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L’Europe aux périls de l’Euro
par J.SAPIR
Publie le dimanche 12 juillet 2015 par J.SAPIR - Open-Publishing5 commentaires
La crise grecque est devenue désormais une crise de l’Union européenne. Quelle que soit son issue, les fondements mêmes de l’UE ont été durablement ébranlés. La prolongation de la réunion de l’Eurogroupe, censée se terminer samedi 11 juillet et qui a été étendu au dimanche 12, l’annulation du sommet européen des chefs d’Etats et de Gouvernements, sont des signes évidents de l’ampleur et de la profondeur de cette crise. Elle n’aura probablement pas de vainqueur, à moins que l’on en passe par les conditions posées par l’Allemagne, mais les vaincus seront nombreux. Et, au premier plan, les fanatiques de la construction européenne, les talibans de l’Euro. Car, la cause réelle, la cause évidente, de cette crise ce n’est pas le problème de l’endettement de la Grèce, mais c’est le fonctionnement de la zone Euro, qui dresse les peuples les uns contre les autres et qui ranime les pires des souvenirs de l’histoire européenne. Si l’Union européenne et l’Europe sont deux choses différentes, aujourd’hui, ce qui se joue à Bruxelles n’est plus seulement la Grèce ou l’Euro, c’est l’avenir de l’Europe et l’existence même de l’Union européenne.
La responsabilité de l’Euro
Il est désormais évident pour l’ensemble des observateurs que la cause profonde de cette crise est à chercher dans le fonctionnement de la zone Euro. On l’a déjà écrit à de multiples reprises dans ce carnet. Le projet de création d’une monnaie unique, sans assurer dans le même temps les conditions tant économiques qu’institutionnelles de la viabilité de cette monnaie, ne pouvait qu’entraîner un désastre. Il fallait se résoudre à une « union de transfert ». On ne l’a jamais fait. Si, dans des pays fédéraux comme l’Inde, l’Allemagne ou les Etats-Unis une même monnaie fonctionne en dépit des divergences parfois extrêmes qui existent entre les territoires composant ces pays c’est avant tout parce qu’existent des flux de transfert importants. Ceci n’a pu être mis en place au sein de la zone Euro, en raison de l’opposition de nombreux pays mais, par dessus tout, en raison de l’opposition totale de l’Allemagne.
Beaucoup de ceux qui écrivent en faveur de l’Euro se lamentent alors sur ce qu’ils appellent « l’égoïsme allemand »[1]. Ils ne prennent jamais la peine de chercher à mesurer ce que coûterait à l’Allemagne le financement de ces flux de transfert. Le calcul a été présenté dans ce carnet[2]. Il se montait alors autour de 260 milliards d’euros par an, sur une période de dix ans, et ce uniquement pour aider les 4 pays du « Sud » de la zone que sont l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce. Sur cette somme, on peut penser qu’environ 85% à 90% serait fourni par l’Allemagne. On aboutit alors à un prélèvement sur la richesse produite en Allemagne compris entre 8% et 9% du PIB. Une autre source estimait même ce prélèvement à 12%[3]. Il est clair qu’imposer un tel prélèvement à l’Allemagne détruirait son économie. La question donc n’est pas que l’Allemagne ne veuille pas (ce qui est un autre problème) mais avant tout qu’elle ne peut pas supporter de tels prélèvements.
Confrontés à l’impossibilité de mettre en place une union de transfert, les gouvernement de la zone Euro ont cru trouver leur salut dans une combinaison de cures d’austérité dont les effets récessifs ont fragilisé les économies européennes, et de politique monétaire relativement expansionniste, telle qu’elle a été menée par la Banque Centrale Européenne. Mais, cette politique monétaire, si elle a permis de faire baisser les taux d’intérêts n’a pas résolu le problème. C’est comme de vouloir soigner une pneumonie avec de l’aspirine. L’aspirine fait un effet bénéfique en permettant à la fièvre de baisser, ce que fit la politique de la BCE à partir de septembre 2012, mais elle ne soigne pas.
Dès lors, l’Euro a entraîné les économies des pays membres de la zone dans une logique de divergence de plus en plus forte. Cette logique a conduit à des plans d’austérité de plus en plus violent, qui exaspèrent les populations et qui dressent celles des pays ayant moins de problèmes contre celles des pays souffrant le plus. Loin d’être un facteur d’unité et de solidarité, l’Euro entraîne le déchaînement des égoïsmes des uns et des autres et la montée des tensions politiques au sein de l’Union européenne. L’Euro, de par son existence même est bien la source de la crise dont les péripéties bruxelloises de cette fin-de-semaine sont l’illustration.
