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L’austérité : non pas un remède, mais un objectif.

par rouge

Publie le mardi 22 mai 2012 par rouge - Open-Publishing

« Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » (Denis Kessler, ex-numéro deux du MEDEF de 1998 à 2002, octobre 2007).

Il ne faut pas s’y tromper : dans le couple crise-austérité, ce n’est pas l’austérité qui est un moyen, et la « crise » (à surmonter) qui est le but , mais bien l’inverse : l’austérité est le but, la crise est le moyen. La « crise » est une situation qui a été orchestrée en vue de nous faire accepter la feuille de route de l’austérité, présentée comme une série de mesures (temporaires ?) destinées à nous permettre de surmonter cette « crise », mais ces mesures mises bout à bout représentent un détricotage systématique, et durable, de tout notre contrat social.

La « crise » a été orchestrée.

Allégements fiscaux de toutes natures, au bénéfice des entreprises et des grandes fortunes depuis le milieu des années 80. Résultat : la capacité de financement de nos états a été asséchée (de plusieurs dizaines ou centaines de milliards), les contraignant, pour boucler leurs budgets, à recourir à l’emprunt, ce qui a un coût (parfois phénoménal : on parle actuellement de 25% pour les emprunts grecs à 10 ans).

Privatisation des entreprises et des banques publiques, et aussi de certains services publics, au prétexte que l’état « n’a pas la compétence pour gérer ces activités ». On a pu apprécier la ‘compétence’ du secteur privé en ce qui concerne les banques ! Dans ce qui reste de nos entreprises et services publics, on a introduit la logique de ‘rentabilisation’ capitaliste, qui permet de les détruire de l’intérieur (poste, transports, hôpitaux, et même enseignement). Résultat : des entreprises (anciennement publiques) à vocation commerciale, dont les bénéfices constituaient un appoint de ressources pour les budgets nationaux, servent désormais à enrichir un actionnariat privé, et ces entreprises ainsi que les services (anciennement publics) qui ont été privatisés peuvent se retrouver délocalisés, fournissant des revenus de travail et d’impôts hors de nos frontières et du budget de nos états, qui doivent désormais, lorsqu’ils sont ‘utilisateurs’ de ces services, en payer, non seulement les salaires des agents, mais aussi le profit de leurs actionnaires. Et, d’autre part, des entreprises ou des services publics dont la vocation n’était pas commerciale se retrouvent sous le joug d’impératifs de profit qui les conduisent à l’étouffement.

Liquidation du patrimoine public : des bâtiments, y compris des logements sociaux – dont la fonction ne devrait certainement pas être de fournir une rente à des actionnaires ! - , des terrains, et même des routes, des ports, des œuvres d’art, sont vendus à l’encan pour permettre le bouclage des budgets. Le plus cocasse, c’est que des bâtiments utilisés par l’état comme bâtiments de fonction (ministères) sont vendus, tout en restant utilisés par le même état, mais en tant que locataire ! Résultat : appauvrissement de nos états, disparition de nos richesses collectives, désormais livrées au bon vouloir de leurs nouveaux propriétaires, et si nous voulons encore utiliser ces richesses, il faudra désormais que nous, ou nos états, payions à ces nouveaux propriétaires des rentes substantielles.

Déréglementation et dérégulation : la liberté de circulation des capitaux, et la levée d’un certain nombre de ‘règles de bonne conduite’ qui encadraient l’activité des banques, a permis l’explosion d’une activité de spéculation frénétique et une mise en concurrence effrénée au niveau mondial, basée sur le moins-disant salarial et social. Résultat : nos états sont contraints, pour éviter la désertification industrielle, de s’aligner sur les conditions fiscales, salariales et sociales les plus basses prévalant dans les zones les plus arriérées du monde, et même ainsi, ils peinent à retenir des ‘investisseurs’ volatiles, à qui ils ont offert toutes les facilités pour faire vagabonder leurs capitaux vers de meilleures opportunités. L ’alignement vers le bas est devenu la règle, mais il porte aussi un appauvrissement accéléré de nos états, car les concessions consenties sur les niveaux de salaires des travailleurs se répercutent sur les rentrées fiscales de ces travailleurs, alors même que les concessions fiscales consenties aux ‘investisseurs’ ne permettent pas de compenser ce manque à gagner. Et, si les prétendus ‘investisseurs’ n’ont rien fait d’autre que de belles promesses, pour s’en aller très vite vers d’autres cieux après avoir siphonné les actifs de nos entreprises, nos états se retrouvent dépouillés, avec des armées de chômeurs supplémentaires dont il faudra bien assurer la survie, vaille que vaille – voir la saga Arcelor-Mittal.

