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Intervention du Sénateur Jack Ralite /Budget de la Culture 2011

Publie le vendredi 3 décembre 2010 par Open-Publishing

Sénat - 2 Décembre 2011 - Budget de la Culture
Jack Ralite, Sénateur de la Seine-Saint-Denis

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues

La culture a une petite présence dans le débat budgétaire du Sénat. 1 h 25 pour l’imaginaire, la pensée, la création est une impolitesse.
J’ai participé le 18 novembre à Saint-Etienne au 50e anniversaire de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture et le 21 novembre, à Aubervilliers, au 20e anniversaire de « Pour éveiller les regards », rencontre concernant l’enfance et le cinéma. Dans les deux cas, beaucoup d’inquiétudes, exemples à l’appui, sur les financements nationaux et locaux de la culture, ces derniers agressés par la Réforme des collectivités territoriales.

Vous le savez, Monsieur le ministre. D’où l’importance que vous avez attachée, le 29 septembre, à la présentation de votre budget de la culture 2011 et son augmentation de 1%. J’ai lu et relu ce budget et n’arrive pas à valider cette hausse.

D’abord, il a connu une métamorphose. La mission « Médias et industries culturelles » accueille désormais les crédits « livres et industries culturelles » précédemment affectés à la mission « Culture », qui n’a plus le même périmètre. A périmètre constant, le 1% est ramené à 0,67%.

Ensuite, le budget contient les charges de pension des personnels qui connaissent un bond important, +7,06% en un an. Au passage, votre dossier de presse ne fait plus la différence habituelle entre le budget culture avec et hors personnel. Si l’on neutralise cette augmentation, il faut retrancher 11,75 millions à vos chiffres. Les 0,67% deviennent 0,29%.

Et comment ne pas tenir compte de l’inflation, estimée à 1,6% ? On ne peut parler, quel que soit le chiffre retenu, votre 1%, ou 0,67%, voire 0,29%, de moyens en hausse pour la culture !

Il y a plus fort. Pour le Centre des monuments nationaux, page 55 du Bleu budgétaire 2011, on lit : « Le CMN bénéficiera d’une ressource supplémentaire tirée du produit de la taxe sur les jeux en ligne et plafonnée à 10 millions d’euros par an. » Mais il faut lire le Bleu budgétaire 2010, page 60, pour comprendre que ce n’est pas du plus : en 2010, la subvention d’investissement du CMN était de 24,5 millions en crédits de paiement. Dans le Bleu budgétaire 2011, page 55, il y a seulement 15 millions de crédits de paiement. Il manque 9,5 millions, annulant les 10 millions supplémentaires ! Ainsi, pour ne pas y voir que du bleu, il nous a fallu deux bleus… avouez que vous nous avez un peu pris pour des bleus.

En octobre, lors d’une audition au Sénat, votre directeur de cabinet disait : « Le CMN est promis à un bel avenir »…

Il n’y a pas que lui. Ce projet de budget prévoit, RGPP exige, 93 nouvelles suppressions d’emplois pour le ministère de la Culture sur le seul budget de l’Etat. Les établissements sous tutelle de la culture constituant, à peu de choses près, l’autre moitié des emplois du ministère, il faut s’attendre, RGPP oblige, au doublement de suppressions de postes, environ 200.

En outre, s’applique à de gros opérateurs la diminution de 5% des crédits de fonctionnement voulue par le Gouvernement, charge à eux de compenser par des ressources propres ou privées. Ce n’est pas l’autorisation du ministère de limiter cette mesure à 7 établissements, comme Le Louvre et le Centre Pompidou, qui nous console.

Enfin, vous savez les difficultés financières et budgétaires de l’Archéologie préventive et de l’INRAP. Les personnels permanents et précaires les subissent. Le Gouvernement va-t-il réduire les effectifs au détriment des missions de l’Archéologie préventive ?

Le Rapport Jouyet-Lévy, amalgamant l’homme et le capital, est devenu sans le dire la feuille de route gouvernementale.
Voilà le problème du carburant de la culture. Mais il serait incompréhensible d’ignorer le contenu de la politique culturelle, en tout cas l’aspect que vous mettez en avant : « La culture pour chacun. » Vous avez dit en clôture du Forum d’Avignon (5 et 6 novembre) : « La réflexion sur la culture pour chacun n’est pas une substitution d’une politique de l’offre et de la création par une politique de la demande et de la diffusion. » C’est en contradiction avec la lettre de mission de Monsieur Sarkozy du 1er août 2007 à la ministre de la Culture, recommandant de « veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public ». Qui assure cette offre épousant la demande ?