La responsabilité des politiques
Si la responsabilité première de cette crise incombe à l’Euro, et au système institutionnel que l’on a construit pour le faire perdurer, cela ne vaut pas non-lieu pour le personnel politique. Au contraire ; leur comportement a tendu à exacerber cette crise en provoquant une perte massive de confiance des peuples de l’Union européenne dans cette dite union.
Il est de bon ton de se déchaîner à présent contre Mme Merkel et M. Schäuble. Leur responsabilité est immédiatement engagée. Le plan présenté par M. Schäuble ce samedi 11 juin, et qui prévoit soit l’expulsion de la Grèce soit la mise en gage d’une partie du patrimoine industriel de ce pays, est parfaitement scandaleux. Ces deux dirigeants se comportent comme des petites frappes cherchant à terroriser le quartier. Mais, il faut ici dire qu’ils ne sont sans doute pas les pires. De plus, il faut reconnaître à M. Schäuble une certaine cohérence dans sa position.
Parmi ceux dont les responsabilités sont certainement plus importantes il faut citer le président de l’Eurogroupe, M. Dijsselbloem. Ce triste personnage a ainsi exercé des menaces et un véritable chantage sur le ministre grec des finances, M. Yanis Varoufakis. Ce dernier l’a décrit de manière très explicite[4]. Il montre que ces détestables pratiques ne sont pas le produit de la crise (ce qui sans les justifier le moins du moins du monde pourrait les expliquer) mais ont commencé dès les premières réunions datant du mois de février 2015. Ces pratiques, ainsi que celles de M. Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission européenne, témoignent d’un esprit profondément anti-démocratique qui règne dans les instances de l’Union européenne. Les pratiques de ces dirigeants, et avant eux de personnes comme M. Barroso, ont largement contribué à la perte de crédibilité des peuples dans ces institutions. En novembre 2012, un sondage réalisé sur l’ensemble des pays européens montrait que le pourcentage de personnes disant ne pas faire confiance dans l’Union européenne était de 42% en Pologne, de 53% en Italie, de 56% en France, de 59% en Allemagne et de 72% en Espagne[5].
Mais, les bons apôtres de la construction européenne, comme M. François Hollande, ne peuvent – eux non plus – espérer sortir indemne de cette crise. Leur responsabilité est en réalité tout autant engagée que celle des autres politiciens. Si M. Hollande avait été fidèle à ses engagements de la campane présidentielle du printemps 2012, il aurait affronté immédiatement et directement la chancelière allemande. Au lieu de cela, il a accepté d’entrer dans la logique austéritaire qu’elle proposait et il a cédé, en tout ou partie, à ce qu’elle exigeait. Il est alors logique que Mme Merkel se soit sentie confortée dans ses choix et les ait poussés jusqu’au bout de leur absurde et funeste logique concernant la Grèce. M. Hollande cherche depuis quelques jours à faire entendre une musique différente. Mais, il n’est que trop visible que l’homme est déjà en campagne pour sa réélection. Sur le fond, il est un bon représentant de ces fanatiques de la construction européenne, de ces « eurobéats », dont l’attitude va aboutir à faire éclater l’Union européenne.
Il faut agir
Au point où nous sommes dans cette crise, il faut prendre ses responsabilités. Ce qui est en jeu n’est pas seulement le sort de 11 millions de personnes, ce qui est déjà beaucoup. C’est en réalité le sort des 510 millions d’habitants de l’Union européenne qui est aujourd’hui jeté dans la balance. Derrière le sort de la Grèce, que l’on laisse seule pour gérer un flux de réfugiés de 1000 personnes/jour, c’est la réalité de l’Union européenne qui est en jeu.