Construction européenne : ce « machin », complètement anti-démocratique, qui coiffe nos états en nous enlevant, en tant qu’électeurs, toutes nos prérogatives (car nos Parlements, sur bien des points, ne sont plus que des chambres d’entérinement de décisions prises par des exécutifs communautaires non élus), a organisé un espace où l’intrusion de la concurrence mondiale ne connaît aucune limite, mais où, en même temps, il n’existe aucun frein à la concurrence interne entre les état qui constituent cet ‘ensemble’. Il n’y a aucune convergence des normes salariales et fiscales, et les capitaux peuvent butiner à l’aise en jouant sur le moins-disant à l’intérieur même de la ‘communauté’. Résultat : nos états sont engagés dans une course à l’appauvrissement du voisin – la majorité des échanges extérieurs des états européens est intra-communautaire – dont, actuellement, l’Allemagne est vainqueur et la Grèce le grand perdant.

Politique monétaire : depuis la création de l’euro, nos états ont été complètement privés de toute possibilité d’action par le biais de la création monétaire, puisque celle-ci est dévolue à la BCE . Is ont été de même privés de toutes les possibilités d’un pilotage utilisant les révisions de parités monétaires pour faire face à des inégalités de développement avec leurs partenaires commerciaux. Mais, en même temps, les règles établies pour le fonctionnement de la BCE ne lui permettent que de prêter aux banques privées, et pas aux états. Résultat : la BCE prête aux banques privées à des taux dérisoires (autour de 0,5%), et, comme les états ont des besoins de financement budgétaire supérieurs à leurs rentrées fiscales, ils sont obligés d’emprunter aux banques ‘aux taux du marché’, ce qui peut faire jusqu’à 25% aujourd’hui pour la Grèce.

La majeure partie de l’endettement de nos états est constituée des intérêts monstrueux et sans cesse croissants que leur imposent les prêteurs privés, les banques – que nous avons sauvées de la faillite en leur octroyant des fonds publics, prélevés sur nos impôts et sur les crédits qu’elles accordaient à pris d’or à nos états. La dette primaire de la Grèce n’est proportionnellement pas plus élevée que celle de la France : ce sont uniquement les intérêts prélevés par les spéculateurs qui misent sur la faillite grecque qui l’ont portée au niveau insupportable actuel. Aucun pays n’est à l’abri tant que ces fripuilles seront libres de dicter leurs conditions.

Tout ça, ils le savaient .

Les ‘responsables’ qui ont pris les décisions qui nous ont amenés à cette situation de quasi-faillite de nos états ne pouvaient pas ignorer où ces décisions allaient nous amener.

Et lorsque, maintenant, ils nous présentent la « crise » comme une fatalité aussi imprévisible qu’une catastrophe naturelle, et l’austérité comme le remède obligé pour nous en sortir, ils ne peuvent pas ignorer l’imbécillité de leurs prétendues ‘solutions’.

Ce ne sont pas des idiots. Ni des ignorants. Pour arriver aux positions de pouvoir où ils sont, il leur a fallu beaucoup d’intelligence, et beaucoup d’étude.

Par conséquent, ils connaissent certainement les enseignements de l’histoire économique. Ils n’ont pas pu échapper aux leçons de la Grande Crise des années 30, qui a vu les mêmes excès conduire aux mêmes déboires, ni à celles du développement de l’après-guerre en Europe, et des Trente Glorieuses. Ces leçons, rappelons-les : si la Grande Crise a été vaincue, c’est grâce au New Deal, lancement de travaux publics, augmentation des salaires, augmentation des impôts directs (jusqu’à 90% dans les tranches supérieures) et des droits de succession, instauration de règles strictes pour le fonctionnement des banques (séparation des banques de dépôt et des banques d’investissement) – principalement. Les Trente Glorieuses ont été démarrées par le programme du Conseil national de la Résistance, qui jeta les bases de notre système de sécurité sociale et qui est actuellement honni par le Medef (Ernest-Antoine Seillière, 2003 : « La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952 , SANS EXCEPTION. Elle est là, il s’agit de sortir de 1945… ». Et c’est aussi les nationalisations (de l’énergie, notamment).

Ils ont peut-être aussi appris certaines petites choses concernant le fordisme et les bienfaits d’une consommation de masse alimentée par des salaires généreux. Ils ont nécessairement dû lire Keynes, et Galbraith, et aussi Stieglitz, économiste distingué qui a claqué la porte du FMI après y avoir longtemps travaillé, en dénonçant les méfaits de la logique de privatisation à outrance qui ne fait que ruiner les états et les peuples.