Essentiellement les industries culturelles, dominantes au Forum d’Avignon, « véritable Davos de la culture ». Les artistes sont plus nuancés. Aragon : « J’imagine mal un écrivain qui écrirait pour ne pas être lu. » Stefan Hermlin, écrivain de République démocratique allemande, racontait que dans Le Manifeste communiste, il avait toute sa vie substitué inconsciemment à l’expression « Le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous » son contraire : « Le libre développement de tous est la condition du libre développement de chacun. » Jean Vilar, en juin 1970, évoquant des murmures dans la société : « Débrouille-toi, compagnon. On t’a appris à lire, à écrire et même à calculer. Tu as désormais un métier. Pars, compagnon. Va, chemineau, chemine. A toi de jouer », concluait : « Non, il ne se débrouillera pas. »
« La culture pour chacun » réclame des conditions :

1°) Un respect et la liberté des artistes.

2°) Des moyens garantis sur la durée.

3°) Une éducation artistique à l’école. Où en est-on ?

4°) Des conditions de travail ne rendant plus malade le travail comme aujourd’hui, où il mutile les travailleurs, du précaire au cadre, au point de leur interdire un partage dans le temps dit libre avec les créations artistiques.

Le 8 décembre, la fille d’Albert Camus présentera un livre, Albert Camus, solitaire et solidaire. Ces mots approchent finement « La culture pour chacun. » Mais n’oubliez pas que vous n’aurez pas d’alliés dans les industries culturelles, qui pratiquent le fatalisme technologique torsadé avec le fatalisme du marché, le tout béni par « l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le coffre-fort » qui cherchent avant tout le client.

Si les Rencontres de l’Adami à Cabourg les 25 et 26 novembre furent un régal de « disputes » pluralistes, notamment sur l’Europe et la création, pas d’uniformité, les contradictions vécues à plein, sans clivage matriçant le débat, il reste qu’une question a hanté l’auditoire : pourquoi se multiplient les accords bilatéraux pilotés par le commerce quand une partie du sujet est la culture ? Que fait le Commissaire français Michel Barnier ? Le commerce « fait rage, il touche à tout (…), ne pouvant créer, il décrète (…) ce qui sonne, ce qui brille », dirait Victor Hugo.

On vit en France un semblable envahissement du commerce, qui vous a fait réagir. Hachette Livre signe un accord partiel avec Google, dont Le Monde écrit qu’il a créé « stupeurs et tremblements », tant il y a crainte que le travail conjoint et si discret des éditeurs et du ministère (où sont les auteurs ?) s’en trouve ébréché. Et pourtant, c’est l’incontournable numérisation et son « petit grand » emprunt, si silencieux, dont il s’agit. Mais saluons la signature hier d’une convention de partenariat sur la numérisation entre le Sénat et la Bibliothèque nationale de France.

Je finirai en évoquant des manifestations artistiques sur Jean-Louis Barrault, Aragon et Elsa Triolet, Michel Guy, et Mondrian. Vous y étiez, Monsieur le ministre, moi aussi. J’y ai vibré, vous aussi, m’a-t-il semblé. Sont-elles certaines, et d’autres aussi, de pouvoir continuer leur déchiffrage vers le haut avec le budget 2011 et ses suivants, planifiés par un chiffrage vers le bas ?

D’autant que le président de la République pratique l’intimidation en culture :

 depuis 2009, il s’est transformé en directeur de la télévision publique, avec le triste résultat d’aujourd’hui, sa fragilité extrême.
 il y a quelques mois, il a endossé l’habit d’historien pour imposer un Musée de l’Histoire de France au détriment des Archives nationales, créant la contestation de la majorité des historiens.
 il y a un mois, il s’est imposé conservateur de musée pour utiliser 297 manuscrits coréens comme favorisant un traité d’affaires.
J’ai envie de pousser un cri de dignité en faveur des professionnels de la culture : « Laissez-les travailler ! »

Je pense à l’un d’eux, Alain Crombecque, inoubliable disparu qui traquait l’immobile. Par son travail silencieux, il permettait à ses destinataires-interlocuteurs de se trouver parfois « une tête au-dessus d’eux-mêmes ».