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Justice à géométrie variable

Publie le lundi 23 juin 2003 par Open-Publishing

La portée de la loi belge de compétence universelle est réduite

Le gouvernement belge a décidé, samedi 21 juin, de procéder à une nouvelle modification de sa loi de compétence universelle, une disposition originale qui permet aux tribunaux de juger des crimes de guerre, de génocide et contre l’humanité, quels que soient la nationalité de leur auteur et le lieu où ils ont été commis. Exposées à de nombreuses critiques, notamment américaines et israéliennes, les autorités belges ont décidé de restreindre considérablement la portée de ce texte et d’exclure désormais les pays démocratiques de son champ d’application.
Le nouveau projet évoque un "critère de rattachement" avec la Belgique : la loi ne s’appliquera plus que si l’auteur présumé des faits est belge, ou si la victime est belge, ou si elle vit depuis trois ans au moins dans le royaume. Les tribunaux ne pourront plus s’occuper de faits dont l’auteur est issu d’un pays démocratique garantissant la tenue d’un "procès équitable". La loi intégrera aussi les règles d’immunité retenues par le droit international pour les dirigeants politiques et les responsables militaires. Enfin, l’équipe du premier ministre, Guy Verhofstadt, revient sur une disposition qu’elle avait adoptée en avril en renonçant au "filtrage politique" des plaintes.
Dorénavant, le gouvernement ne devrait plus interférer dans la procédure. C’est un haut magistrat, le premier président de la cour d’appel, qui décidera "souverainement et en dernier ressort" si une plainte peut être enregistrée ou non. Selon l’avant- dernière version du texte, c’est le conseil des ministres qui pouvait décider de renvoyer la plainte vers le pays d’origine.
Engagés dans des négociations pour la formation d’un nouveau gouvernement, les partis libéraux et socialistes, flamands et francophones, ont dû s’occuper en priorité du dossier de la compétence universelle. Washington avait, en effet, menacé la Belgique de ne pas financer la construction du nouveau siège de l’OTAN, dans la banlieue de Bruxelles. Le 13 mai, Donald Rumsfeld, le secrétaire américain à la défense, s’était, en effet, demandé si la Belgique pouvait "continuer à assumer son rôle d’hôte" alors que son arsenal législatif permettait, notamment, de traduire en justice des responsables américains. Deux plaintes avaient été déposées contre plusieurs personnalités pour leur implication dans les guerres en Irak, en 1991 et 2003.
Le renvoi de ces dossiers vers la justice américaine n’avait pas calmé certains faucons de l’administration Bush, d’autant que, la semaine dernière, trois nouvelles actions étaient intentées contre George Bush, Tony Blair et d’autres dirigeants impliqués dans la récente invasion de l’Irak. Philippe Reeker, le porte-parole adjoint du département d’Etat avait, du coup, plaidé sans ménagement pour l’abandon d’"une loi qui ne marche pas".
La situation s’est compliquée un peu plus quand un responsable belge de haut niveau a, lui aussi, pour la première fois, été l’objet d’une plainte. Louis Michel, le ministre des affaires étrangères, a été incriminé par la Nouvelle alliance flamande (NVA), un petit parti nationaliste, pour avoir autorisé, en 2002, la vente d’armes au régime népalais, engagé dans une lutte contre une guérilla maoïste. Farouche défenseur de la loi, M. Michel devait concéder qu’elle pouvait conduire à des abus.
Il convenait donc, selon M. Michel, de procéder à un "ciblage" qui préserverait une disposition juridique qui a "toute sa raison d’être". M. Verhofstadt a estimé, dimanche, que ce travail avait été accompli et que les adaptations intervenues n’avaient pas été décidées sous la pression. Ce n’est pas l’avis de certains observateurs belges ou d’organisations non gouvernementales.
Selon Reef Brody, un responsable de Human Rights Watch cité par l’AFP, le gouvernement belge a agi "sous l’effet d’une pression irrationnelle du gouvernement des Etats-Unis" et "renié -ses- principes fondamentaux". Evoquant l’instauration d’"une politique des deux poids, deux mesures", M. Brody critique la distinction qui sera opérée entre Etats "démocratiques" et "non démocratiques", soulignant qu’"Israël est une démocratie" mais que les victimes de Sabra et Chatila "n’y ont pas pour autant trouvé justice".