Il faut aujourd’hui admettre que l’Euro n’est pas viable dans le cadre actuel, et que changer de cadre, passer au « fédéralisme » comme l’invoquent certains, est impossible. Dès lors, il faut en tirer les conséquences et procéder à un démontage coordonné de la zone Euro. Réfléchissons-y bien ; ce démontage, s’il est réalisé de manière coordonnée, sera un acte d’union. Il n’y a aucune honte à reconnaître que les conditions nécessaires n’ayant pas été remplies, la monnaie unique ne peut être viable. Il n’y a aucune honte à cela, sauf à faire de l’euro un fétiche, une nouvelle idole, une religion. Et c’est bien ce qui est inquiétant. Pour de nombreux dirigeants dans les pays de l’union européenne l’Euro n’est pas un instrument, c’est une religion, avec ses grands prêtres et ses excommunications. Car, l’alternative à cela, c’est le « Grexit », soit en réalité l’expulsion de la Grèce hors de la zone Euro, acte inouï de violence, mais dont tout le monde comprendra qu’il n’est que le début d’un processus. Une fois la Grèce mise dehors, les regards se porteront sur le prochain, puis sur le suivant. On aboutira, alors, à une lente implosion de la zone Euro, dans un vacarme de récriminations et d’accusations réciproques, dont l’Eurogroupe du samedi 11 aura été une timide annonciation. L’Union européenne, il faut le savoir, ne résistera pas à cela. Elle pourrait certainement résister au démontage coordonné, sous le contrôle du Conseil européen, et avec la participation des institutions européennes. Mais, il en ira tout autrement si on s’abandonne à la facilité et si l’on laisse la zone Euro se déliter à la suite d’une expulsion de la Grèce.
Aujourd’hui, le temps presse. Les dirigeants de l’Union européenne peuvent faire le choix salvateur d’une solution coordonnée. S’ils reconnaissent que la zone Euro n’est pas viable, tout est possible. Si, par contre, ils s’enferrent, que ce soit par idéologie ou par intérêt de court terme, dans des tentatives désespérées pour tenter de faire survivre cette zone Euro, en y sacrifiant un pays, puis un second, puis un troisième, ils mettront en marche la machine infernale de l’explosion de l’Union européenne, et ils porteront devant l’Histoire la responsabilité de futures affrontements intereuropéens. L’Union européenne peut périr, ou se transformer. L’important est de sauver l’esprit européen, un esprit de fraternité et de solidarité. C’est cela que menace désormais l’existence de l’Euro.
http://russeurope.hypotheses.org/4095
[1] Voir Michel Aglietta, Zone Euro : éclatement ou fédération, Michalon, Paris, 2012.
[2] Voir Sapir J., « Le coût du fédéralisme dans la zone Euro », note publiée sur le carnet RussEurope, 10 novembre 2012, http://russeurope.hypotheses.org/453
[3] Patrick Artus, « La solidarité avec les autres pays de la zone euro est-elle incompatible avec la stratégie fondamentale de l’Allemagne : rester compétitive au niveau mondial ? La réponse est oui », NATIXIS, Flash-Économie, n°508, 17 juillet 2012.
[4] VAROUFAKIS : POURQUOI L’Allemagne REFUSE D’ALLÉGER LA DETTE DE LA GRÈCE, http://blogs.mediapart.fr/blog/monica-m/120715/varoufakis-pourquoi-lallemagne-refuse-dalleger-la-dette-de-la-grece
[5] Sondage EUROBAROMETER
Messages
1. L’Europe aux périls de l’Euro, 13 juillet 2015, 02:31
Mais pourquoi un pays comme l’Angleterre,qui n’a pas adopté pour monnaie l’euro,inflige aussi à son peuple des cures d’austérité,au fait ?
1. L’Europe aux périls de l’Euro, 13 juillet 2015, 10:07, par Alain Chancogne
Excellente remarque !
C’est pourquoi, personnellement je trouve plus que "discutable" la façon dont un groupe qui se dit "communiste" comme LE PRCF a opéré une OPA que j’ai dénoncé en me retirant de ce qui avait pour nom"ASSISES du COMMUNISME"
Rappelant le 30 mai à Paris la forfaiture PS-DROITE ( notre NON de 2005 brulé à VERsailles en 2008 ), G.GASTAUD , décrétant qu’il parlait au nom de ce qui reste un appel à "mouliner" de la réflexion marxiste, affirmait "tranquillement"
(Gras A.C)
NON, le Communisme n’est pas un processus avec les épreuves éliminatoires de"sorties de l’EURO et de l’UE"
Le COMMUNISME est un processus révolutionnaire.
L’affrontement Kapital/Travail crée des rapports de force qui , conjugués avec la bousolle marxiste que constitue l’ORGA REVOLUTIONNAIRe à CREER, fait naitre des moments qu’il n’appartient à PERSONNE de programmer à la PLACE des MASSES..
