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Irom Sharmila Chanu : la fin d’une anorexie sublime
par Himalove
Publie le mardi 9 août 2016 par Himalove - Open-Publishing2 commentaires
Dans un pays improbable, le Manipur, à la frontière du Myanmar, est née une étrange légende, celle d’Irom Sharmila Chanu, la femme qui, depuis seize ans, refuse de manger...
La longueur du satyagraha et la volonté de New Delhi de ne pas ébruiter l’affaire ont fait de cette femme un mythe qui – il y a quelques années – a été pressentie pour un prix Nobel de la paix.
Difficile de savoir étant donné le silence des médecins et infirmiers indiens qui la maintiennent en vie la réalité exacte de cette grève de la faim et de la soif car les journalistes, même les plus critiques comme ceux du magazine “Tehelka” *, participent à construire le mythe.
Un portrait, repris par les pages de Face Book, la présente, alitée, le visage rejeté en arrière comme boxé après un dur combat, les lèvres sèches, tuméfiées, les narines dilatées par une sonde, des cheveux frisés noirs, adossée à un mur couvert de photos découpés, dans les journaux.
En république populaire de Chine, cette dissidente de 44 ans serait internée à vie, sous un faux nom, dans un cabanon, étiquetée “anorexique à tendance suicidaire”.
En revanche, en Inde, dans un état fédéral régi pourtant par la loi martiale, “ce papillon de chair et de sang, enveloppé dans un drap sale” est vénéré voire protégé.
En associant sa grève de la faim à l’abrogation d’un dispositif militaire né sous le Raj britannique, The Armed Forces Special Powers Act (AFSPA), Irom Sharmila est devenue, pour tous les démocrates du sous-continent, la grande âme, celle qui ne doit pas mourir.
Bien qu’enfermée dans une chambre d’hôpital d’Imphal (capitale du Manipur) et sous bonne garde, la lumière filtre sous la porte et on peut entendre sa voix, rapportée par de rares journalistes : “ I am normal. I am not inflicting anything to my body. It’s not a punishment. It is my bounden duty”.
Il fallut qu’elle patiente de longues années et arrache mille fois les liens qui la maintiennent au Monde avant que cette souffrance ne soit racontée....
C’était le 2 novembre de l’an 2000, un jour avant les combattants pour la liberté avaient attaqué un convoi de fusillers assamais. La soldatesque, par représailles, assassinait aussitôt 10 civils qui attendaient un bus à Malom.
Les quotidiens du jour exposaient les photos de Leisangbam Ibetomi, une femme de 62 ans, et celle de Sinam Chandramani, un jeune de 18 ans, criblés de balles.
Le 4 novembre, Irom Sharmila, âgée de 28 ans, commençait un jeûne afin d’obtenir l’abolition d’un dispositif militaire qui permet à tout représentant de l’ordre de tuer et de maltraiter les civils.
Internée et inculpée parce qu’elle tente de se suicider, Irom est menottée à un lit d’hôpital et nourrie de force.
Pendant six ans, isolée, elle bataille avec le personnel soignant et arrache dés qu’elle le peut les sondes et drains qui l’alimentent...
Comment cette femme a-t-elle pu échapper aux camisoles chimiques, détruisant la volonté, et que connaissent parfaitement les médecins indiens ?
Par quel miracle, un corps humain peut-il rester sans presque rien manger ni boire pendant seize ans et articuler encore un discours politique ?
Ce qui est certain, c’est que l’Antigone du Manipur n’a guère fléchi et n’a pas été tuée par l’Etat indien.
Le satyagraha offre une pause dans les rapports de force, une possibilité d’échange entre l’intouchable et le bramine qui ne remet pas en cause fondamentalement la structure des castes et le terrorisme d’état car il faut la mortification volontaire du “dalit” pour que le bramine s’agenouille.
Les modalités du combat mené pour l’abolition du Armed Forces Special Powers Act (AFSPA), choisies par cette citoyenne indienne, s’inscrivent dans la tradition de la désobéissance civile, inaugurée par le père de la nation, le mahatma Gandhi.
A bien des égards, Irom Sharmila dépasse son mentor ; les jeûnes du mahatma d’une longueur qui n’excédaient pas un mois paraissent des caprices de star comparées à la détermination et l’opiniâtreté de Irom Sharmila Chanu.
Etant donné l’extrême brutalité des rapports sociaux en Inde, il est douteux que le corps martyrisé d’Irom fasse pleurer davantage...
On assiste de plus en plus, sous Narendra Modi, conséquence du recours systématique à la répression envers toute dissidence, à une érosion de cette tradition.
Le 9 août 2016, la Dame de fer du Manipur arrêtait son jeûne pour entrer en politique et se marier.
HIMALOVE
*Lire l’article de Shoma Chaudury “Irom and the iron in India’s soul”.
Messages
1. Irom Sharmila Chanu : la fin d’une anorexie sublime, 9 août 2016, 11:12, par Himalove
J’avais écrit il y a quelques années un article sur le Manipur, état fédéral du nord est de l’Inde, sous loi martiale depuis 1980.
http://www.mai68.org/ag/742.htm
2. Irom Sharmila Chanu : la fin d’une anorexie sublime, 9 août 2016, 14:22, par Agnès
Narendra Modi, le sinistre premier ministre du Gujarat qui laissa massacrer plus des milliers de musulmans en 2002......
Et il est devenu 1er ministre du pays ! La droite extrême gagne du terrain dans le monde entier.
Les indiens ont raison, nous sommes bien dans Kali Yuga, l’âge sombre.