne se comprend que dans le contexte nord-irlandais d’alors.
L’embrasement des 6 comtés d’Irlande du Nord à partir de l’été 1969, puis la longue période de lutte armée qui s’en suivit, fut le produit d’une politique britannique aussi absurde que criminelle.
A coté de l’Armée Républicaine irlandaise se créa, à partir de 1974, l‘Armée Irlandaise de Libération Nationale (INLA) qui se voulait « l’aile gauche » de la lutte indépendantiste.
Seamus Ruddy, qui s’était engagé pour la lutte des droits civiques à Newry en Irlande du Nord où il vivait, rejoignit plus tard le Parti Socialiste Républicain Irlandais, dont l’INLA était la branche armée.
Cette organisation, encore modeste, organisa en 1979, au sein même du parlement britannique à Londres, l’attentat qui coûta la vie à Airey Neave, l’homme politique qui mit Margaret Thatcher sur les rails du pouvoir et partisan d’une ligne intransigeante dans le conflit irlandais. Au cours des années suivantes, les services spéciaux éliminèrent la plupart des responsables de l’organisation, créant ainsi les conditions d’une désorganisation qui devait perdurer. Durant les grèves de la faim des prisonniers pour revendiquer le statut politique en 1980/81 au cours desquelles trois militants de l’INLA périrent, Seamus Ruddy joua alors un rôle important comme organisateur et assura la liaison entre les grévistes et leurs familles. Puis, sous les coups de boutoir de la répression, l’organisation commença à se désagréger. La proximité de certains membres de l’INLA dans le mitraillage de l’église protestante à Darkley, dans le comté Armagh, causant la mort de trois personnes en novembre 1983, marqua le tournant vers une dérive politique qui ne fit que s’accentuer. A la faveur de l’emprisonnement d’un certain nombre de militants, une faction tenta de contrôler par la force l’organisation militaire. Pour s’assurer la maîtrise de l’armement, certains vinrent en France pour obtenir des contacts que Seamus Ruddy pouvait avoir. En effet, après avoir été arrêté en Grèce en 1979 avec des armes en provenance du Moyen-Orient, il était considéré comme disposant de connaissances précieuses dans ce domaine.
Selon plusieurs ouvrages et enquêtes journalistiques, John O’Reilly de Belfast et un de ses acolytes, Peter Stewart, seraient venus en France pour mettre la main sur ces réseaux d’approvisionnement. Ce même O’Reilly qui avec Sean Hugues, un autre membre de sa fraction, tabassèrent un militant réfugié en France et qui avait démissionné au regard de « l’évolution » de l’organisation. Intimidation et violence étaient le lot pour les dissidents afin de les neutraliser. Un avant-goût du meurtre qui devait se perpétrer.
John O’Reilly sera ensuite abattu, le 20 janvier 1987, avec d’autres membres de son groupe à Drogheda,, en Irlande, par une faction rivale. Peter Stewart mourut de maladie quelques années plus tard. Sean Hugues, arrêté en France pour trafic d’armes, fut expulsé vers l’Afrique.
Toutes les tentatives faites par la famille de Seamus et sa compagne se sont heurtées d’abord au silence, puis aux menaces.
A partir de 1994 la question des « disparus » du conflit nord-irlandais prit de l’ampleur. Les familles réclamaient les corps des disparus. Aujourd’hui, il reste six cas non élucidés, dont celui de Seamus Ruddy.
Il est plus que probable que ces gens ont reçu à l’époque l’aide et le soutien de militants français croyant probablement agir pour la cause de la libération de l’Irlande voire pour l’instauration d’un régime socialiste démocratique. C’est la conviction de plusieurs protagonistes de l’affaire. Ces anciens militants français ont la clef pour mettre un terme final à cette disparition. Trente ans après les faits, plus rien ne justifie ce silence.
Pour les amis irlandais de Seamus, la mort de John O’Reilly soldait l’affaire. Plus aucune poursuite judiciaire n’est possible maintenant après tant de temps. Le processus de paix enclenché en Irlande depuis vingt ans, s’il n’a pas résolu tous les problèmes, a permis de démilitariser la politique.
Nous, qui avons durant de longues années milité pour la reconnaissance de la légitimité de la cause irlandaise en France, ne pouvons tolérer que ce silence perdure encore.
Ni la lutte républicaine irlandaise, ni à fortiori celle pour le « socialisme » n’ont quoi que ce soit à gagner dans cette iniquité.
Pour les proches de Seamus Ruddy, mais aussi pour l’idéal de justice et de démocratie qui était le sien, le silence qui entoure sa disparition doit cesser, sa dépouille doit être retrouvée.
Dominique Foulon
Ex rédacteur à Irlande Libre et Solidarité Irlande
Auteur de Pour Dieu et l’Ulster Terres de brumes 1997
http://www.seamusruddy.com/Seamus_Ruddy.html