– La monnaie et les institutions de l’ETAT Bourgeois sont des OUTILS de sa domination de classe
..Comme l’armée, la police et justice de classes, léducation au service de la perennité du Système etc etc
De bonne foi(c’est e cas ici de mon ami et camarade R.PALAO, pour ne pas le nommer qui a acté de cette divergence sans que cela affecte notre solide amitié communiste)
.....ou en racoleur "cocardier" comme le philosophe qui dirige le pRCF -qui nous vend un "FRONT Patriotique, etc etc",
selon moi et dit sans langue de bois, je maintiens mon jugement :
TOUT ce qui met au coeur du débat"EURO ou pas euro", "UE paralysant la LDC sur notre sol" , cela enfume le terrain de la guerre des classes.
Inconsciemment ou pas, cela renvoie à un préalable à la LUTTE
Je vais plus loin : objectivement cela donne arguments à ceux qui pensent que le Brave hollande est "prisonnier" des diktats de Bruxelles......
En plus, dans les couches populaires, avec un courant révolutionnaire en coma prolongé, cette"fixation sur"monnaie et UE), c’est à la mère le PEN que ça profite !
Sans compter que ça nourrit les amalgames sur ce que seraient des "alliances objectives" entre"extrém-istes"..
– Entre un PCF devenue "euroconstructif" qui mobilise quatre pseudo économistes marxistes(famille Boccara -Dimicoli) pour nous vendre de la "nouvelle Europe sociale" avec"démocratisation de la BCE"
..et tout ce qui pose le préalable des"sorties " des "machins" pour"en prime" (comme dit Gastaud) pouvoir"sortir du Capitalisme" ,
..........il ya place pour REVISITER MARX et réféléchir ensemble sur ce qu’est la CRISE du CAPITALISME, dans sa globalité, quiui appelle des réponses cohérentes, et accessibles aux masses.
Pardon de la longueur de ce commentaire, nièeme positionnement quej’estime faire partie d’un débat qui devrait s’ouvrir entre militants de la lutte des classes..
Sans inutiles invectives, sans que quiconque ne prétende avoir"raison"
Mais pour RAISONNER au lieu d’affirmer
Je dis toujours que de toutes façons, en politique comme sur tout ce qui impose remue-méninge, "il ne sert à RIEN d’avoir raison"
(Même à DEUX cents blogueurs) sur ces questions.....
.....quand dans les"quartiers" , à l’atelier ou au bureau, en famille le soir, en discutant avec les gamins qui galèrent, diplome en poche, la question n’est pas si ce sera en FRANCS ou en EUROS qu’on pourra faire les courses à Carrefour....le 13 Juillet.
Puisque la fin du mois a commencé le 1..et qu’on n’a plus de"thune"
N’alimentons pas trop la machine à détourner la CLASSE OUVRIERE de l’objectif à atteindre par la LUTTE
Cordialement
Alain
2. L’Europe aux périls de l’Euro, 13 juillet 2015, 09:52
Sous le capitalisme, l’exploitation de l’homme jusqu’aux limites du possible définies par le rapport de forces du moment est toujours la règle, non ? Peu importe le pays, l’union, la fédération ou quoi que ce soit...
1. L’Europe aux périls de l’Euro, 13 juillet 2015, 10:06
EXACT l’ exploitation capitaliste n a pas de frontières mais il est également exact que L UE est l un des bras armé du capitalisme et qu à ce titre elle doit être combattu et détruite , tout ce qui peut affaiblir le capitalisme est bon à prendre à moins de croire au grand soir qui se déclenche tout seul partout en même temps
RICHARD PALAO
3. L’Europe aux périls de l’Euro, 13 juillet 2015, 10:28, par mickey l’ange
l’Europe, Maastricht, c’était fait pour saccager les indépendances de chaque pays ; avec l’ECU, on limitait la casse, mais avec l’Euro, "les peuples n’y résisterons pas", avait dit Jean Boissonnat, journaliste aux ordres, jugement repris sur un tract du PCF au moment de Maastricht, quand le PCF était encore communiste et presque révolutionnaire.
L’Europe, c’est 1789 en plus grand ; le développement des forces productives a exigé la suppression des frontières, comme la bourgeoisie a supprimé les péages entre les provinces.
Une femme anglaise à laquelle on demandait si elle était pour l’Euro a répondu : "Demandez à une dinde si elle est pour Noël" . Il n’empêche, c’est vrai, que la livre continue à être monnaie nationale. Mais que la pauvreté est de dimension apocalyptique en Grande Bretagne ; chaque peuple peut s’en sortir lui-même, à condition d’avoir une force politique capable de proposer un autre système économique, à savoir le communisme, qui consiste à s’approprier l’économie, à la sortir des griffes des capitalistes. La propriété, c’est le pouvoir !