Ils savaient que leurs décisions ne pouvaient avoir d’autre résultat que notre ruine collective, car c’est inscrit dans la logique même du marché dérégulé qu’ils ont eux-mêmes construit, alors pourquoi les ont-ils prises ? Par bêtise ? Hypothèse irrecevable, ils ne seraient pas là où ils sont – et très bien payés pour y être – s’ils étaient stupides. Ou parce que cette ruine était leur objectif ?

Et pourquoi poursuivre, aussi obstinément, une voie dont les dangers leur ont été abondamment rappelés, depuis des lustres, par des économistes compétents – mais non soumis aux diktats du Medef ? Alors même que des experts autrement plus compétents que nos bavards médiatiques dénonçaient les signes précurseurs de la « crise » actuelle et avertissaient des erreurs en train de se commettre ?

Je refuse de considérer nos dirigeants comme des idiots. Ils n’occuperaient pas les hautes fonctions qui sont les leurs. J’en conclus donc qu’ils ont sciemment mené nos pays à la ruine, parce que leur objectif était de faire de cette ruine le chemin qui les mènerait à leur but : défaire tout notre système social, nous ramener vers le beau temps d’avant 1944, et même celui d’avant 1936, le beau temps où l’austérité était la règle pour les peuples, et où une poignée de riches se gobergeaient sur fond de misère.

L’austérité est inacceptable.

Un chose doit être très claire : il n’est pas question d’accepter la moindre mesure d’austérité, fût-elle teintée de rose ou de vert pâle. Il n’est pas impossible que les plus malins d’entre les canailles qui profitent du système se réjouissent de l’accession de Hollande à la présidence : les « inévitables » mesure requises pour l’apurement de la dette paraîtront d’autant plus « inévitables » qu’elles nous seront imposées par un gouvernement « de gauche » qui « se sera battu » pour nous éviter l’austérité, et ce constat nous engloutira plutôt dans la résignation qu’il n’éveillera notre légitime révolte.

Ne nous trompons pas de combat.

L’austérité n’est pas juste une solution à la « crise ». Si on accepte ce débat faussé, après, on pinaillera sur l’efficacité de chaque mesure en tant que solution, sur la juste répartition des efforts à consentir, et on s’enfoncera dans des querelles de technocrates incompréhensibles pour le commun des mortels – et nos grands médiacrates excellent à ce genre de petits jeux d’enfumage.

Je dis bien enfumage. Le vrai débat ne porte pas sur l’efficacité ou la justice de l’austérité comme solution à la « crise », mais sur le fait que l’austérité n’est pas, pour nos dirigeants, une ‘solution’ : c’est leur objectif, le but auquel ils tendent depuis des lustres, la « crise » n’étant que le moyen qu’ils ont délibérément ms en place pour nous contraindre à cette austérité – et nous y enfermer pour très tr ès longtemps, car ils ont les moyens de faire durer la « crise » aussi longtemps qu’il restera quelque miette à nous arracher. Cette « crise » d’ailleurs n’en est pas une pour eux : avez-vous remarqué que, même alors que nos banques se sont trouvées au bord de la faillite, les profits n’ont jamais été aussi colossaux, ni les milliardaires aussi riches et aussi nombreux ?

Voyez ce qu’en dit Wikipedia : ‘ Dans le rapport d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale, en décembre 2010, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, a déclaré : « il n’est pas exclu que les mouvements aient été amplifiés par des opérations spéculatives utilisant des instruments sophistiqués comme les CDS ou les ventes à découvert ».’ Et aussi : ‘Pour certains fonds d’investissement, les placements dans le financement des obligations grecques sont rémunérateurs. Ainsi le fonds Avenue Capital a obtenu un rendement annuel de 18,5 %, en investissant en 2011 dans les dettes souveraines de la zone Euro. La BCE a pour sa part tiré un rendement supérieur à 20% sur deux ans, de ses achats de titres grecs à hauteur de 40 milliards d’Euros (25% de bénéfice à la revente, taux obligataires supérieurs à 20%).’
(<http://fr.wikipedia.org/wiki/Sp%C3%...>

Si « crise » il y a, elle ne provient que de la rapacité de l’oligarchie qui nous dirige. Et on ne pourra y mettre fin qu’en lui faisant restituer tout ce qu’elle nous a volé. Il faut d’abord faire payer ceux qui ont engrangé les profits monstrueux que le capitalisme de casino leur a rapportés, récupérer des biens qui ont été bradés entre copains et coquins, et enfin reprendre le contrôle des décisions qui concernent notre quotidien. L’administration de l’état, ça ne doit pas être la soumission aux marchés , mais la soumission des marchés.

Vaste projet ! Mais on y arrivera. A condition de sortir dans la rue, tous ensemble. Et certainement pas en entrant dans un gouvernement de vassaux dont les frétillements devant leurs suzerains ne devraient nous inspirer que la méfiance la plus extrême.